Le bouquin de Hardy

Message par Barnabé » 27 Fév 2003, 12:50

Et une petite citation du vieux pour etayer:
(Trotsky @ les intellectuels et le socialisme" a écrit : mais si la conquête effective de l'appareilde la société dépendait de la venue préalable de l'intelligentsia au parti du prolétariat, alors les perspectives du collectivisme seraient bien compromises


Et puis la manière dont LO (alors VO) posait le problème dans une Lutte de Classe de 67:
( De la méthodologie organisationelle @ LDC 1967 a écrit :
Pour gagner les ouvriers au socialisme, il faut et il a toujours fallu des intellectuels. Mais des intellectuels ayant rompu moralement avec leur milieu social, leur classe, leur position assise dans la société bourgeoise, et surtout avec la façon d'agir et de penser de leur milieu d'origine. Ces intellectuels entièrement dévoués à la classe ouvrière, c'étaient les militants professionnels du parti bolchévique. Ce type de militant que la IV° internationale précisément n'a pas pu et pas su former. (...)
C'est parce qu'elles se sont toujours refusées à sélectionner les jeunes intellectuels qui venaient à elles selon ce critère là; parce qu'elles se sont montré incapable de les transformer en militants totalement dévoués à la classe ouvrière, que les organisations de la IV° internationale n'ont pu pénétrer dans les masses ou même plus simplement avoir le contact avec elles. C'est de là que vient la faillite organisationnelle de l'Internationale et ses errements politiques ultérieurs.


C'est un peu différent de "Et la crise de la direction révolutionnaire, c'est avant tout la défaillance des intellectuels de gauche. ", non?
Barnabé
 
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Message par emman » 27 Fév 2003, 14:11

(Barnabé @ jeudi 27 février 2003 à 12:50 a écrit :Et une petite citation du vieux pour etayer:
(Trotsky @ les intellectuels et le socialisme" a écrit : mais si la conquête effective de l'appareilde la société dépendait de la venue préalable de l'intelligentsia au parti du prolétariat, alors les perspectives du collectivisme seraient bien compromises


Et puis la manière dont LO (alors VO) posait le problème dans une Lutte de Classe de 67:
( De la méthodologie organisationelle @ LDC 1967 a écrit :
Pour gagner les ouvriers au socialisme, il faut et il a toujours fallu des intellectuels. Mais des intellectuels ayant rompu moralement avec leur milieu social, leur classe, leur position assise dans la société bourgeoise, et surtout avec la façon d'agir et de penser de leur milieu d'origine. Ces intellectuels entièrement dévoués à la classe ouvrière, c'étaient les militants professionnels du parti bolchévique. Ce type de militant que la IV° internationale précisément n'a pas pu et pas su former. (...)
C'est parce qu'elles se sont toujours refusées à sélectionner les jeunes intellectuels qui venaient à elles selon ce critère là; parce qu'elles se sont montré incapable de les transformer en militants totalement dévoués à la classe ouvrière, que les organisations de la IV° internationale n'ont pu pénétrer dans les masses ou même plus simplement avoir le contact avec elles. C'est de là que vient la faillite organisationnelle de l'Internationale et ses errements politiques ultérieurs.


C'est un peu différent de "Et la crise de la direction révolutionnaire, c'est avant tout la défaillance des intellectuels de gauche. ", non?

Ben je ne sais pas si c'est tellement différent, parce que moi je l'avais compris comme ça... :blink:
emman
 
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Message par Léandre » 27 Fév 2003, 15:33

Non ça n'a pas le meme sens. Dans le cas du LDC, il s'agit d'une défaillance de la IV qui n'a pas su former (du moins en nombre suffisant) des intellectuels dévoués à la classe ouvrière prets à s'investir dans un boulot de propagande au sein des ouvriers.
Rien à voir avec ce que l'on appelle couramment un "intellectuel de gauche" (catégorie qui regroupe des écrivains, scientifiques et autres beaux parleurs qui s'expriment généralement pour la bourgeoisie petite, moyenne ou grande, ne cherchent pas à se faire comprendre des prolos et encore moins à leur trouver un programme politique).
Il s'agit d'un manque de militants intellectuels viables, pas d'une défaillance des intellectuels de gauche.
Léandre
 
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Message par pelon » 27 Fév 2003, 16:49

(Léandre @ jeudi 27 février 2003 à 15:33 a écrit :Non ça n'a pas le meme sens. Dans le cas du LDC, il s'agit d'une défaillance de la IV qui n'a pas su former (du moins en nombre suffisant) des intellectuels dévoués à la classe ouvrière prets à s'investir dans un boulot de propagande au sein des ouvriers.
Rien à voir avec ce que l'on appelle couramment un "intellectuel de gauche" (catégorie qui regroupe des écrivains, scientifiques et autres beaux parleurs qui s'expriment généralement pour la bourgeoisie petite, moyenne ou grande, ne cherchent pas à se faire comprendre des prolos et encore moins à leur trouver un programme politique).
Il s'agit d'un manque de militants intellectuels viables, pas d'une défaillance des intellectuels de gauche.

Ce que veux dire Hardy c'est exactement l'idée de la LDC de 67 que tu as retrouvée. Je sais qu'il aussi existe un texte plus récent (de congrès je crois) sur le problème des intellectuels. on ne s'exprime pas de la même manière dans la ldc (ou un texte de congrès) que dans un livre où l'on retrace l'histoire de Lo tout en répondant à tout un tas d'attaques malveillantes de la presse et de la bourgeoisie. Il est normal que cela soit simplifié. Le terme intellectuel de gauche n'est pas utilisé dans le sens "Jean Daniel" mais intellectuel ayant des préoccupations de progrès pour l'Humanité pas seulement pour sa carrière. Ces intellectuels, quand ils existent, doivent bien évidemment se mettre au service de la CO et se transfomer donc passer d'intellectuels progressistes à révolutionnaires prolétariens. (dans les années 30, la plupart sont allés vers le stalinisme). Nous sommes toujours d'accord avec cela de même que nous savons que, de toute façon, seule une infime partie des intellectuels peut être gagnée à la lutte de la CO. Nous avons lu les mêmes livres de LT où il disait parfois en plaisantant que les meilleurs intellectuels seraient de toutes façons pour la bourgeoisie car elle payait mieux que le prolétariat.
C'est comme si, pour connaître dans le détail le point de vue de LT sur la révolution russe tu te servais de "Ma Vie" plutôt que de "L'Histoire de la révolution Russe".
Pour répondre à d'autres contributions : - oui, la direction révolutionnaire, ce n'est pas un escadron d'intellectuels sinon nous consacrions nos forces à l'ecole Normale Supérieure et pas aux usines (on se lèverait moins tôt pour distribuer des tracts).
- oui, l'absence de direction révolutionnaire c'est l'absence de partis révolutionnaires ouvriers et l'absence d'internationale dignes de ces noms. c'est à leur émergence que des intellectuels (comme Marx en son temps, lénine en Russie) auraient pu contribuer. Ils étaient d'autant plus nécessaires que le stalinisme a représenté une cassure pour le mouvement ouvrier. dans les années 30, on n'avait pas beaucoup de vieux à part Trotsky. Il fallait reconstruire dans une période où les défaites du mouvement ouvrier (Italie, Allemagne, Espagne...) ne contribuaient guère à la mise ne cause par le prolétariat de ses directions majoritaires.
Les intellectuels avec les qualités requises par la période ont manqué. C'est une constatation.
pelon
 
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Message par Barnabé » 27 Fév 2003, 17:58

Pour Pelon,
a écrit : Ce que veux dire Hardy c'est exactement l'idée de la LDC de 67 que tu as retrouvée. Je sais qu'il aussi existe un texte plus récent (de congrès je crois) sur le problème des intellectuels. on ne s'exprime pas de la même manière dans la ldc (ou un texte de congrès) que dans un livre où l'on retrace l'histoire de Lo tout en répondant à tout un tas d'attaques malveillantes de la presse et de la bourgeoisie. Il est normal que cela soit simplifié. Le terme intellectuel de gauche n'est pas utilisé dans le sens "Jean Daniel" mais intellectuel ayant des préoccupations de progrès pour l'Humanité pas seulement pour sa carrière.

