Ni rire ni pleurer ...

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par Wapi » 08 Juin 2005, 09:14

On est nombreux, je pense, à connaitre cette citation et à avoir entendu parlé de ce fameux sage qu'évoque Jacquemart dans le fil sur les papillons de la LCR

a écrit :Alors, comme disait le sage, "ni rire ni pleurer, comprendre".


Mais qui donc est ce sage ? Et dans quelle circonstance cette phrase fut-elle à l'origine prononcée ?

Vous avez droit à plusieurs essais ... ce sera la page "culture" de la journée, en attendant le retour de notre cher éphéméride !
Wapi
 
Message(s) : 0
Inscription : 08 Jan 2005, 16:30

Message par Wapi » 08 Juin 2005, 09:34

Oui ... Léon l'a reprise effectivement, mais je ne sais pas exactement dans quel contexte : certainement que des forumeurs qui connaissent bien les écrits de LT vont nous le dire !

Je parlais en fait du sage d'origine, plus vieux de quelques siècles que le vieux Léon ...

Et voyons Txi, tu me demandes ce qu'on gagne !

Ta question m'étonne : tu ignores donc que c'est ainsi qu'on s'enrichit ? :D
Wapi
 
Message(s) : 0
Inscription : 08 Jan 2005, 16:30

Message par Barnabé » 08 Juin 2005, 09:47

Ce serait pas Spinoza?
Barnabé
 
Message(s) : 0
Inscription : 11 Oct 2002, 20:54

Message par Wapi » 08 Juin 2005, 10:02

Bravo à Canardos-lunettes-de-piscine... (indeed)

Maintenant, il faut développer et préciser un peu le contexte...

En attendant, voici ton cadeau !

http://www.binocularsmart.com/dipol-night-...ol-d2mv-pro.jpg
Wapi
 
Message(s) : 0
Inscription : 08 Jan 2005, 16:30

Message par Ottokar » 08 Juin 2005, 10:27

dans un des tomes des Oeuvres, Broué met en note que Trostky n'avait sans doute pas lu Spinoza...
Ottokar
 
Message(s) : 731
Inscription : 16 Jan 2005, 10:03

Message par Wapi » 08 Juin 2005, 21:47

Canardos, tu as droit à des googles chromées ici :

http://www.andengaard.no/images/watersport_briller.jpg

et ce n'est déjà pas mal ... car tu n'as donné qu'une partie de la réponse !

Effectivement, dans la lettre 30, Oldenburg, un savant, écrit de Londres à Spinoza dans les termes que tu dis. Il parle de "temps calamiteux" de peste et de guerre, sur un ton où on décèle un certain pessimisme lié aux évènements, mais où triomphe néanmoins un optimisme sincère dans les capacités du genre humain, même si cela doit passer par "l'intervention des meilleurs" (?)

Par exemple :

"Notre société philosophique, dans ces temps calamiteux, ne tient plus de réunions publiques, toutefois quelques-uns de ces membres n'oublient pas qu'ils sont philosophes"

ou bien

"Si les hommes étaient conduits par la raison, ils ne se déchireraient pas les uns les autres, comme c'est le cas en ce moment. Mais à quoi bon se plaindre ! Aussi longtemps qu'il y aura des hommes, ils auront des vices, mais le règne du mal n'est pas perpétuel et l'intervention des meilleurs peut le contrebalancer"


Spinoza, qui vit à Voorburg en Hollande lui répond la lettre suivante. On est en 1665, en plein pendant la 2nde guerre anglo-hollandaise. A ce moment, il est en train d'écrire le Traité Théologico Politique, qui dénonce les superstitions religieuses présentes dans la Bible et la collusion de la religion avec les tyrannies politiques.

