Cette discussion avec Caupo est vraiment à se taper la tête contre les murs... Impossible de répondre à tout, je me bornerai à deux points :
1)
(Caupo @ dimanche 27 mars 2005 à 20:51 a écrit :cette théorie definit bien un moment très proche du zéro, d'un début. [...] Alors si ça n'est pas un début, c'est vachement proche.
Mais qui a dit le contraire ? Justement c'est
proche de zéro, mais avec les équations que l'on sait pouvoir écrire,
cela ne peut jamais être zéro ! Pour quelqu'un qui parle tant de la portée philosophique des théories scientifiques, la différence devrait sauter aux yeux :
le modèle standard ne décrit aucune origine. Cela ne signifie nullement qu'il n'y a pas d'
avant ce moment sur lequel bute la théorie ; cela veut dire que l'avant (quel qu'il soit) n'est pas décrit par
ce modèle... on sort là du domaine d'application de théories aussi bien connues et vérifiées expérimentalement que la physique quantique et la relativité générale. Autrement dit, une extrapolation au delà du temps de Planck, qui mènerait à une singularité, n'est pas scientifiquement fondée. C'est tout simplement ce qu'explique le passage partiellement cité par Caupo :
a écrit :En revanche, si l'on remonte encore le temps, jusqu'à l'Univers du temps de Planck (la minuscule fraction de seconde où les effets gravitationnels et quantiques ne peuvent plus être séparés), il ne peut se décrire par les théories physiques connues. La notion de singularité initiale, souvent évoquée, signifie simplement que le calcul débouche sur une valeur infinie d'un paramètre physique.
Cela paraît parfaitement limpide... mais c'est en fait la suite qui gène Caupo, bien qu'elle soit également fort claire et qu'elle n'implique nullement ce que Caupo s'obstine à y voir :
a écrit :Lorsque le physicien tombe nez à nez avec un infini dans une équation, il n'a de cesse de le faire disparaître, comme un point aveugle de la théorie. Dans la réalité physique, il n'y a pas de place pour l'infini, pensons-nous. C'est plutôt une signature de l'incapacité de la théorie à décrire l'espace, la matière (mais aussi le temps, puisque aucun élément du trio n'a d'existence autonome, comme nous l'apprend la relativité), dès lors que l'on s'approche trop près de l'origine.
Je veux bien concéder à Caupo que l'expression "Dans la réalité physique, il n'y a pas de place pour l'infini, pensons-nous" est malheureuse si on cherche à lui faire dire plus que ce que dit l'article, qui est parfaitement juste sur le problème des "points aveugles" (il y a à cela une raison fort simple : si une fonction prend une valeur infinie en un point, elle n'y est évidemment pas différentiable et on ne peut pas intégrer les équations dont elle est solution au delà de ce point -- en plusieurs dimensions, on peut éventuellement "contourner" la singularité ; en une dimension c'est rédhibitoire !). Mais l'existence possible d'infinis en physique n'est nullement liée, dans l'absolu, au modèle standard, lequel ne tranche d'ailleurs pas a priori sur la possibilité ou non d'une expansion infinie de l'univers, donc sur la possibilité d'un temps futur infini (la solution donnée par le modèle dépend de la densité moyenne de l'univers, laquelle reste extrêmement mal connue puisque les estimations extapolées à partir de données de natures diférentes conduisent à des valeurs incompatibles avec les barres d'erreur -- je signale au passage que ces difficultés, si elles conduisent dans le cadre du modèle à envisager l'existence de "matière noire" voire d'"énergie noire", ne découlent pas de la structure de la théorie, et balancer le modèle standard à la poubelle ne les règlerait nullement).
Ce qui est assez amusant dans cette discussion c'est que le modèle standard offre une théorie sur l'histoire d'un univers en évolution... et c'est précisément cette approche historique qui, initialement, génait ceux qui, au nom des principes religieux d'un monde immuable créé de toute éternité, ne voulaient pas en penser le changement (c'est très clair chez Newton : pour lui seule l'infinité d'un univers soumis à la gravitation universelle peut le prémunir d'un effondrement sur lui-même -- ce qui est d'ailleurs mathématiquement faux, mais Newton ne semble pas s'en être aperçu). Le fait que les cathos aient cherché à se raccrocher aux branches en
interprétant le modèle standard comme une "preuve" de la création n'y change rien !
2) Si on discute de ce qu'écrivent
réellement les uns et les autres, ce sera plus simple : concernant
Matérialisme et empiriocriticisme, j'ai écrit plus haut que "
sur le plan scientifique, c'est à mettre intégralement à la poubelle" tout en soulignant que "cet aspect n'était d'ailleurs pas le coeur de l'ouvrage, il s'agissait plus fondamentalement d'une polémique contre ceux qui remettaient en cause le marxisme sous prétexte de découvertes scientifiques et philosophiques nouvelles, notamment de Ernst Mach". Je persiste et je signe... en pensant d'ailleurs que ce devrait être aujourd'hui une évidence pour tout lecteur de l'ouvrage qui sait un tant soit peu ce qu'était la physique de l'époque (rappelons que c'est écrit avant la relativité générale et la physique quantique, et il est plus que probable que Lenine ne connaissait pas la relativité restreinte publiée peu avant).
Ici encore, la discussion avec Caupo est amusante, car une fois de plus à contre-emploi : Mach et ses disciples avaient, eux, connaissance de la relativité restreinte et du papier de Einstein établissant la célèbre formule E=mc2. Et la conclusion que certains en tiraient (sous des formes plus ou moins alambiquées et plus ou moins abouties) était en substance que, puisque la matière peut se transformer en énergie (et vice-versa), elle ne constitue pas un composant stable, immuable, de l'univers matériel, que par conséquent la matière et l'univers n'ont pas véritablement d'existence réelle... et qu'il fallait donc abandonner le matérialisme. Le matérialisme fondé sur le postulat de l'existence d'une matière inaliénable : c'est précisément un point que Lénine réfute dans
Matérialisme et empiriocriticisme (il en dénonçait à juste titre les tenants comme non dialecticiens)... et dont Caupo nous ressort une variante en affirmant que les notions d'univers infini dans le temps et l'espace sont "à la base du matérialisme" ! C'est comique...
Pour conclure (provisoirement ?) : je suis matérialiste, mais ce serait l'être piètrement que de croire le matérialisme menacé par une théorie physique comme le modèle standard...