Nazisme et grand capital

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par gipsy » 26 Mars 2005, 10:34

une polémique dans rouge avec LO:

a écrit :Un peu d’histoire...
Nazisme et grand capital


Sylvain Pattieu répond ici à la conception simpliste des relations entre patronat et nazisme qui veut que le deuxième ait été une marionnette du premier.

Deux écueils sont à éviter pour qui veut comprendre le nazisme 1. Le premier fait du nazisme l’expression de la folie et de la volonté d’un homme, Adolf Hitler. Il ne s’agit pas de nier le pouvoir charismatique, la place fondamentale qu’il tenait au sein du régime, mais le nazisme tout comme le génocide sont le résultat d’un ensemble de circonstances, et pas seulement le fruit de la volonté d’un homme ou d’une idéologie. L’autre écueil, sur le modèle des conceptions du Komintern des années 1930, fait des nazis de simples marionnettes dans les mains du « grand capital ». Un exemple récent de cette conception simpliste est un article paru dans Lutte ouvrière : « Bien avant l’arrivée de Hitler au pouvoir, les milices nazies ont bénéficié d’aides financières considérables de la part du grand patronat allemand, des Krupp et des Thyssen, qui y voyaient un instrument capable de s’opposer à la classe ouvrière allemande. Ces milices avaient recruté des milliers de petits commerçants enragés, car ruinés par la crise économique qui avait éclaté en 1929, mais aussi recruté dans les bas-fonds de la société. Le patronat n’a jamais été très exigeant sur la moralité de ses hommes de main ! » 2

Considérer les nazis comme de simples hommes de main du patronat est un contresens historique. Deux problèmes distincts se posent en fait : celui de l’arrivée au pouvoir d’Hitler, et celui de la politique économique menée pendant les douze années durant lesquelles il a eu le pouvoir : en quoi pouvait-elle « servir » les intérêts du capitalisme allemand, et qui dirigeait vraiment l’économie, les nazis ou le patronat ?

L’arrivée au pouvoir d’Hitler

L’arrivée au pouvoir d’Hitler ne s’explique pas seulement par l’action du grand patronat allemand. L’historien R. Paxton rappelle que « l’examen détaillé des archives de l’industrie montre que la plupart des hommes d’affaire allemands, prudents, contribuèrent à toutes les formations politiques non marxistes ayant la moindre chance de barrer la route aux marxistes ».3 Certains patrons allemands finançaient donc les nazis, mais pas prioritairement, et ils préféraient réserver leurs oboles aux partis conservateurs, beaucoup plus prévisibles et fiables de leur point de vue que ce parti extrémiste aux projets économiques incertains. Le nazisme n’avait rien à voir avec une sorte d’armée privée financée par les patrons, et le cas du métallurgiste Thyssen, qui soutint très tôt Hitler (mais rompit avec lui en 1939), est une exception. Mais les résultats électoraux du parti nazi (même s’il n’obtint jamais la majorité), sa capacité à occuper la rue et à multiplier les violences contre la gauche, et la situation d’impasse politique dans laquelle se trouvait la droite en firent un interlocuteur incontournable. Hitler s’engagea dans une politique du tout ou rien, revendiquant le poste de chancelier alors que la droite lui proposait de participer à des coalitions, ce qui lui rapporta beaucoup mais faillit lui coûter cher. En novembre 1932, alors que le parti nazi était passé de 37 % à 33 % des voix aux élections depuis juillet, les caisses du parti étaient vides.

Ce sont les blocages internes à la droite, dus aux difficultés économiques et aux troubles sociaux entretenus par les nazis eux-mêmes (batailles de rue contre les communistes, violences politiques) qui provoquèrent la nomination d’Hitler au poste de chancelier, en janvier 1933. La rivalité à droite entre von Schleicher et von Papen, favori du patronat, entraînèrent la constitution d’un pacte secret entre le vieux président Hindenburg et von Papen pour installer Hitler, solution de compromis, au poste de chancelier, avec une majorité de ministres conservateurs. Ce qui conduit l’historien Alan Bullock à parler d’une « conspiration d’escalier de service ».

