Il y a soixante ans...

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par emma-louise » 07 Mai 2005, 12:52

a écrit :Il y a soixante ans...
Les massacres de Sétif et Guelma
Le 8 mai 1945, l’armée coloniale française massacrait des milliers d’Algériens à Sétif et à Guelma. Si cette date ne marque pas le début de la guerre de libération, elle marque une étape de l’affaiblissement de l’Empire français.

Le 8 mai 1945, à Sétif, dans le Constantinois, la population algérienne manifeste pour célébrer la victoire alliée1. Le prestige de la France puissance coloniale a été affaibli avec la défaite de 1940, puis lors du débarquement allié de novembre 1942, où les États-Unis ont diffusé en masse la Charte de l’Atlantique, document qui condamne le colonialisme. Face aux déceptions engendrées par la métropole, qui refuse d’accorder l’égalité politique aux « Français musulmans d’Algérie », le nationalisme algérien s’est radicalisé depuis les années 1930, à l’image d’un leader modéré comme Ferhat Abbas, d’abord assimilationniste, puis partisan d’un Commonwealth à la française, et enfin indépendantiste. Auteur en 1943 du Manifeste du peuple algérien, il a créé les Amis du manifeste et de la liberté (AML), mouvement qui revendique une large autonomie. L’Étoile nord-africaine, mouvement plus radical formé par Messali Hadj, ouvrier algérien d’abord proche du Parti communiste, dissoute en 1937, s’est transformée en Parti du peuple algérien (PPA), et a investi les AML. En avril 1945, Messali Hadj est préventivement déporté par les autorités à Brazzaville. Aussi, dès le 1er mai 1945, des manifestations éclatent dans plusieurs villes d’Algérie, durant lesquelles des slogans nationalistes sont criés et des drapeaux de l’Étoile nord-africaine (l’actuel drapeau algérien) brandis : la police intervient et plusieurs morts sont à déplorer du côté algérien.

Le 8 mai à Sétif, les mots d’ordre nationalistes, anticolonialistes et favorables à la Charte de l’Atlantique sont donc associés à la victoire sur le nazisme. La police tue un jeune scout musulman qui portait le drapeau rouge, blanc et vert. La manifestation dégénère en émeute, les troubles s’étendent à toute la région, et des Européens isolés sont attaqués et massacrés par la population. Leurs cadavres sont souvent mutilés : des années de domination et d’humiliation trouvent ainsi un violent exutoire.

Terrible riposte coloniale

La riposte de l’État colonial est terrible. L’armée conduit la répression dans la région de Sétif, sous les ordres du général Duval, procède à des exécutions sommaires ; l’aviation mitraille des villages. Le grand écrivain Kateb Yacine décrit dans son roman, Nedjma2 : « Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y’en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres, y’a pas de montagne, pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus personne autour de moi. »

À Guelma, ce n’est pas l’armée qui se charge de la sale besogne, mais des milices d’Européens encouragées par le sous-préfet André Achiary3. Ce dernier, héros du débarquement de 1942, un des rares représentants de la Résistance en Algérie, n’est pas un homme du sérail de la préfectorale : il veut faire ses preuves et montrer qu’il maîtrise la situation sans l’armée. Après le 8 mai 1945, réprimé à Guelma aussi, il fait arrêter les militants connus du PPA ou des AML. Deux mille cinq cents sont ainsi arrêtés puis jugés dans un simulacre de procès par des gendarmes, des policiers, des miliciens autoproclamés Comité de salut public, avant d’être emmenés et exécutés.