D'abord, ta réponse me pose un problème sur la forme. Comment reprocher par exemple (et cela me semble juste de la faire) à la ligue et à Besancenot d'avoir des formulations ambigües dans ses interviews et ses bouquin ("la question de la participation au gouvernement est un débat abstrait. Nous participerions à un gouvernement en rupture avec le capitalisme") si l'on se permet nous même des "simplifications" ambigüe. La ligue nous dit "mais un gouvernement en véritable rupture avec le capitalisme, c'est un gouvernement révolutionnaire, la dictature démocratique des ouvriers et des paysans", toi tu me dis "les intellectuels de gauche, c'est les intellectuels prêts à se dévouer réellement à la classe ouvrière". Dans les deux cas, si tu t'adresses à un militant trotskyste, pourquoi fais-tu des simplification, sinon, que crois-tu que les gens, en particuliers les travailleurs, entendent quand il est question d'un "gouvernement en rupture avec le capitalisme" et d'"intellectuels de gauche"? Je pense qu'ils entendent: dans un cas un gouvernement vraiment réformiste, et dans l'autre un intellectuel "de gôche", c'est-à-dire réformard.
Maintenant sur le texte de congrès que tu cites, il me semble que c'est celui de 94 "la situation du mouvement ouvrier révolutionnaire", je ne pense pas qu'il dise la même chose que le texte de 67:
(la situation du mvt ouvrier révolutionnaire @ 1994 a écrit : dans la réalité, la catégorie sociale qui a failli à sa tâche au cours des décennies passées est bien plus les intellectuels que le prolétariat. (...)C'est essentiellement l'intelligentsia qui n'a pas joué le rôle qui devait être le sien

Ca dit la même chose que le bouquin d'Hardy, pas que la LdC de 67; encore une fois, je ne pense pas que dire que les organisations trotskystes ont failli à leur tâche de transformer des intellectuels en militants de la classe ouvrière, est la même chose que de dire que les intellectuels n'ont pas rempli leur tâche historique.

a écrit : dans les années 30, la plupart sont allés vers le stalinisme

Oui, mais une autrement plus grande proportion de la classe ouvrière aussi, alors que respectivement, les militants trotskystes des années 30 étaient essentiellement des intellectuels (ce qui ne veut pas dire l'essentiel des intellectuels, bien sûr).
a écrit : C'est comme si, pour connaître dans le détail le point de vue de LT sur la révolution russe tu te servais de "Ma Vie" plutôt que de "L'Histoire de la révolution Russe".

D'une part, il me semble que "Ma vie" est un livre politique et pas une compilation de jugements ou d'anecdote et qu'il permet de comprendre des choses sur la révo. russe (même s'il ne remplace pas l'"Histoire de la révolution russe"). D'autre part, pour comprendre le point de vue de Trotsky sur les intellectuels, je m'appuie sur "les intellectuels et le socialisme" ce qui me semble a priori plutôt pertinent.
Barnabé
 
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Message par stef » 27 Fév 2003, 23:11

Le sens du débat est très simple. La crise de l'humanité dont nous parlons c'est le retard (historique) de la construction du socialisme - à l'ordre du jour depuis 1914.

La moindre des choses serait d'expliquer la raison de ce retard - ce qui fonde en effet théoriquement le tkysme c'est justement de résoudre cette question. Pour :trotsky: , la raison en est qu'il a manqué et manque toujours le facteur subjectif, à savoir un parti, une internationale marxiste. Dès lors l'objectif de la IV devient évident : se construire dans le combat politique pour déblayer les vieilles organisations.

Ce que cela ne veut PAS dire, c'est que la tâche de la IV° Internationale avait pour but de stimuler la combattivité des ouvriers : le problème n'était pas dans les masses et leur trop faible niveau de conscience mais dans l'absence de directions marxistes. :trotsky: considérait que depuis 1917 à d'innombrables reprises, le mouvement objectif de la classe (donc la combattivité) l'avait menée aux portes du pouvoir sans que le succès ne soit au bout, faute d'un successeur du parti bolchévique. Je considère que tt ceci est toujours intégralement d'actualité (1).


Il va de soi que si on pose le problème ainsi, la question des "intellectuels" ou soi-disant tels est de quatorzième niveau (bref : on s'en tape autant que des article de Bensaïd au Figaro). Donc on ne pose pas la question ainsi que nous le cite Barnabé (LO@1994) :
a écrit :
dans la réalité, la catégorie sociale qui a failli à sa tâche au cours des décennies passées est bien plus les intellectuels que le prolétariat. (...)C'est essentiellement l'intelligentsia qui n'a pas joué le rôle qui devait être le sien

Les intellectuels ou soi-disant tels ne sont en effet responsables de rien en soi. Ils relayent et amplifient les vents dominants, comme toujours.
Et il n'est pas vrai que c'est "essentiellement" eux qui ont faili. La seule "catégorie sociale" qui a failli à sa tâche dans les dernières années comme depuis 1914, ce sont les appareils - politiques et syndicaux. C'est eux qui sont responsables de la situation actuelle, pas les intellectuels.

C'est pour cela que le travailleurs ont besoin d'un nouveau parti, un parti d'action centré sur la classe ouvrière, mais organisant aussi la jeunesse, les intellectuels - bref toutes les catégories sociales dont l'intérêt bien compris est d'en finir avec ce système infect.




(1) Il est d'ailleurs significatif que Bensaïd passe beaucoup de temps à relativiser cet aspect esentiel du programme trotskyste - bref à le vider de son contenu (cf Les trotskysmes).
stef
 
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Message par Louis » 27 Fév 2003, 23:46

a écrit :(1) Il est d'ailleurs significatif que Bensaïd passe beaucoup de temps à relativiser cet aspect esentiel du programme trotskyste - bref à le vider de son contenu (cf Les trotskysmes).


justement non ! parce qu'il essaye d'apporter une réponse a une de tes questions ! Et cette question tu la pose (et correctement) sauf que tu ne comence pas a avancer le commencement du début d'une esquisse de réponse

a écrit : La seule "catégorie sociale" qui a failli à sa tâche dans les dernières années comme depuis 1914, ce sont les appareils - politiques et syndicaux. C'est eux qui sont responsables de la situation actuelle, pas les intellectuels.


Parce que quand on a dit ça, on a rien dit ! Quid de la question de "pourquoi les appareils trahissent ils" et quid de la question de "pourquoi toutes les tentatives de reconstruire une direction révolutionnaire pour remplacer ceux qui ont failli ont terminé en eau de boudin" ? Il est bien plus façile de dire "les appareils ont trahi" que de batir une politique révolutionnaire alternative a ces grands enjeux !
Louis
 
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Message par pelon » 28 Fév 2003, 00:27

(barnabé a écrit :Maintenant sur le texte de congrès que tu cites, il me semble que c'est celui de 94 "la situation du mouvement ouvrier révolutionnaire", je ne pense pas qu'il dise la même chose que le texte de 67:
(la situation du mvt ouvrier révolutionnaire @ 1994 a écrit : dans la réalité, la catégorie sociale qui a failli à sa tâche au cours des décennies passées est bien plus les intellectuels que le prolétariat. (...)C'est essentiellement l'intelligentsia qui n'a pas joué le rôle qui devait être le sien

Ca dit la même chose que le bouquin d'Hardy, pas que la LdC de 67;