Hitler au pouvoir

Les milieux d’affaires allemands étaient depuis longtemps hostiles à la République de Weimar, et ils prônaient un gouvernement autoritaire conservateur capable de maintenir l’ordre. Hitler donna des gages d’efficacité dès son arrivée au pouvoir en écrasant le mouvement ouvrier (syndicats, partis de gauche) et réprimant l’aile la plus remuante du parti nazi (les SA lors de la nuit des Longs Couteaux en 1934). Le nazisme avait délivré la grande industrie d’un climat social troublé, sans toucher aux privilèges patronaux et à la propriété privée. Ils reçurent des subsides beaucoup plus conséquents de la part d’un patronat soucieux de se ménager leurs bonnes grâces. Mais les nazis devaient composer avec ces milieux patronaux, tout comme avec l’armée, très puissante en Allemagne, et ils ne parvinrent que progressivement à l’hégémonie. Hitler arbitra, avec le plan de quatre ans de 1936, en faveur du réarmement et de l’autarcie en vue de la guerre, contre les industries d’exportation qui privilégiaient le commerce international. Il favorisa les intérêts industriels liés à la firme IG Farben, géant de l’industrie chimique. Le IIIe Reich fut une source de profits considérables pour ces secteurs industriels. Le bénéfice de IG Farben passa ainsi de 70 millions de marks en 1933 à 300 millions en 1940.

L’industrie, indispensable aux objectifs guerriers du régime, disposait de marges de marchandage qui ne l’inféodait pas complètement au pouvoir nazi. Cependant, l’initiative de la politique économique restait nazie, ainsi que les modalités de son exécution, d’où un primat relatif du politique sur l’économique. Les intérêts industriels n’en profitèrent pas moins presque jusqu’à la fin de la politique nazie. Le patronat allemand n’hésita pas à s’approprier le capital juif après les mesures antijuives, avec « l’aryanisation » des entreprises. La main-d’œuvre à moindre coût concentrée dans les ghettos polonais était exploitée sans vergogne, tandis que la grande industrie profitait largement du pillage des ressources des territoires occupés par l’armée. À la fin de la guerre seulement, le nihilisme radical des nazis entra en contradiction avec une politique économique rationnelle, preuve de la relative autonomie de l’État nazi. L’extermination des Juifs, des Tsiganes et des autres catégories vouées à la destruction dans les camps, rendue possible par la guerre et la conquête brutale, ne répond à aucune explication économique mécaniste, et elle finit par primer sur l’effort de guerre ou l’effort industriel. À ce dernier stade, la politique nazie ne coïncidait plus avec l’intérêt suprême du capitalisme, à savoir sa propre reproduction.

Sylvain Pattieu

1. Cf. Ian Kershaw, Qu’est-ce que le nazisme ?, « Folio histoire ». 2. « La mémoire, c’est se souvenir de tout ! », éditorial de Lutte ouvrière n° 1904, 28 janvier 2005. 3. Robert O. Paxton, Le Fascisme en action, Le Seuil.

gipsy
 
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Message par Barikad » 26 Mars 2005, 11:00

a écrit :Etonnant. Ce Sylvain Pattieu, rédacteur à "Rouge", est capable de rédiger un article sur les rapports entre nazisme et patronat sans faire une seule fois référence à ce qu'à pu écrire Trotsky à ce sujet. C'est pourtant la moindre des choses que de rappeler la conception trotskyste de ce que fut le national-socialisme, avant d'évoquer les thèses d'historiens non-marxistes.
Il se trouve que Sylvain Pattieu fais partie justement de ceux qui se defendent d'etre trotskiste. Si si, je vous jure, il y en a à la ligue :dry:
Barikad
 