Le témoignage d’un survivant, Ouartsi Salah Ben Tahar, épargné car non militant, mais chargé d’enterrer les cadavres, est éclairant, lorsqu’il donne sa version des faits quelques mois plus tard à un commissaire chargé d’un rapport sur la répression : « Étaient avec nous comme miliciens K. A., agent des RG, L. employé au CFA, C., employé à l’hôpital ; nous sommes revenus à la gendarmerie. Le lendemain, 15, à 9 heures, départ de la même équipe, route de Millésimo ; arrivés à la ferme Cheymol, à droite sur la route, nous avons trouvé les cadavres dont quelques-uns étaient carbonisés, nous étions accompagnés de J. et de F. H. À la demande de ce dernier, J. a répondu qu’il y avait cinquante-quatre cadavres. Sous la conduite de J., nous sommes allés à la ferme Cheymol chercher les brouettes et les fourches. Un quart d’heure plus tard, pendant qu’on enterrait les cadavres, deux voitures arrivent, dans la première se trouvait B., inspecteur des RG, dans la seconde, S. B. appela J. et lui dit : “Prends quatre ou cinq hommes pour enterrer les cadavres” qui se trouvaient sur le pont. Nous sommes partis à cinq sous la conduite de J., parmi les morts nous avons trouvé le nommé Iaibi Mohamed, tailleur, encore en vie. J., d’un coup de mousqueton l’a achevé ; nous avons trouvé le cadavre de Hassani A., cheminot, Chreitte M., cordonnier, Braham M., agent de police. Après l’enterrement, nous sommes revenus à la caserne. » Ce récit témoigne de l’unité des colons, quels que soient leur statut social et leur profession, dans la répression. Jean-Pierre Peyroulou parle du « fonctionnement d’un État d’exception, bâti sur une union sacrée des Européens, aussi éloignés que furent leurs opinions et leurs engagements politiques ou syndicaux, de la CGT jusqu’aux anciens pétainistes en passant par toutes les familles politiques de l’époque, contre le péril indigène, au nom de la défense de la colonisation ». Rappelons qu’en métropole, le PCF condamne les émeutes et estime « qu’il faut châtier impitoyablement et rapidement les coupables et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute », tandis que le Parti communiste algérien réclame que soit « réprimée la provocation des agents hitlériens camouflés dans le PPA »4.

Une étape

L’enfouissement rapide des cadavres donne la mesure de la difficulté à dénombrer précisément les victimes des massacres. Une chose est certaine, le déséquilibre entre la centaine de victimes côté européen (86 civils et seize militaires) et les 15 000 à 20 000 morts algériens, selon les estimations des historiens. Les événements de Sétif et Guelma restent inscrits dans la mémoire collective algérienne, et creusent de façon considérable l’écart et la haine entre les communautés. Les Européens comprennent qu’ils sont vulnérables et se regroupent dans les villes, désertant les campagnes, contrôlées de fait par les fellaghas, pour lesquels l’Est algérien devient un bastion. Pour l’historienne Sylvie Thénault5, le 8 mai 1945 n’est pas le début de la guerre d’indépendance algérienne, qui commence bien le 1er novembre 1954, mais il marque une « étape dans la dégénérescence de l’Algérie française », et en dix ans, « l’Algérie est passée de la révolte à la guerre pour l’indépendance ».

Les massacres de Sétif et Guelma doivent être rappelés à tous ceux qui tentent de relativiser les crimes du colonialisme français et de la République, faisant preuve d’un véritable négationnisme. On ne peut que souscrire à la pétition initiée par des historiens contre la loi votée au Parlement le 23 février 2005, qui prévoit que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord et accordent à l’histoire et aux sacrifices des combattants de l’armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit ». Reconnaître les responsabilités de la France coloniale est un préalable indispensable pour tout véritable travail de mémoire en ce domaine.

Sylvain Pattieu

1. Boucif Mekhaled, Chroniques d’un massacre. 8 mai 1945. Sétif, Guelma, Kherrata, Syros, « Au nom de la mémoire », 1995. 2. Kateb Yacine, Nedjma, Le Seuil, Paris, 1956. 3. Tout ce qui concerne Guelma est tiré (y compris le témoignage qui suit) de Jean-Pierre Peyroulou, « Rétablir et maintenir l’ordre colonial en Algérie française : la police et les Algériens 1945-1962 », in Benjamin Stora et Mohammed Harbi (dir.), La Guerre d’Algérie, la fin d’une amnésie, Paris, Laffont, 2004 ; « La milice, le commissaire et le témoin : le récit de la répression de mai 1945 à Guelma », Bulletin de l’IHTP, n° 83, premier semestre 2004. 4. René Dazy, La Partie et le tout, le PCF et la guerre franco-algérienne, Syllepse, 1990. 5. Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion, 2005.
emma-louise
 
