Plus que jamais, le mot de Lénine sur la SDN, "caverne de brigands" (ou quelque chose d'approchant) peut s'appliquer à l'ONU. Ou comment faire voter les pays pauvres en les achetant ? Une leçon de chose.*
a écrit :
• LE MONDE | 10.03.03 | 13h09
Les Etats-Unis et la France sont au bord d'une crise diplomatique
Paris et Washington sont engagés dans une course de vitesse pour
tenter de gagner une majorité au sein des quinze membres du conseil
de sécurité. A ce stade, les Etats-Unis ne paraissent pas en mesure de
réunir les 9 voix nécessaires sur la résolution qu'ils entendent
soumettre au votecette semaine. L'exaspération entre les deux pays
grandit. Le secrétaire d'Etat américain a prévenu, dimanche 9 mars,
qu'un veto français "aura un effet sérieux sur les relations
bilatérales". Les milieux d'affaires français s'inquiètent d'éventuelles
représailles économiques. L'Irak, de son côté, a poursuivi, ce
week-end, la destruction des missiles Al-Samoud 2 et demande la
levée de l'embargo. Premier volet d'une série de reportages sur
l'Amérique avant la guerre : un retour chez les vétérans de la
première guerre du Golfe.
Washington de notre correspondant
L'opposition entre la France et les Etats-Unis va s'aggraver, cette semaine,
alors que le Conseil de sécurité des Nations unies doit voter sur la résolution
proposée par Washington, Londres et Madrid et fixant un ultimatum à
Saddam Hussein.
Le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, a affirmé, dimanche 9 mars, qu'il
estimait possible de réunir une majorité de 9 ou 10 voix, sur 15, en faveur de
cette résolution, mais, a-t-il dit sur Fox News, "je ne serais pas surpris que
les Français opposent leur veto". "Ils ont exprimé très clairement leur
volonté d'arrêter cette résolution. Là-dessus, ils ne se sont pas cachés",
a-t-il ajouté.
Interrogé sur les conséquences d'un tel veto pour la "crédibilité française",
M. Powell a répondu : "Je pense que la France ne sera pas considérée
favorablement dans plusieurs parties du monde. Et, certainement, même si
la France a été un de nos amis pendant de nombreuses années et le sera
dans l'avenir, cela aura un effet sérieux sur les relations bilatérales, au
moins à court terme." Le secrétaire d'Etat se plaçait dans l'hypothèse où la
résolution justifiant le déclenchement des opérations militaires contre l'Irak
serait approuvée par au moins 9 membres du Conseil de sécurité et où la
France serait le seul membre permanent votant "non".
RUMEURS ET PRESSIONS
Dans ce cas de figure, qui suppose que la Chine et la Russie décident de
s'abstenir et que les six pays considérés comme hésitants se rallient à la
position américaine, le vote négatif de la France bloquerait la décision. Or,
cette répartition des votes n'est pas acquise. Interrogé sur une rumeur
selon laquelle le président russe, Vladimir Poutine, aurait donné sa parole à
George Bush, le 6 mars, qu'il ne voterait pas contre la résolution, M. Powell
ne l'a pas confirmée. Outre des conversations avec les dirigeants russes et
chinois, les discussions avec les six pays dont la position n'est pas arrêtée
mettent aux prises les diplomaties française et américaine. Dominique de
Villepin fait une tournée éclair des trois Etats africains, l'Angola, le Cameroun
et la Guinée, tandis que Washington multiplie les pressions sur le Mexique, le
Chili et le Pakistan.
Le ministre des affaires étrangères français ayant demandé, le 7 mars, au
Conseil de sécurité, que les chefs d'Etat ou de gouvernement viennent
eux-mêmes à l'ONU lors du vote, Condoleezza Rice, conseillère de M. Bush
pour la sécurité nationale, a déclaré, sur la chaîne ABC, que cette
proposition était dépourvue de sens. "Nous n'avons pas besoin de déplacer
des chefs d'Etat pour émettre un vote", a-t-elle dit.
Washington estime qu'avec cette proposition, Paris cherche seulement une
parade à son possible isolement. Cependant, les 9 ou 10 voix revendiquées
par M. Powell ne sont pas acquises, et les efforts du gouvernement français
pour empêcher qu'elles ne le soient sont considérés, du côté américain,
comme la preuve que Paris est passé du comportement d'un allié à celui d'un
adversaire.
La polémique contre la France ne diminue donc pas d'intensité dans les
médias. Le Los Angeles Times a affirmé de nouveau, dimanche, que "la clé
de la position française et russe au sujet de l'Irak, c'est l'argent". Selon le
grand quotidien californien, les gouvernements de ces deux pays cherchent
à protéger les intérêts de leurs entreprises, qui ont des positions en Irak et
qui veulent accéder aux marchés de la reconstruction future du pays. Le
7 mars, le Washington Times, sous la plume d'un de ses journalistes les
mieux introduits au Pentagone, a écrit qu'une société française, non
identifiée, a vendu des pièces détachées d'avions Mirage et d'hélicoptères
Gazelle à l'Irak, en janvier, en passant par un intermédiaire basé à Dubaï, aux
Emirats arabes unis, Al-Tamoor Trading Co. L'ambassade de France à
Washington a démenti toute livraison d'armes à l'Irak, mais un sénateur
républicain de l'Alaska, Edward Stevens, a demandé l'ouverture d'une
enquête sur cette "trahison".
Mme Rice a reconnu, sur la chaîne ABC, que les Etats-Unis, dans leurs
discussions avec les pays membres du Conseil de sécurité, "tiennent compte
de leurs intérêts". Les questions commerciales, les aides financières, les
demandes de ces pays au FMI font partie des arguments employés par
Washington pour les convaincre. La tentative de la France pour empêcher
les Etats-Unis de parvenir à leurs fins lui vaut d'amers reproches. "Les
Allemands sont pacifistes, observait récemment Richard Perle, président du
Defense Policy Board. Les Français, c'est différent. Ils cherchent à créer un
front antiaméricain."Les derniers sondages montrent une forte chute des
opinions positives sur la France, qui restent toutefois au-dessus de 50 % ;
les jugements favorables à l'Allemagne sont partagés, eux, par 70 % des
Américains.
Selon l'ambassade de France, le conflit n'a pas eu d'effet, jusqu'à
maintenant, sur les visites ministérielles, ni sur les échanges culturels ou
universitaires. Toutefois, selon une autre source, un festival de chorégraphie
française, organisé tous les deux ans à New York, a été annulé. L'impact des
appels au boycottage des produits français semble, pour le moment, quasi
nul. Seul un importateur de vins s'est plaint à l'ambassade d'une baisse de
ses commandes.
Patrick Jarreau