La lettre en entier (n°31) :

a écrit :
LETTRE XXXI

...Je suis aise d'apprendre que les philosophes dans le cercle desquels vous vivez, restent fidèles à eux-mêmes en même temps qu'à leur pays. Il me faut attendre, pour connaître leurs travaux récents, le moment où, rassasiés de sang humain, les États en guerre s'accorderont quelque repos pour réparer leurs forces. Si ce personnage fameux(1) qui riait de tout, vivait dans notre siècle, il mourrait de rire assurément. Pour moi, ces troubles ne m'incitent ni au rire ni aux pleurs; plutôt développent-ils en moi le désir de philosopher et de mieux observer la nature humaine. Je ne crois pas qu'il me convienne en effet de tourner la nature en dérision, encore bien moins de me lamenter à son sujet, quand je considère que les hommes, comme les autres êtres, ne sont qu'une partie de la nature et que j'ignore comment chacune de ces parties s'accorde avec le tout, comment elle se rattache aux autres. Et c'est ce défaut de connaissance qui est cause que certaines choses, existant dans la nature et dont je n'ai qu'une perception incomplète et mutilée, parce qu'elles s'accordent mal avec les désirs d'une âme philosophique, m'ont paru jadis vaines, sans ordre, absurdes. Maintenant je laisse chacun vivre selon sa complexion et je consens que ceux qui le veulent, meurent pour ce qu'ils croient être leur bien, pourvu qu'il me soit permis à moi de vivre pour la vérité. Je compose actuellement un traité sur la façon dont j'envisage l'Écriture et mes motifs pour l'entreprendre sont les suivants: 1° Les préjugés des théologiens; je sais en effet que ce sont ces préjugés qui s'opposent surtout à ce que les hommes puissent appliquer leur esprit à la philosophie; je juge donc utile de montrer il nu ces préjugés et d'en débarrasser les esprits réfléchis. 2° L'opinion qu'a de moi le vulgaire qui ne cesse de m'accuser d'athéisme; je me vois obligé de la combattre autant que je pourrai. 3° La liberté de philosopher et de dire notre sentiment; je désire l'établir par tous ICI moyens: l'autorité excessive et le zèle indiscret des prédicants tendent à la supprimer. Je n'ai pas entendu dire jusqu'à présent qu'un Cartésien ait expliqué les phénomènes observés lors des comètes récentes par l'hypothèse de Descartes et je doute que cela soit possible...

(1) d'après certains commentateurs, ils s'agirait du philosophe matérialiste Démocrite, mais ce pourrait bien être aussi Héraclite, le père de la dialectique, un sacré blagueur (attesté) !



ça c'était pour la première moitié de la réponse... c'est vrai que c'est la première fois qu'on trouve cette phrase sous sa plume.

Il reprendra cette formulation dans son Traité Politique, sur lequel il travaillait encore au moment de sa mort en 1677.

En latin, ça donne : "Non ridere, nec lugere, neque detestari, sed intelligere", c'est à dire "ni rire, ni pleurer, ni haïr mais comprendre".

Mais c'est pas traduit exactement comme ça dans les éditions françaises ( I, 4)

a écrit :4. Lors donc que j’ai résolu d’appliquer mon esprit à la politique, mon dessein n’a pas été de rien découvrir de nouveau ni d’extraordinaire, mais seulement de démontrer par des raisons certaines et indubitables ou, en d’autres termes, de déduire de la condition même du genre humain un certain nombre de principes parfaitement d’accord avec l’expérience ; et pour porter dans cet ordre de recherches la même liberté d’esprit dont on use en mathématiques, je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine ; je n’ai voulu que les comprendre. En face des passions, telles que l’amour, la haine, la colère, l’envie, la vanité, la miséricorde, et autres mouvements de l’âme, j’y ai vu non des vices, mais des propriétés, qui dépendent de la nature humaine, comme dépendent de la nature de l’air le chaud, le froid, les tempêtes, le tonnerre, et autres phénomènes de cette espèce, lesquels sont nécessaires, quoique incommodes, et se produisent en vertu de causes déterminées par lesquelles nous nous efforçons de les comprendre. Et notre âme, en contemplant ces mouvements intérieurs, éprouve autant de joie qu’au spectacle des phénomènes qui charment les sens.


Donc ... en fait, il est plus vraisemblable (mais c'est pas sûr à 100 %) que Trotsky ait eu connaissance de ce texte plutôt que de la lettre XXX.

Mais comment, et en quelles circonstances a-t-il repris une partie de la phrase de Spinoza, je l'ignore....

D'autres forumeurs peut-être ?
Wapi
 
Message(s) : 0
Inscription : 08 Jan 2005, 16:30


Retour vers Tribune libre

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 0 invité(s)