Message(s) : 0
Inscription : 23 Oct 2002, 03:29

Message par emma-louise » 07 Mai 2005, 14:23

J'ai mis cet article en politique française car il me semble que la guerre d'Algérie et ce passé ont des implications sur la "société hexagonale" actuelle . Ceci dit, c'est aussi de l'histoire , de la culture etc ...donc les camarades peuvent le déplacer si besoin :wavey:
emma-louise
 
Message(s) : 0
Inscription : 23 Oct 2002, 03:29

Message par Jacquemart » 07 Mai 2005, 14:33

C'est fait.
Avatar de l’utilisateur
Jacquemart
 
Message(s) : 203
Inscription : 16 Déc 2003, 23:06

Message par emma-louise » 07 Mai 2005, 14:48

Merci , j'hésitais dans le doute ... :wavey:
emma-louise
 
Message(s) : 0
Inscription : 23 Oct 2002, 03:29

Message par gerard_wegan » 08 Mai 2005, 00:57

* sur l'attitude du PC à l'époque, voir ici

* ... et en complément, le texte édifiant du "Rapport Tubert" (commission officielle d'enquête envoyée sur place par le gouvernement) réédité par la LDH

Rapport_Tubert.pdf
gerard_wegan
 
Message(s) : 2
Inscription : 31 Oct 2002, 08:32

Message par gerard_wegan » 08 Mai 2005, 01:10

... et puis Libé en prime :

(Libération % 7 mai 2005 a écrit :Algérie
Le jour où est née la guerre d'Algérie
La fracture entre les deux communautés, révélée en plein jour, ne sera plus résorbée. Récit d'une tragédie.

Par José GARÇON
samedi 07 mai 2005

Il est 8 h 30 quand le cortège s'ébranle dans un ordre impressionnant, ce 8 mai 1945. Alors que la communauté européenne fête la capitulation allemande, sept mille Algériens célèbrent la fin de la guerre par un défilé qui descend vers le centre de Sétif, une ville du Constantinois. Soudain, un homme brandit le drapeau algérien, cet emblème interdit par le gouvernorat général français, tandis que des banderoles surgissent dans la foule : «Vive l'Algérie libre et indépendante!» Ghazi Hidouci, ex-ministre de l'Economie, a alors 10 ans. Il vit à Constantine et «traîne partout» avec son père, un militant nationaliste. «Il y avait, se souvient-il, l'idée que le moment était favorable car les Alliés avaient promis aux musulmans qu'ils seraient récompensés pour leur participation à la Seconde Guerre mondiale.»

L'armée quadrille villes et villages

En mai 1945, Hocine Aït-Ahmed a 19 ans. Celui qui deviendra un des chefs historiques de la révolution algérienne et le fondateur de l'OS, l'Organisation spéciale, chargée de recruter et de former les cadres pour la lutte armée, quitte ses études pour prendre le maquis. «Les Algériens nourrissaient un espoir d'autant plus fou que les Alliés parlaient sans cesse de "liberté" et "démocratie". Et surtout, le mot istiqlal ­ indépendance ­ commençait à s'imposer chez les Algériens depuis que les partisans d'"une Algérie sous l'égide de la France" avaient été battus lors du congrès, en mars 1944, des Amis du manifeste et de la liberté (1). L'arrivée en masse des jeunes dans le mouvement a pris de court les appareils politiques, et un nouvel encadrement a émergé sous la poussée de ceux qui avaient le plus souffert des privations de la guerre et de la misère.»