Oui mais dans le même texte, on trouve aussi :
a écrit :La constitution de véritables partis communistes révolutionnaires, capables de jouer leur rôle dans toutes les crises sociales afin de tenter de les amener vers une issue révolutionnaire, nécessite tout à la fois qu'une fraction des intellectuels se détache de l'emprise de la bourgeoisie pour passer dans le camp du prolétariat, comme il nécessite qu'il y ait un courant parallèle de la part du prolétariat.
Il ne me semble pas que l'on parle d'intellectuels de gauche "idéologues de la bourgeoisie".
pelon
 
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Message par com_71 » 28 Fév 2003, 00:43

Bien qu'il soit un peu long, voilà ce texte entier. Vous pouvez ainsi avoir confirmation que Hardy ne s'attend pas à ce que Kouchner se transforme en Trotsky ;) ;)
a écrit :La situation du mouvement ouvrier révolutionnaire
Cinquante ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la question peut se poser de la profondeur du recul du mouvement révolutionnaire prolétarien. Durant ce demi- siècle, non seulement la révolution ne s'est pas produite, mais le problème de la construction de partis ouvriers révolutionnaires n'a toujours pas trouvé de solution.
Ces cinquante ans ont pourtant été riches d'événements, y compris d'événements révolutionnaires. Par ailleurs, le courant stalinien qui, à l'époque, dominait parmi les fractions les plus politisées du mouvement ouvrier est en train de s'effondrer sans que cet effondrement provoque des fractures amenant une partie des militants à renouer avec des traditions communistes que la direction stalinienne leur a fait oublier.
Ceux qui continuent à militer le font sur le terrain du réformisme et, avec la disparition de l'Union soviétique, ils ne se distinguent pratiquement plus des militants d'autres courants réformistes. Mais, bien plus nombreux sont ceux qui cessent de militer, et une partie considérable du capital militant du mouvement ouvrier disparaît purement et simplement.
Aucun militant ne peut éviter de se demander si les objectifs révolutionnaires sont toujours valables et comment ils pourraient se réaliser, en d'autres termes, quelles pourraient être les conditions du renouveau du mouvement communiste. Le manifeste concluant le premier congrès de l'Internationale communiste, en mars 1919, faisant le bilan des soixante- douze ans passés depuis Le Manifeste communiste de Marx et Engels, constata que "pendant ces trois quarts de siècle, le développement du communisme a suivi des voies complexes, connaissant tour à tour les tempêtes de l'enthousiasme et les périodes de découragement, les succès et les durs échecs... L'heure de la lutte finale décisive est arrivée plus tard que ne l'escomptaient et ne l'espéraient les apôtres de la révolution sociale. Mais elle est arrivée". Il ne s'agissait pas alors
d'une anticipation optimiste. A l'échelle de la seule Europe, des dizaines de millions de prolétaires sortant de la première boucherie mondiale s'engageaient dans l'activité politique et, dans plusieurs pays, au plus haut degré politique : pour la conquête du pouvoir, les armes à la main.
Pour la première et, jusqu'à maintenant, unique fois, un mouvement révolutionnaire prolétarien menaçait de destruction l'ordre impérialiste mondial.
Deux ans plus tard cependant, le troisième congrès de l'Internationale communiste, en juin 1921, constatait qu' "il est absolument incontestable que la lutte révolutionnaire du prolétariat pour le pouvoir manifeste à l'heure actuelle, à l'échelle mondiale, un certain fléchissement, un certain ralentissement". Cherchant à en donner l'explication, l'Internationale
communiste constatait que "la révolution mondiale n'est pas un processus en ligne droite, c'est la dissolution lente du capitalisme, c'est la sape révolutionnaire quotidienne qui s'intensifie de temps à autre et se concentre en crises aiguës. Le cours de la révolution mondiale a été rendu encore plus traînant du fait que de puissantes organisations et partis ouvriers, à savoir les partis ainsi que les syndicats social- démocrates, fondés par le prolétariat pour guider sa lutte contre la bourgeoisie, se sont transformés pendant la guerre en instruments d'influence contre- révolutionnaire et d'immobilisation du prolétariat et sont restés tels après la fin de la guerre. C'est ce qui a permis à la bourgeoisie mondiale de surmonter facilement la crise de la démobilisation ; c'est ce qui lui a permis pendant la période de prospérité apparente de 1919- 1920 d'éveiller dans la classe ouvrière un nouvel espoir d'améliorer sa situation dans le cadre du capitalisme, cause essentielle de la défaite des soulèvements de 1919 et du ralentissement des mouvements révolutionnaires en 1919- 1920". Ce qui apparaissait il y a presque trois quarts de siècle comme un fléchissement se révéla cependant être un recul grave. La défaite des soulèvements de Berlin, l'écrasement des pouvoirs ouvriers naissants en Bavière et en Hongrie, les difficultés de la Russie révolutionnaire subissant à la fois les troupes étrangères et celles de la contre-révolution, ont redonné l'initiative à la bourgeoisie. Les vieilles puissances impérialistes victorieuses ont fait payer par le traité de Versailles à l'impérialisme allemand sa prétention à un partage des chasses gardées coloniales. Versailles et les multiples traités subsidiaires, redessinèrent la carte du monde ; l'Europe fut hérissée de nouvelles frontières, de nouvelles douanes, dans un climat de nationalismes montants. "L'ordre" ainsi imposé n'était cependant que le premier pas vers la guerre mondiale suivante. Pendant une dizaine d'années encore après la révolution russe les soubresauts révolutionnaires du prolétariat firent encore trembler l'édifice impérialiste. Mais aucun de ces soubresauts n'a été victorieux.
C'est cependant la dégénérescence due à l'isolement du premier Etat ouvrier qui se révéla comme l'expression la plus grave de ce recul - parce qu'elle finit par atteindre de l'intérieur la capacité de combat et surtout la conscience de classe du prolétariat.
Dès la consolidation de l'emprise de la bureaucratie sur l'Etat ouvrier aux alentours de 1924, son chef, Staline, annonça avec "le socialisme dans un seul pays" sa renonciation à la révolution mondiale. Sous la direction de la bureaucratie, l'Union soviétique se transforma de facteur révolutionnaire en facteur de stabilisation de l'ordre impérialiste, directement ou par partis staliniens interposés. Personne ne peut dire si la révolution chinoise de 1925- 27, dernière de la vague révolutionnaire d'après 1917,  se serait transformée en révolution prolétarienne, mais pour la première fois, l'élan révolutionnaire du prolétariat échoua en raison directe de la politique de collaboration de classe que lui imposa la bureaucratie soviétique.
Tout en parasitant les rapports économiques et sociaux créés par la révolution d'Octobre, la bureaucratie liquida physiquement l'avant- garde communiste en Union soviétique, la seule numériquement nombreuse et la plus formée, entraînant une rupture catastrophique de continuité, physique et politique, dans le mouvement communiste.
La retombée de la dizaine d'années de soubresauts révolutionnaires laissa alors les mains libres aux bourgeoisies impérialistes. Le système capitaliste ne s'est pas consolidé pour autant : de reprises poussives en dépressions plus ou moins longues, l'économie capitaliste s'achemina vers la grande crise de 1929. L'impérialisme fut affaibli par la crise de sa propre économie, sans que le prolétariat parvienne à donner à la crise une issue révolutionnaire.
L'arrivée au pouvoir des nazis en Allemagne représenta une défaite majeure du prolétariat à cette époque car le nazisme brisa le prolétariat le plus puissant d'Europe et liquida non seulement toutes les formes d'organisation du mouvement ouvrier, même les plus soumises à la démocratie bourgeoise, mais aussi la démocratie bourgeoise elle-même.
Le plus grave a été le fait que les deux principaux courants du mouvement ouvrier, la social- démocratie et le stalinisme, ont porté une énorme responsabilité dans la défaite sans combat du prolétariat allemand. Leurs faillites concomitantes privèrent le mouvement ouvrier de perspectives et sapèrent la confiance du prolétariat.