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Message par pelon » 26 Mars 2005, 14:46

Deux remarques avant de discuter du fond de l'article :
1)
(article du fil a écrit :
L’autre écueil, sur le modèle des conceptions du Komintern des années 1930, fait des nazis de simples marionnettes dans les mains du « grand capital ». Un exemple récent de cette conception simpliste est un article paru dans Lutte ouvrière : « Bien avant l’arrivée de Hitler au pouvoir, les milices nazies ont bénéficié d’aides financières considérables de la part du grand patronat allemand, des Krupp et des Thyssen, qui y voyaient un instrument capable de s’opposer à la classe ouvrière allemande. Ces milices avaient recruté des milliers de petits commerçants enragés, car ruinés par la crise économique qui avait éclaté en 1929, mais aussi recruté dans les bas-fonds de la société. Le patronat n’a jamais été très exigeant sur la moralité de ses hommes de main ! »


Lutte Ouvrière n'a jamais considéré que les nazis étaient des "simples marionnettes" des capitalistes allemands (d'ailleurs ce qui est cité de l'article de LO ne dit pas cela). Que le grand capital allemand les ait choisi comme solution, "plutôt les nazis que la révolution", c'est par défaut. Rappelons que les bourgeois, ce qu'ils préfèrent, c'est leur démocratie. En période de crise par contre, ils vont à l'essentiel, il faut bien sauver les meubles et les grands humanistes sont capables d'utiliser les pires des barbaries. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Ce Pattieu n'est pas seulement non-marxiste mais il n'est même pas cartésien. Il devrait apprendre à lire et ne pas simplifier ce que disent les autres pour faire briller ses banalités.
2) Pattieu est un exemple de plus de cette dégénérescence de certains à l'extrême-gauche qui consciemment ou pas, donnent des gages à la bourgeoisie. Il faut que le nazisme soit autre chose. Il ne faut pas qu'il entre dans les analyses marxistes. Mais il faudra revenir sur l'originalité de ce qu'il écrit.

(Lapalisse Pattieu a écrit :
Mais les résultats électoraux du parti nazi (même s’il n’obtint jamais la majorité), sa capacité à occuper la rue et à multiplier les violences contre la gauche, et la situation d’impasse politique dans laquelle se trouvait la droite en firent un interlocuteur incontournable.

Mais c'est bien sûr. Si les nazis n'avaient pas représenté une force donc une solution pour que l'ordre social de la bourgeoisie soit maintenu, cette dernière ne se serait jamais intéressé à ceux qui n'étaient pour elle que des voyous. Des voyous utiles comme il existe des imbéciles utiles.
pelon
 
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Message par Koceila » 26 Mars 2005, 17:20

a écrit :Pattieu est un exemple de plus de cette dégénérescence de certains à l'extrême-gauche qui consciemment ou pas, donnent des gages à la bourgeoisie.


C'est d'autant plus vrai que celà en devient pathétique..........ouai! :(
Koceila
 
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Message par Serp i Molot » 01 Avr 2005, 13:06

" A ce moment, trois cents nouvelles industries de guerre environ avaient vu le jour en Allemagne, dont cent quarante construisaient des avions et des pièces d'artillerie. Le secteur militaire occupait deux millions et demi d'ouvriers, tandis que, chaque année, l'Allemagne dépensait pour ses préparatifs de guerre 70% environ de ses rentrées. Au lieu de diminuer, l'aide financière américaine augmentait: de 1933 à 1939, les Américains investirent dans l'économie allemande plus de quatre-vingt dix milliards de marks!