La déportation, le 23 avril 1945 à Brazzaville, de Messali Hadj, le père du nationalisme algérien, va servir de détonateur. Le Parti du peuple algérien (PPA, dans la clandestinité) donne l'ordre de préparer le 1er Mai et la fête de la victoire. Avec une seule consigne : manifestations massives et pacifiques, sans aucune arme mais avec le drapeau. «La masse des Algériens, qualifiée jusque-là d'"apathique" se met en branle. Elle affirme son identité. Les inscriptions murales ­ «Libérez Messali !», «Vive les Arabes !» ­ se multiplient. Les chants patriotiques explosent. Les Européens demandent une politique répressive. L'armée quadrille villes et villages pour empêcher toute explosion le 1er mai», écrit l'historienne Annie Rey-Goldzeiguer, auteur d'un passionnant ouvrage sur les Massacres dans le Nord constantinois (2). Partout, à l'est comme à l'ouest, les Algériens vont manifester et défiler dans la discipline. Mais à Alger et à Oran, c'est l'affrontement. La manifestation est immense et la police tire quand elle pénètre au centre-ville. La répression est violente et la cassure entre les deux communautés apparaît.

Une semaine plus tard, ce 8 mai à Sétif, les policiers se heurtent à un rempart humain quand ils veulent saisir les drapeaux algériens. La police tire. «C'est la panique, lorsque retentit le cri "El-Jihad", arme de guerre civile plus que religieuse», note Annie Rey-Goldzeiguer. Des Européens sont agressés, frappés, tués. Les Algériens emportent leurs morts. A Guelma, à 180 km de Sétif, toute manifestation est interdite. Mais, à 17 heures, un cortège de musulmans démarre avec drapeaux alliés et emblème algérien. Après quelques incidents, il se disperse. Pourtant, dans la soirée, les arrestations commencent. C'est le début d'un soulèvement spontané dans le Constantinois. Ce sont aussi les pires massacres des forces coloniales contre les Algériens. Le couvre-feu et la loi martiale sont décrétés. Les exécutions sommaires de musulmans «suspects» se multiplient. Chaque soir, pendant plusieurs jours, des automitrailleuses circulent à Sétif et tirent sur les Algériens qui fuient. Les arrestations sont massives. Des armes sont distribuées aux milices européennes qui, avec la police, mènent la répression en ville. Dès le 9 mai, raids aériens, mitraillages et bombardements punissent des hameaux résistants et incendient les forêts où les insurgés pourraient trouver refuge. Les tirs du croiseur Duguay-Trouin retentissent jusqu'à Alger.

«Répression» et «nettoyage»

Ces raids amènent les tribus à s'insurger pour sauver et venger «leurs frères». Venues des montagnes et des campagnes, elles s'en prennent à tout ce qui symbolise pouvoir colonial ou européen. Les représailles seront terribles. «Des expéditions punitives vident les gourbis de leurs habitants, des camps d'internement se remplissent et se vident par des exécutions sommaires, des corps sont incinérés dans les fours à chaux d'Heliopolis, écrit Annie Rey-Goldzeiguer. Mais, dès le 11 mai, la population européenne respire : le soulèvement des ruraux est maté. L'armée a imposé son ordre. Pilonnées, mitraillées, pillées, les tribus refluent vers les montagnes ou les forêts où elles vont errer. A moins qu'elles ne subissent l'humiliation suprême : la soumission collective publique qui alimentera la haine et le désir de vengeance.» Une réflexion va signifier l'ampleur du drame. «La répression et le "nettoyage" ont entravé les enquêtes, faute de témoins», note le commissaire Bergé. Chef de la section judiciaire, il souligne dans son rapport qu'il n'a «pas pu circuler librement à Guelma» et qu'il a «entrevu aux portes de la ville des charniers mal dissimulés».

Complot des «ultras» ?

Le bilan est terrible, même si impossible à établir : 45 000 morts, affirme la mythologie algérienne, tandis que le général français Tubert l'estime à 15 000. Une chose est sûre : alors qu'on déplore, côté européen, 102 morts, 110 blessés et dix viols, le bilan des victimes algériennes dépasse le centuple des pertes européennes. «Le "monde du contact", formé des Algériens et des Européens qui croyaient encore à une vie commune, a été broyé pendant cette semaine de mai 1945. Les Européens avaient peur du nombre, peur d'être submergés par la violence, de perdre leurs privilèges, leurs biens», estime Annie Rey-Goldzeiguer.