Le prolétariat eut cependant l'énergie de livrer de nouvelles batailles en 1936 en Espagne et en France, mais les partis réformistes et staliniens jouèrent encore le rôle de saboteurs de l'offensive révolutionnaire des masses, en substituant la politique des fronts populaires, la subordination organisée du prolétariat à la bourgeoisie, à la politique révolutionnaire.
En Allemagne face au fascisme, en Espagne dans le sursaut contre le coup d'Etat militaire, en France, lors de la montée gréviste, le rapport des forces a été gravement altéré en défaveur du prolétariat en raison de la politique de sa propre direction. "La situation mondiale dans son ensemble se caractérise avant tout par la crise historique de la direction du prolétariat"- résuma le Programme de Transition en 1938.
Analysant cette évolution désastreuse dans le dernier texte sur lequel il travaillait au moment de son assassinat, Trotsky constatait que "le prolétariat a été paralysé par les partis opportunistes. La seule chose qu'on puisse dire, c'est qu'il s'est présenté plus d'obstacles, plus de difficultés, plus d'étapes sur la route du développement révolutionnaire du prolétariat que les fondateurs du socialisme scientifique ne l'avaient prévu".
En ces années trente décisives, la politique de la bureaucratie soviétique, directement ou par mouvement stalinien interposé, a été un des principaux sinon le principal obstacle "sur la route du développement révolutionnaire du prolétariat". Empêché d'être en situation de donner une issue révolutionnaire à la crise, le prolétariat ne put redonner vie à la révolution en Union soviétique. Dès lors, il n'y avait pas d'obstacle devant l'évolution réactionnaire de la bureaucratie qui allait jouer un rôle de plus en plus contre- révolutionnaire sur la scène internationale et qui, à l'intérieur même de l'Union soviétique, renforçait ses privilèges en dénaturant de plus en plus la société, l'économie étatisée et planifiée, évolution réactionnaire qui, depuis les années trente, se poursuit sans discontinuité.
Si les directions du mouvement ouvrier, aussi bien social- démocrates que staliniennes, étaient définitivement pourries, le mouvement ouvrier lui- même, bien que défait et démoralisé, existait, comme existaient encore des centaines de milliers de militants se revendiquant, au sein de la classe ouvrière, de la nécessité de transformations sociales. Et, pour Trotsky, "le fascisme et la série de guerres impérialistes constituent une véritable école à travers laquelle le prolétariat doit se libérer des traditions petites- bourgeoises et des superstitions, doit se débarrasser des partis opportunistes, démocratiques et aventuristes, doit forger et éduquer l'avant- garde révolutionnaire et préparer ainsi la solution de cette tâche, en dehors de laquelle il n'est pas de salut pour le développement de l'humanité".
La guerre constitue toujours un ébranlement social profond, où la bourgeoisie demande aux masses exploitées les sacrifices les plus grands tout en leur fournissant des armes dont elles sont susceptibles de se servir pour un tout autre usage que celui pour lequel elles leur ont été données. Cette crainte était renforcée par le souvenir de la vague révolutionnaire qui avait suivi la Première Guerre mondiale.
Malgré toutes les preuves données par la bureaucratie à la fin des années trente, la bourgeoisie n'avait aucune certitude ni quant aux intentions réelles de Staline, ni quant à la politique que les partis staliniens seraient susceptibles de mener (avec l'accord de Staline ou pas) sans être eux- mêmes débordés par les masses.
Or, c'est précisément la bureaucratie soviétique et le mouvement stalinien qui ont fourni la principale planche de salut à la bourgeoisie.
Avant même que l'écroulement de l'Allemagne nazie crée un dangereux vide du pouvoir en Europe, la politique stalinienne a mis la classe ouvrière à la remorque de la bourgeoisie. Le fondement de cette opération destinée à priver le prolétariat de perspectives propres a été de présenter la Deuxième Guerre mondiale, non pas comme un affrontement entre impérialismes rivaux, mais comme le combat entre le nazisme et le camp baptisé démocratique.
En prétendant que les deux camps impérialistes n'étaient pas équivalents et en en tirant comme conclusion que le prolétariat devait aider à la victoire du camp prétendument démocratique, en oubliant ses intérêts spécifiques de classe, le mouvement stalinien a dirigé vers une impasse funeste cette génération de militants du mouvement ouvrier et le prolétariat lui- même.
On mesure, aujourd'hui, les conséquences de cette politique. Pour infâme qu'ait été le nazisme comme phase monstrueuse de préservation de l'impérialisme, avec sa durée d'une douzaine d'années, il fut limité dans le temps. L'humanité a payé de millions de morts ce que le régime nazi avait de spécifique en tant qu'une des formes politiques de l'impérialisme. Mais elle n'a pas encore fini de payer de plus de morts encore la consolidation de l'impérialisme, même si elle s'est réalisée à travers la victoire du camp prétendument démocratique. Le nazisme, en tant que régime, fut certes vaincu, mais nullement l'impérialisme, pas même l'impérialisme allemand ou japonais qui n'ont pas tardé à reprendre leur place parmi les brigands impérialistes.
Alors qu'au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la plupart des pays d'Europe, ex-alliés ou occupés auparavant par l'Allemagne, ne disposaient plus d'appareil d'Etat pour contenir et, en cas de nécessité, pour écraser les masses, grâce à la bureaucratie et au mouvement stalinien, l'impérialisme n'eut pas de difficultés majeures en Europe pour assurer la transition de la guerre à la paix impérialiste.
La bureaucratie prit même directement en charge le maintien de l'ordre dans les pays qui devinrent son glacis. Les accords de Téhéran, Yalta et de Potsdam l'ont même consacrée comme un des principaux gardiens de l'ordre impérialiste tel qu'il est sorti de la guerre.
Cet ordre fut cependant remis en cause par la vague de révolutions coloniales qui s'est développée, sous des formes et avec des profondeurs différentes, en Indochine, en Indonésie en 1945, en Inde en 1946 et, surtout, en Chine de 1946 à 1949, entraînant dans leur sillage bien d'autres mouvements d'émancipation nationale. Cette vague révolutionnaire a fait éclater les anciens empires coloniaux, remettant en cause les chasses gardées des vieilles puissances impérialistes, la Grande- Bretagne et la France en premier lieu.
Cette vague révolutionnaire avait cependant des limites de classe. Ces limites ne venaient pas des masses mises en mouvement elles- mêmes, mais de leurs directions politiquement jacobines, appuyées sur la petite bourgeoisie paysanne ou intellectuelle mais fondamentalement bourgeoises, qui ont appris à s'appuyer à l'occasion sur les masses, mais aussi à canaliser leurs luttes pour les limiter à la perspective de l'indépendance nationale avec, au maximum, comme en Chine, l'éradication de certaines relations sociales féodales. Nulle part, ces directions n'ont été concurrencées par des organisations se situant dans la perspective communiste. Au contraire, l'étiquette communiste a servi à Mao pour dissimuler l'élaboration et la mise en place d'un cadre organisationnel destiné à empêcher le prolétariat de s'organiser indépendamment et de représenter un danger pour la petite bourgeoisie nationaliste. Cadre qui a servi de modèle par la suite à bien d'autres directions nationalistes, issues du mouvement stalinien ou non.
La "révolution coloniale" a été la dernière grande vague révolutionnaire internationale qui aurait pu ébranler l'impérialisme si elle avait conflué avec des mouvements prolétariens dans les bastions impérialistes.
Comme dans les années trente, la possibilité d'une transformation sociale fondamentale, si elle a existé, a été bloquée par la "crise historique de la direction du prolétariat". La bourgeoisie a consolidé ainsi, de nouveau, son pouvoir sur le monde pour toute une période historique dont nous ne sommes pas encore sortis.