p29

La standart Oil et la Dupont de Nemours, la Chase National Bank qui avaient des rapports très étroits avec les banques, les consortiums de l'industrie lourde et de l'industrie de guerre contribuèrent largement à leur développement et à la création de réserves considérables de matériel en vue d'un prochain conflit.
Les premières victimes du fascisme en Europe et en Asie
Le spectaculaire accroissement de la puissance militaire de l'Allemagne et sa politique ouvertement agressive, ne trouvèrent aucun obstacle dans les pays d'Europe occidentale. Fidèles à leur politique traditionnelle anti-soviétique, l'Angleterre, la France et les Etats-Unis repoussèrent à la Société des Nations toutes les propositions de l'URSS, pour une politique de garantie collective, selon la formule de Litvinov. Bien plus, toute leur stratégie se résuma à conjuguer leurs efforts, en vue d'une illusoire «'pacification" de l'Allemagne, en accédant à ses revendications dans l'espoir de détourner sur l'Union Soviétique l'agressivité hitlérienne. "

ETC...
Serp i Molot
 
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Message par pelon » 01 Avr 2005, 15:40

a écrit :
Pourtant - mais peut-etre ai-je lu trop vite...-, je ne vois tout de meme pas en quoi l'auteur de l'article de Rouge "donne des gages à la bourgeoisie".

Tu as raison de vouloir être précis. Il ne faut pas faire de procès d'intentions. Mais ce n'est pas la première fois que dans Rouge on trouve des analyses qui plaisent à un courant qui remet en cause ce qui était le fond commun des trotskystes, par exemple, leur dossier sur le léninisme ou la révolution russe (Rouge n° ?). C'est évidemment leur droit comme c'est le mien de penser qu'il s'agit d'une adaptation aux idées ambiantes, de remise en cause du marxisme pour faire moderne et indépendant. Bien entendu, on n'est ni à la fin de l'Histoire ni à la fin des idées et il ne faut pas rejeter à priori toute nouvelle contribution même si elle ne provient pas d'un marxiste (ce que l'on ne présuppose pas d'un rédacteur de Rouge).
Mais, en l'occurence, quelles sont les nouvelles découvertes ou nouvelles idées sur la révolution russe ou, puisque c'est le sujet, sur le nazisme (par rapport au grand capital) ?
Alors, comme tu l'écris :
a écrit :
Il existe certes tout un courant politico-historique qui veut faire du nazime "une horreur à part"

Mais tu reconnaitras avec moi que Pattieu leur donne un coup de main. J'avais d'ailleurs écrit précisément "... consciemment ou pas donne des gages à la bourgeoisie" même si c'est à la petite bourgeoisie qu'il veut plaire.
Il ne faut effectivement être simpliste pour penser que Lo "fait des nazis de simples marionnettes dans les mains du « grand capital"". Mais le pense-t-il vraiment alors que sa citation de Lutte Ouvrière ne dit pas cela ?
Par contre, que le nazisme, comme d'autres régimes barbares, soit, dans certaines situations, une solution malgré tout acceptable par la bourgeoisie (et en particulier par ses dirigeants), c'est cela qui n'est pas politiquement correct.
Alors Pattieu ne dit pas vraiment le contraire mais il l'atténue. Quand par exemple il écrit :
a écrit :
L’extermination des Juifs, des Tsiganes et des autres catégories vouées à la destruction dans les camps, rendue possible par la guerre et la conquête brutale, ne répond à aucune explication économique mécaniste, et elle finit par primer sur l’effort de guerre ou l’effort industriel. À ce dernier stade, la politique nazie ne coïncidait plus avec l’intérêt suprême du capitalisme, à savoir sa propre reproduction.

Personne ne dit le contraire mais quel est l'intérêt de cette phrase ? De dire qu'il ne faut pas l'imputer [L’extermination des Juifs, des Tsiganes et des autres catégories vouées à la destruction dans les camps] au grand capital ?
Pour compléter, nous avons pas mal discuté du sujet avec l'historien François Delpla, écrivain qui collabore, je crois, à "Historia" et qui déconnecte le nazisme d'une politique du grand capital. On essaiera de te trouver les liens.
pelon
 
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