Y a-t-il eu complot des «ultras» pour mettre à mal la politique de réforme du gouverneur socialiste Yves Chataigneau ?

«Les nationalistes ont eu l'impression qu'on les attendait, raconte Ghazi Hidouci. Les arrestations ont été très rapides et à partir de listes très bien faites. Cela a été l'occasion de décapiter le mouvement et d'effrayer la population musulmane.» Pour Hocine Aït-Ahmed, «il y a eu une montée aux extrêmes de la grosse colonisation qui voulait faire engager l'armée car elle redoutait ce qui allait se passer après la paix». La répression va, en tout cas, contribuer au déchirement du tissu social. «Chacun se méfiait du voisin, tous les liens de solidarité se sont cassés. Les Algériens, à peine rentrés de la Seconde Guerre mondiale, trouvaient leurs parents en prison. Et, pour nourrir leur famille, s'engageaient pour l'Indochine, pour combattre Hô Chi Minh, qu'ils admiraient», note Ghazi Hidouci. Mais, surtout, la haine et le mépris vont creuser le fossé entre les deux communautés. «La guerre d'Algérie est née, en réalité, le 8 mai 1945. Toute option uniquement politique et l'idée même de négociation étaient désormais illusoires. Nous avons pris conscience qu'on ne sortirait pas vainqueurs du combat entre le David algérien et le Goliath français. Nous devions désormais baser notre combat sur trois axes : porter la lutte armée, qui s'imposait comme seul mot d'ordre, à l'échelle maghrébine et internationale.»

«L'assimilation, c'était fini»

Le 24 juillet 1945, dix Algériens condamnés par le Tribunal militaire sont exécutés à Constantine. Neuf ans plus tard débute la guerre d'Algérie. «Les événements de Sétif mettent en question toute la politique coloniale de la France : l'assimilation c'était fini, désormais la parole était aux armes des deux côtés, remarque l'historien Jean-Pierre Peyrolou. L'ampleur de la répression signifiait bien ce qu'elle voulait dire : une volonté de maintenir le statu quo colonial, et l'incapacité de la France à mener une décolonisation plus subtile, à l'anglaise.»

(1) Après le débarquement, des élus et des personnalités algériennes avaient remis aux Alliés et aux autorités françaises un manifeste proclamant la volonté du peuple algérien de se mobiliser à leurs côtés, à charge pour les Alliés de lui reconnaître «le droit à disposer de son destin».


(2) Aux origines de la guerre d'Algérie, 1940-1945. Editions La Découverte, Paris, 2002.



(Libération % 7 mai 2005 a écrit :Algérie. Benjamin Stora, spécialiste de l'histoire algérienne et de la colonisation française à l'Inalco:
«Après Sétif, la lutte armée va s'imposer»

Par Hervé NATHAN
samedi 07 mai 2005

Benjamin Stora (1) est historien de la colonisation française à l'Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco, ex-Langues O). Il codirige l'Institut Maghreb-Europe à l'université Paris-VIII Saint-Denis.

Quelle a été l'attitude des forces politiques françaises vis-à-vis des massacres de Sétif en mai 1945 ?

Leur premier réflexe a été d'estimer qu'il s'agissait d'un complot des nostalgiques de Vichy et de la collaboration. Dès avant 1939, la classe politique française, dont la gauche, considérait déjà les menées nationalistes en Afrique du Nord comme téléguidées par les fascistes italiens ou les nazis allemands. On disait par exemple que Messali Hadj, le leader du Parti du peuple algérien (PPA), était proche du Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot. C'était de la désinformation, Messali avait soutenu le Front populaire en France et la République espagnole. Le réflexe en mai et juin 1945 a donc été, pour la gauche, d'affirmer que les agitateurs qui veulent détacher l'Afrique du Nord de la France sont «objectivement», comme on disait à l'époque, des complices des vaincus du conflit mondial. Le général de Gaulle, lui, poursuivait un objectif politique : rétablir la position de la France parmi les grandes nations, figurer parmi les vainqueurs. Il avait besoin de l'empire colonial pour cela. Son obsession était donc, depuis 1943, de rétablir l'autorité de la France sur ses colonies.