Mais la reconversion du capitalisme de l'économie de guerre à l'économie en temps de paix a été lente et pénible. Elle a eu pour condition sine qua non l'intensification de l'exploitation, l'abaissement des conditions d'existence de millions d'êtres humains au-dessous du minimum supportable que la bourgeoisie n'a pu imposer qu'avec la collaboration active des organisations ouvrières réformistes ou staliniennes.
La reconstruction de l'économie capitaliste dans une Europe ruinée n'aurait pas pu se faire sans une forte dose d'étatisme. Ce fut en quelque sorte la continuation de l'économie de guerre par d'autres moyens. Les bourgeoisies impérialistes soutenues par le plus puissant des Etats, celui de l'impérialisme américain seul véritable vainqueur de la guerre, soutenant le tout et imposant le dollar comme monnaie universelle, voilà le nouvel ordre impérialiste sur le plan économique.
La reconstruction économique achevée, le commerce international n'a redémarré que de longues années après la fin de la guerre. Commencèrent alors les "Trente glorieuses" (qui n'ont duré en réalité qu'une quinzaine d'années), pendant lesquelles l'économie des pays impérialistes a connu un relatif essor, avec quelques retombées pour les couches supérieures de la classe ouvrière des pays impérialistes.
Mais cet essor tout relatif, entrecoupé d'ailleurs de périodes de dépression, en particulier aux Etats- Unis, n'a été rendu possible pour les pays impérialistes que par l'exploitation et le pillage des pays pauvres. Trotsky affirmait naguère que la "démocratie" impérialiste d'Angleterre ne pouvait fonctionner que parce qu'une dizaine d'esclaves des colonies travaillaient pour chaque citoyen anglais, prolétaires compris.
La fin de l'ère coloniale a donné aux bourgeoisies autochtones un certain rôle et une position sociale un peu meilleure dans le système impérialiste, mais elle n'a pas libéré les esclaves des ex- colonies. Ils ont seulement cessé d'être toujours attachés fondamentalement au même type de maîtres, mais y ont gagné des intermédiaires en plus à entretenir grassement.
Si la perte brutale ou progressive de leurs empires coloniaux a accentué le déclin des impérialismes français et anglais, ou encore belge ou hollandais, la décolonisation n'a nullement été préjudiciable à l'impérialisme le plus puissant de notre époque, les Etats- Unis. La fin des empires coloniaux a signifié la fin des barrières de toutes sortes, destinées à protéger les intérêts exclusifs des vieilles métropoles coloniales.
La plupart des pays devenus indépendants regagnèrent le marché mondial. L'impérialisme américain, qui dominait le marché mondial, avait désormais accès, pour ses marchandises comme pour ses capitaux, à des pays qui lui étaient auparavant plus ou moins fermés.
Au- delà des Etats- Unis, cette situation a favorisé également des puissances comme l'Allemagne ou le Japon, qui étaient privées d'empires coloniaux dans le passé.
La rivalité désormais libre des puissances impérialistes les plus dynamiques dans les ex- empires coloniaux a signifié un pillage plus intense et une exploitation à une plus grande échelle de ces pays.
Ainsi, les révolutions coloniales, dans la mesure où leurs directions les ont empêchées de se transformer en révolutions prolétariennes et de menacer le système impérialiste, ont finalement contribué à renforcer celui- ci. La fin des colonies n'a pas signifié un affaiblissement de l'impérialisme mais, au contraire, lui a offert une base économique élargie.
Seule, pendant un temps, la volonté de certains Etats ex- colonisés de s'entourer de barrières douanières et de protéger par des nationalisations une certaine possibilité de développement économique indépendant, la prétention en quelque sorte de réaliser le "socialisme dans un seul petit pays", a mis un obstacle à la pénétration des capitaux et
des marchandises des puissances impérialistes les plus fortes. Obstacles tout relatifs d'ailleurs car, si l'étatisme économique de ces pays n'a pas conduit à leur développement, il a permis une certaine concentration des surplus sociaux dont ces pays ont souvent dû abandonner une partie plus ou moins grande aux capitaux impérialistes sur le marché international, en particulier des matières premières, dominé par ces derniers.
La raison fondamentale de cette toute relative stabilisation de l'impérialisme pendant cette trentaine d'années a été, sur le plan économique, l'exploitation plus "libre" et donc plus large des pays pauvres. Parallèlement, sur le plan politique, son règne n'a plus été contesté par le prolétariat. L'essor économique même limité de ces années a, en effet, accrédité, aux yeux de la masse des prolétaires des pays développés, l'idée qu'une certaine amélioration de leur sort dans le cadre du système capitaliste était possible, voire vraisemblable. Ce fut la base sociale de la politique des réformistes (les staliniens en étant seulement une variété).
Ce fut de toute façon une stabilisation dans le désordre, marquée par une multitude de guerres coloniales, de guerres locales, de guerres civiles, d'interventions militaires etc. - on aurait recensé 150 conflits armés divers depuis 1945, dont certains ont duré des années, voire des dizaines d'années ! Jusqu'à une période récente, ils semblaient se dérouler dans le cadre de l'affrontement entre les deux blocs, car de toute façon même s'ils n'y trouvaient pas leur point de départ, ils en étaient vite l'enjeu. Mais, depuis l'effondrement de l'Union soviétique, on voit qu'il n'y avait guère de rapport, car certains continuent tandis que d'autres apparaissent.
"La guerre froide" entre les deux blocs a duré trente ans, voire quarante. Elle a connu des moments de tension aiguë : la première crise de Berlin en 1948- 49, l'édification du mur de Berlin en 1961, la crise des fusées à Cuba (1962). La politique américaine du "containment" s'est traduite par deux guerres majeures aux confins des deux blocs : en Corée en 1950- 53 et au Vietnam en 1963- 75. L'antagonisme entre les deux blocs a donné aux dirigeants de certains Etats de pays pauvres, désireux d'obtenir une marge d'indépendance à l'égard des puissances impérialistes, la possibilité d'un certain soutien de l'URSS (économique, voire militaire). Ce choix les a amenés parfois à se proclamer "socialistes" comme à Cuba et dans un certain nombre de pays d'Afrique ou d'Asie.
La prétention socialiste, voire communiste, d'un certain nombre de régimes, dont Cuba n'était certes pas le pire, n'a pas peu contribué à diluer les idéaux socialistes et communistes en les détachant de tout lien avec le mouvement prolétarien.
Pendant que, dans les pays pauvres, le tiers- mondisme offrait une parodie de socialisme, dans les pays développés, le mouvement ouvrier déclinait au fur et à mesure que ses directions se déconsidéraient politiquement : la social- démocratie en raison de sa participation à toutes les crapuleries de l'impérialisme (Algérie, Suez, etc.) et le stalinisme en raison tout à la fois des crapuleries de la bureaucratie soviétique dans sa sphère d'influence mais aussi de l'intégration des partis staliniens dans le système politique de leur bourgeoisie. Sans même parler des directions syndicales qui ne dissimulaient même pas, comme aux Etats- Unis, leur soumission à la bourgeoisie impérialiste de leur pays.
Les militants, dégoûtés de la politique de leur parti, abandonnaient le terrain militant. Les électorats des partis dits de gauche reculaient et, quand cela n'était pas le cas, cela a été au prix de l'abandon des références, depuis longtemps usurpées, à la classe ouvrière, au socialisme ou au communisme.
La crise de pouvoir de la bureaucratie qui a conduit à l'effondrement de l'Union soviétique témoigne, à sa façon, que la bureaucratie elle- même a fini par craindre le prolétariat moins que dans le passé où cette crainte avait été l'une des principales raisons qui lui avait fait accepter pendant plusieurs décennies un régime qui était dictatorial y compris pour elle.
L'effondrement de l'Union soviétique et la désagrégation du mouvement stalinien -liés, mais en partie seulement -ont ouvert une nouvelle phase dans le recul du mouvement ouvrier. Les organisations staliniennes, là où elles regroupaient encore une fraction importante des éléments politisés de la classe ouvrière, n'ont pas été remplacées par d'autres. Le prolétariat est de moins en moins organisé. "La crise historique de la direction du prolétariat" n'est plus seulement une crise au niveau des directions. Avec la dislocation plus ou moins avancée des partis staliniens - depuis longtemps, dans le camp de la bourgeoisie en raison de leur direction, en raison de leur politique - se disloquent des structures organisées encore présentes dans la classe ouvrière et, dans une certaine mesure, sensibles aux pressions de celle- ci. La classe ouvrière en tant que telle pèse de moins en moins sur la vie politique.
C'est une des raisons du renforcement des nationalismes, de l'éveil de micro- nationalismes qui semblaient enterrés par l'histoire, d'une certaine emprise des intégrismes religieux sur de larges masses, des particularismes divers et multiples : de tous ces sous- produits de la pourriture du système impérialiste.
Il s'agit souvent de politiques, de sentiments et d'attitudes propagés d'en haut - en tout cas dans l'ex- Yougoslavie morcelée entre mini- Etats se combattant les uns les autres ou dans l'ex- Union soviétique où la décomposition du pouvoir de la bureaucratie prend, au Caucase ou en Asie Centrale, l'aspect d'affrontements nationalistes. Mais ils finissent, par endroits, par avoir une emprise plus ou moins grande sur des masses privées d'autres perspectives.
Cette balkanisation d'entités territoriales plus vastes est en elle- même une régression, car elle n'a même pas pour contrepartie de donner à des peuples nationalement opprimés la possibilité d'échapper à cette oppression.
Mais, plus grave encore, cette montée des nationalismes et des particularismes oblitère dans une mesure croissante toute idée de transformation globale de la société à l'échelle internationale.
Seule la renaissance d'un mouvement prolétarien politique, se situant sur le terrain de la lutte de classe et défendant l'internationalisme qui repose sur la certitude d'un avenir commun de l'humanité, pourrait jouer, de nouveau, un rôle unificateur entre prolétaires.
Personne n'est en mesure de dire aujourd'hui quand le recul du mouvement prolétarien, engagé depuis trois quarts de siècle, s'arrêtera. Il ne s'agit pas seulement de la reprise des luttes défensives, voire offensives, du prolétariat sur le seul terrain économique. Il s'agit surtout pour le prolétariat, à travers ces luttes, de s'élever au niveau des tâches politiques que l'histoire a placées devant lui.
L'histoire de plus d'un siècle de luttes du prolétariat n'a pas eu bien souvent l'occasion de montrer le rôle décisif qu'un authentique parti communiste joue dans la prise du pouvoir par le prolétariat. Mais, en revanche, elle a eu une multitude d'occasions de montrer comment des organisations réformistes, staliniennes, intégrées dans la société bourgeoise, ou d'autres simplement incapables de la combattre avec efficacité, peuvent contenir l'offensive révolutionnaire des masses, voire paralyser les luttes avant même qu'elles ne se transforment en offensives.
Bien que la domination de la bourgeoisie sur la société impérialiste ne soit pas depuis plusieurs décennies menacée par le prolétariat, l'impérialisme ne s'est pas consolidé à travers une nouvelle période d'essor.
L'économie impérialiste ne parvient pas à sortir de cet état de quasi- stagnation qui est le sien depuis plus de vingt ans. C'est ainsi que, depuis 1972, le monde capitaliste a connu trois récessions internationales, en 1974- 75, en 1980- 82 et en 1990- 92, avec chaque fois une chute de la production industrielle. Chacune de ces récessions a représenté un immense gâchis pour la société.
Mais, au- delà de l'alternance des récessions et des reprises, la progression de la production a été nettement plus faible sur l'ensemble de ces vingt dernières années que pendant les vingt ans précédents. Les périodes dites de reprise ne l'ont été incontestablement que pour les profits, nettement moins pour la production de biens matériels, pratiquement pas pour les investissements productifs et, en Europe et en France en particulier, pas du tout pour ce qui est du chômage.
Les multiples interventions de l'Etat ont joué un rôle décisif même pour ces périodes de reprise toute relative. Ce sont les dépenses des Etats et, au- delà, le système des crédits qui suppléent de façon croissante la stagnation des marchés pour permettre à la classe capitaliste de dégager malgré tout un taux de profit acceptable.
Les déficits croissants des finances publiques en sont partout la contrepartie. Cela conduit à un gonflement incessant du capital financier au détriment du capital productif, mais aussi à l'accroissement incessant de la dette publique. L'accroissement continu des intérêts payés par les Etats reflète le parasitisme croissant du capital. Le grand capital a de moins en moins à se donner la peine de s'investir dans la production ou à dépendre pour son profit des aléas du marché. Les Etats y suppléent. Aux Etats ensuite et, au- dessus d'eux, à celui des Etats- Unis et aux institutions financières genre FMI ou Banque mondiale sous son contrôle, de faire payer le parasitisme du capital à l'ensemble de la population !
Le mécanisme de l'endettement n'est pas seulement une bouée de sauvetage pour le capitalisme et une source de profits pour le capital financier. C'est aussi le mécanisme qui incite sans cesse les capitaux à se détourner de la production au profit de la finance et de la spéculation.
Mais la rente usuraire payée par les Etats, les plus pauvres comme les plus riches, à la classe capitaliste en contrepartie de tous les emprunts, bons du Trésor, etc., a partout pour contrepartie la réduction drastique des dépenses publiques utiles. Chaque Etat ayant à consacrer une part croissante de ses recettes au paiement des intérêts de la dette publique, il y fait face en réduisant les dépenses sociales et ceux des investissements publics qui ne rapportent pas ou pas assez aux grands trusts, mais aussi en laissant se délabrer les infrastructures et en continuant à emprunter.
Au cours de ces vingt dernières années de stagnation du capitalisme, la bourgeoisie est partout parvenue, avec la collaboration des partis dits de gauche et la complicité des organisations ouvrières réformistes, à faire reculer le niveau de vie de la classe ouvrière, à abaisser la protection sociale. Cependant, même la reconstitution dans tous les pays impérialistes d'une forte armée de réserve du fait du chômage, même l'abaissement des salaires, y compris en valeur absolue, n'ont pas ouvert devant le capitalisme une nouvelle ère de croissance.
Pendant que journalistes et politiciens amusent la galerie chaque fois qu'une reprise semble relayer la récession, l'évolution qui se dessine derrière les fluctuations est catastrophique pour l'humanité.
Une "mondialisation" de l'économie, comme jamais auparavant ? Oui, mais l'accroissement important de la circulation des marchandises et des capitaux se limite pour l'essentiel au triangle formé par les Etats- Unis, les pays impérialistes d'Europe, le Japon et quelques comptoirs asiatiques de l'impérialisme mondial. Les échanges commerciaux entre ces trois pôles impérialistes, qui représentaient 58 % des échanges mondiaux en 1980, en représentaient 75 % en 1990. Ce qui signifie que le reste de la planète est laissé à l'écart et que le fossé entre pays développés et pays pauvres s'accroît.
Liens économiques entre nations plus resserrés que jamais, mesurés par l'accroissement sans précédent des transactions financières ? Oui, mais 97 % de ces transactions ne sont, justement, que financières et ne correspondent à aucune circulation de biens matériels. En outre, dans la circulation de biens matériels eux- mêmes, la part des déplacements entre différentes filiales nationales d'un même trust occupe une place sans cesse croissante. De ce fait, même le renforcement de la division du travail et de la coopération inévitable entre nations se réalise de façon artificielle, en fonction des seuls critères de rentabilité des grands trusts et nullement en fonction d'une répartition plus rationnelle des tâches productives entre différentes régions du monde.