Pourtant le Parti communiste, très influent au sortir de la guerre, avait une tradition anticoloniale...

En 1945, les communistes avaient depuis longtemps abandonné le mot d'ordre d'indépendance pour les colonies, comme ils le soutenaient dans les années 20 en s'opposant à la guerre du Rif, au Maroc. Le PCF s'était violemment séparé des nationalistes en 1934-1935. Il voyait dans le PPA des adversaires, et pour lui tout ce qui relevait de l'indépendantisme était téléguidé. Pour les militants communistes, un soulèvement, le jour de la victoire, ne pouvait être que l'oeuvre des fascistes. Certains militants européens ont d'ailleurs participé à la répression de Sétif, dans les milices. Peut-être par simples représailles : on sait qu'un des responsables du PC à Sétif a eu les bras sectionnés lors des affrontements.

Quelles suites à l'affaire de Sétif chez les Algériens ?

Chez les nationalistes, les vieilles méthodes politiques apparaissent comme dépassées. Une nouvelle génération nationaliste va émerger après Sétif et imposer la lutte armée comme principe politique central. En 1947, le PPA crée une branche secrète, l'OS, dirigée par Aït-Ahmed d'abord, puis Ben Bella. Elle regroupe un millier de militants. Deux ans après Sétif, l'insurrection se prépare déjà.

Et du côté français ?

La répression a d'abord créé une illusion : celle que le mouvement nationaliste a été décapité et que cela va assurer la paix en Algérie pour des décennies. C'est un soulagement dans la classe politique française. Pourtant, un officier, le général Duval, avait prévenu qu'il ne s'agissait que d'un répit de dix ans. Il avait raison. En novembre 1954, les autorités françaises ont eu le même réflexe qu'en 1945 : il suffirait d'envoyer la troupe. Mais, à gauche, l'attitude est différente. Les communistes d'Algérie vont tenter de créer un front avec les nationalistes du Front de libération nationale (FLN). Certains d'entre eux prennent le maquis dès après l'insurrection de la Toussaint.

Ensuite, on a l'impression que le souvenir des massacres du Constantinois s'estompe.

C'est vrai. Et pour deux raisons. La première tient à la guerre d'Algérie. Il fallait oublier Sétif si l'on voulait croire que l'insurrection de novembre 1954 était apparue comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. L'autre raison tient à la mémoire nationale. Le 8 mai est une date fondatrice, une célébration consensuelle qui permet d'effacer Vichy. Il participe à la mythologie résistancielle de la France gaulliste. Il n'y a pas de place pour Sétif là-dedans.

Ce n'est pas le cas en Algérie où Sétif est officiellement commémoré chaque année.

Oui, mais l'épisode est longtemps demeuré difficile pour les Algériens. Car, au centre des événements, il y a deux figures : Messali Hadj, le leader nationaliste radical, et Ferhat Abbas, élu de Sétif, nationaliste modéré. Or ces deux personnages disparaissent de l'histoire, éliminés politiquement par le FLN. Il faudra la guerre civile des années 90, entre Algériens, pour que les deux réémergent.

Le gouvernement français a récemment reconnu la réalité des massacres. Est-ce que cela clôt le débat ?

Le geste de l'ambassadeur français est très important. C'est la première fois, à ma connaissance, que la France reconnaît un massacre colonial. Mais cela n'empêchera pas de remonter plus haut encore, jusqu'aux origines de la conquête de l'Algérie. Certains épisodes, comme la prise de Constantine en 1837, ont été épouvantables. La France devra reconnaître son histoire. Et je suis optimiste : cela progresse beaucoup. L'histoire coloniale commence à être enseignée aux jeunes. Des manuels scolaires ont été remaniés. Il faut s'en féliciter : c'est l'effet d'une poussée citoyenne.


(1) Dernier ouvrage paru : le Livre, mémoire de l'histoire. Réflexions sur le livre et la guerre d'Algérie, éditions Le Préau des Collines, mai 2005.
gerard_wegan
 
Message(s) : 2
Inscription : 31 Oct 2002, 08:32


Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 2 invité(s)

cron