Tentative de constitution d'entités économiques plus vastes : l'Europe unie dans une partie de ce continent, l'ALENA en Amérique du Nord, l'EAEC en Extrême- Orient ? Oui, mais ces entités n'ont pas pour perspective de supprimer les frontières, les monnaies et surtout les Etats nationaux qui constituent des obstacles devant tout développement économique rationnel, mais sont au contraire des tentatives pour les sauver. Toutes ces zones de libre- échange servent surtout à consacrer l'emprise de l'impérialisme dominant sa sphère d'influence - Etats- Unis pour l'ALENA ou le Japon pour l'EAEC - ou à organiser la rivalité entre les impérialismes anglais, français et surtout allemand pour la domination sur l'Europe.
Coopération sans précédent entre Etats capitalistes pour prévenir ou atténuer les crises monétaires, les krachs boursiers, un effondrement du système financier ? Oui, mais cet interventionnisme des organismes supra- nationaux de l'impérialisme, Banque mondiale, FMI, etc., ne fait qu'organiser le pillage de la planète au profit du système bancaire et, avant tout, au profit de l'impérialisme américain.
Apparition de nouveaux marchés, constitués de nouveaux produits - informatique, télématique, etc. - susceptibles de donner un nouveau souffle au capital ? Oui, mais l'impérialisme sénile est de moins en moins désireux d'ouvrir de nouveaux marchés. Il y a une profonde tendance du capital à se dégager des secteurs productifs pour aller vers la finance. Les entreprises elles- mêmes sont considérées, dans une mesure croissante, comme de simples supports de produits financiers. Des continents entiers, comme l'Afrique, sont de plus en plus délaissés par le peu de capital productif qu'ils attiraient auparavant. Pendant que la tendance y est au désinvestissement en matière de production, le grand capital se tourne vers l'usure pour prélever une dîme croissante sur ce continent.
Indice plus évident encore de la sénilité du capitalisme impérialiste : son incapacité à profiter de l'effondrement de l'Union soviétique, de la disparition du monopole du commerce extérieur, pour ouvrir de nouveaux marchés pour ses produits et un nouveau champ d'investissement pour ses capitaux. Une des raisons fondamentales du fait que la société soviétique n'a été que très peu transformée au cours des dernières années, malgré la prétention des chefs politiques de la bureaucratie à présider à une contre- révolution sociale, réside dans le fait que le capitalisme n'a plus le dynamisme nécessaire pour occuper le terrain. Trotsky affirmait en 1940 déjà que "le Thermidor russe aurait certainement ouvert une nouvelle ère du règne de la bourgeoisie, si ce règne n'était devenu caduc dans le monde entier."
Jamais la contradiction n'a été plus criante entre les possibilités techniques extraordinaires de l'humanité d'un côté et la misère généralisée de l'autre ; entre les repliements micro- nationalistes et l'internationalisation de l'économie, à un degré inimaginable non seulement au temps de Marx mais même à celui de Trotsky.
La nécessité objective de mettre fin à l'organisation capitaliste de la société demeure entière.
On peut regretter les délais entre la nécessité objective de mettre fin au capitalisme et la capacité du prolétariat à sécréter des partis capables de le conduire à la victoire.
Chaque génération de révolutionnaires a été amenée à constater que les délais annoncés par les générations précédentes étaient plus longs que prévus. Mais la transformation des rapports économiques et sociaux fondamentaux de la société a toujours été, dans le passé, une transformation longue et douloureuse. La bourgeoisie a mis des siècles pour imposer les rapports sociaux dont elle était porteuse et surtout imposer sa domination politique. Dans bien des pays d'ailleurs, elle n'y est pas parvenue complètement.
Alors personne ne peut prédire le temps qui sera nécessaire au prolétariat. Se reposant, à l'approche de la guerre et dans une période de profond recul du prolétariat, la question de savoir où en étaient les trois conditions nécessaires aux yeux des générations de révolutionnaires depuis Marx pour qu'une nouvelle société puisse succéder à l'ancienne, Trotsky constatait que tant du point de vue du développement des forces productives que du point de vue du poids du prolétariat dans la société, les conditions étaient mûres, et de longue date. Mais, ajoutait- il : "La troisième condition est le facteur subjectif. Cette classe doit comprendre la position qu'elle occupe dans la société et posséder ses propres organisations visant le renversement de l'ordre capitaliste. C'est la condition qui manque actuellement du point de vue historique. Au point de vue social, ce n'est pas seulement une possibilité, mais une nécessité absolue dans le sens que ce sera ou le socialisme ou la barbarie. Voilà l'alternative historique".
Plus de cinquante ans après que ces lignes ont été écrites, c'est encore la conclusion fondamentale à tirer de la situation actuelle.
En constatant que, pendant ces cinquante- quatre ans qui nous séparent de la mort de Trotsky, le prolétariat n'a pas fait la révolution ni à partir d'un pays développé, ni à partir d'un pays sous- développé et que, dans aucun pays, n'a pu émerger, en son sein, un parti ouvrier révolutionnaire, on peut se demander si le prolétariat est apte à remplir le rôle historique que Marx et tout le mouvement communiste révolutionnaire voyaient en lui.
Pour Marx et Engels, le prolétariat ne pouvait venir au pouvoir que par l'organisation en un parti incarnant la conscience à un niveau élevé des intérêts et du rôle de l'ensemble du prolétariat. Mais ce parti ne pouvait réunir les plus conscients et les plus déterminés que sur la base d'une élévation de la conscience, de la culture de ses plus larges couches, voire de la majorité. Voilà pourquoi, aussi bien Marx que, plus encore, Engels qui a vécu plus tard et qui a suivi de près les activités de la Deuxième Internationale, attribuaient tant d'importance à l'éducation du prolétariat et à la conquête des libertés démocratiques à l'intérieur même de la société capitaliste, permettant cette éducation politique large.
En fait, l'histoire a suivi un autre cours, et la seule révolution prolétarienne qui a eu lieu s'est produite dans un pays autocratique. Ce pays était, de surcroît, arriéré, et le prolétariat n'y représentait qu'une minorité au milieu d'une paysannerie vivant dans les conditions du Moyen- Age, avec un niveau culturel en conséquence. Mais ce prolétariat russe était d'emblée concentré dans de grandes entreprises modernes, avec ce que cela pouvait donner comme sentiment de solidarité, comme éducation collectiviste et comme rôle décisif dans l'économie. En outre, la guerre a non seulement donné des armes à ce prolétariat mais lui a permis de se lier politiquement à la paysannerie en transformant la fraction la plus jeune et la plus dynamique de celle- ci en soldats, mêlés aux ouvriers d'abord dans la souffrance commune du front, puis dans l'agitation révolutionnaire des villes... et des casernes.
L'histoire n'a pas donné à ce prolétariat la possibilité de s'éduquer autrement qu'à travers et au moment de ses propres luttes. Il n'a pas pu profiter de conditions démocratiques pour préparer sa prise de pouvoir ; c'est, au contraire, lui- même qui a imposé les libertés démocratiques pour lui- même comme pour la société : de façon provisoire en 1905, puis à partir de février 1917, c'est- à- dire lorsqu'il était déjà aux portes du pouvoir.
Quels ont été au cours des cinquante dernières années, les changements internes au prolétariat, susceptibles de peser sur son aptitude révolutionnaire ?
Dans les pays sous- développés, le prolétariat a souvent été soumis à des dictatures plus féroces que ne le fut l'autocratie tsariste. Et, surtout, la pourriture de l'impérialisme fait que l'évolution économique sous- prolétarise des masses paysannes importantes, au sens qu'elle les chasse des campagnes, sans pouvoir leur offrir la condition de prolétaires dans les entreprises industrielles. Le sous- prolétariat des bidonvilles se développe avec une tout autre rapidité que le prolétariat industriel. La majorité de ce sous-prolétariat n'a aucune chance d'être intégrée dans la production, avec les liens, la solidarité, l'éducation et la conscience que cela implique. Et ce sous- prolétariat est, le plus souvent, encadré par toutes sortes d'organisations réactionnaires, religieuses, ethniques et, plus généralement encore, franchement mafieuses.
Le prolétariat industriel ou organisé dans ou autour d'un parti révolutionnaire pourrait bien entendu attirer derrière lui ce sous- prolétariat et en faire un allié dans son combat contre la bourgeoisie. Mais c'est précisément l'émergence d'un tel parti qui pose problème, tant le prolétariat industriel est minoritaire et non concentré au milieu du sous-prolétariat.
Dans les pays développés, la composition du prolétariat a subi des modifications découlant du rôle de plus en plus usuraire de son impérialisme, renforçant les structures dites tertiaires.
Durant la courte période de son essor, l'impérialisme a eu les moyens, matériels et politiques, de corrompre la couche supérieure de la classe ouvrière - mais il a surtout corrompu les appareils syndicaux et politiques en son sein. Les plus gros contingents du prolétariat mondial sont cependant toujours concentrés dans les grands pays impérialistes - ainsi qu'en Russie et dans l'est de l'Europe. Même dans les pays riches, la condition prolétarienne n'a pas véritablement changé pour la masse de la classe ouvrière. Avec le marasme de la dernière période, avec le chômage, la destruction des protections sociales, même le sort de la couche supérieure du prolétariat devient aléatoire.
A l'échelle du monde, il n'y a pas une régression numérique du prolétariat -il est proportionnellement au moins aussi nombreux par rapport à l'ensemble de la société qu'il l'avait été dans le passé. Il est de surcroît présent dans un certain nombre de pays où il n'existait que de façon embryonnaire au moment de la révolution russe. Il est toujours - et certainement plus qu'au temps de Marx - la classe exploitée la plus nombreuse, celle qui est concentrée au c½ur de l'économie moderne et la seule qui, objectivement, n'a aucun intérêt de classe au maintien de la propriété privée des moyens de production et de la société capitaliste. Aucune des raisons pour lesquelles Marx voyait en lui la seule classe révolutionnaire de notre temps n'a disparu (rôle qu'il a joué bien des fois dans le passé, dans la réalité sociale et pas seulement dans les écrits des théoriciens du communisme).
Dans la réalité, la catégorie sociale qui a failli à sa tâche au cours des décennies passées est bien plus celle des intellectuels que le prolétariat. Aussi bien la Première Internationale que la Deuxième, puis la Troisième ont été constituées par la rencontre entre la fraction la plus avancée de l'intelligentsia avec le mouvement ouvrier. Cet apport des intellectuels a été de tout temps un élément constitutif du mouvement communiste révolutionnaire depuis ses origines, depuis Marx et Engels. Le bolchévisme lui- même résultait de la fusion entre une génération d'intellectuels entièrement dévouée à la cause de la transformation communiste de la société, avec un courage et des méthodes forgés dans la lutte contre l'autocratie et ayant acquis une vaste culture théorique et politique, et les meilleurs éléments d'un prolétariat jeune, combatif et concentré dans les grandes entreprises modernes que les impérialistes avaient construites en Russie.
La classe ouvrière elle- même, soumise au poids de l'exploitation, n'accède pas facilement et spontanément à la conscience politique à la compréhension de l'évolution des sociétés et des moyens de transformer celles- ci.
De leur côté, les intellectuels les plus sincèrement opposés à la société capitaliste et les plus déterminés à oeuvrer pour sa transformation révolutionnaire ne peuvent rien sans avoir l'appui du prolétariat, la seule classe nombreuse, concentrée dans les lieux de production, capable d'accomplir le bouleversement social en profondeur qu'implique le remplacement de la société capitaliste par une nouvelle société.
La constitution de la Première Internationale s'est faite ainsi. La Deuxième Internationale, en tout cas ses partis les plus puissants, se renforcèrent de la même façon. Et il en fut de même pour tous les partis de la Troisième Internationale, Parti bolchevik compris.
La constitution de véritables partis communistes révolutionnaires, capables de jouer leur rôle dans toutes les crises sociales afin de tenter de les amener vers une issue révolutionnaire, nécessite tout à la fois qu'une fraction des intellectuels se détache de l'emprise de la bourgeoisie pour passer dans le camp du prolétariat, comme il nécessite qu'il y ait un courant parallèle de la part du prolétariat.
C'est essentiellement l'intelligentsia qui n'a pas joué, durant les décennies précédentes, le rôle qui devait être le sien. Pire, c'est bien souvent elle qui a été le vecteur principal de la dégénérescence des organisations ouvrières. Nous avons retracé les différents moments, entre les deux guerres et aux lendemains de la dernière, où le prolétariat a été au rendez- vous, mais pas les organisations qui prétendaient le guider, si ce n'est comme obstacle devant ses élans révolutionnaires.
Or, si la dégénérescence bureaucratique de l'Union soviétique a eu des raisons sociales profondes, liées au découragement d'une classe ouvrière russe qui avait beaucoup donné et qui s'est retrouvée isolée, la transformation de tous les partis communistes, sans exception, en partis staliniens a été, en revanche, largement imputable au fait qu'il n'y a pas eu, parmi les intellectuels de ces partis communistes, des gens capables de voir l'éloignement de la bureaucratie des idéaux communistes et pire encore le courage de s'y opposer. Sans parler de ceux qui en ont été les principaux complices.
Autant l'intégration des grands partis de la Deuxième Internationale dans la société bourgeoise a été en partie le fait d'une aristocratie ouvrière, autant la dégénérescence stalinienne des différents partis communistes dans les années trente n'a pas dû grand chose à l'intégration d'une couche d'ouvriers - les militants ouvriers du Parti communiste ne pouvaient s'attendre qu'à des coups à cette époque, pas à une promotion sociale - mais a dû beaucoup à la trahison des intellectuels, voire à leur intégration dans la société.
Et après la guerre, dans les pays pauvres ébranlés par des soubresauts révolutionnaires, même quand l'intelligentsia fournissait des chefs révolutionnaires, elle fournissait des Mao ou des Castro, des Ho Chi Minh ou des Che Guévara, mais pas de Marx, d'Engels, de Lénine, de Rosa Luxembourg ou de Trotsky. Mais bien plus souvent, elle ne fournissait que des cadres arrivistes, pour qui les masses exploitées n'étaient que des fantassins, utiles seulement pour obtenir de l'oppresseur impérialiste cet Etat indépendant dans lequel ils pourraient occuper postes et positions.
La fraction militante de l'intelligentsia a choisi, dans les pays pauvres, le combat nationaliste, tiers- mondiste, etc. et, dans les pays développés, la mouvance social- démocrate, voire même stalinienne, dispensatrice de postes, électoraux ou non, de positions, mais sans espoir de faire avancer la cause du communisme !
Même la fraction la plus dévouée des intellectuels révolutionnaires des pays impérialistes s'est, pendant des années, mise à la remorque de ces courants nationalistes à la mode, a fait le succès du maoïsme et s'est détournée du mouvement trotskyste ou l'a contourné.
Alors, l'humanité a perdu plusieurs décennies pendant lesquelles l'impérialisme a perduré, comme ont perduré et se sont aggravés les maux qu'il véhicule. Mais on n'a perdu que du temps, et sur le fond, rien n'est perdu car nous avons la conviction qu'un jour ou l'autre, une génération d'intellectuels révolutionnaires rejoindra le prolétariat qui a, réellement, la capacité de changer le monde.
Les délais sont ce qu'ils sont, mais le capitalisme ne peut être la dernière forme de société que connaîtra l'humanité.
Novembre 1994

L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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