Le patriarcat en France 2005

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Davidoulia » 25 Juin 2005, 09:41

a écrit :parce que la société n'est plus patriarcal mais "masculine"...

Pourquoi jouer sur les mots? c'est quoi un société masculine, un société où règne la domination masculine? C'est ça le patriarcat!




a écrit :Suzy Rojtman, du Collectif national pour les droits des femmes, cofondatrice, en 1985, avec Nathalie Bourdon et Maya Surduts du Collectif féministe contre le viol, militante actuellement d'une nouvelle association, les Dé-chaînées, mouvement féministe contre les violences faites aux femmes et aux enfants, nous a accordé cet entretien.

- Peux-tu expliquer ce qu'est le Collectif national pour les droits des femmes (CNDF) et quelles sont ses actions ?
Suzy Rojtman - Le CNDF a été créé en 1996 à la suite de la grande manifestation féministe du 25 novembre 1995. Celle-ci avait été organisée à l'initiative de la Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception (Cadac).
Le collectif est un regroupement unitaire d'associations, de syndicats et de partis politiques. Il a de nombreuses mobilisations à son actif : les Assises pour les droits des femmes du 15 et 16 mars 1997, la manifestation (la seule nationale avant le vote de la loi) du 15 novembre de la même année sur la réduction du temps de travail (RTT), une campagne contre le travail à temps partiel imposé, contre le Front national et ses complices, une manifestation thématique le 15 janvier 2000, la participation à la Marche mondiale des femmes de l'an 2000 et l'impulsion de la coordination française, une campagne sur les modes de garde de la petite enfance, le partage des tâches domestiques et l'emploi des femmes. La dernière initiative en date est le forum-débat national des 9 et 10 mars 2002, "De nouveaux défis pour le féminisme", dont les actes sortiront pour le 8 mars de cette année. C'est un collectif très actif qui a le mérite d'être parvenu à maintenir sa structure unitaire quand tant d'autres finissent par péricliter.

- Les médias présentent souvent le 8 mars comme "la journée de la femme", façon fête des mères... Peux-tu rappeler les origines de cette journée internationale de lutte et sa raison d'être ?
S. Rojtman - C'est sûr que le 8 mars n'a rien à voir avec la fête des mères instituée par Pétain. C'est Clara Zetkin qui propose pour la première fois, en 1910, la création d'une Journée internationale des femmes lors de la conférence internationale des femmes socialistes. La date ne sera fixée qu'à la suite de la grève des ouvrières de Saint-Pétersbourg en 1917 et des mobilisations importantes de femmes à cette date-là. L'historiographie fait remonter son origine à la manifestation des couturières new-yorkaises, le 8 mars 1857, mais la chercheuse Françoise Picq a mis en évidence qu'il ne s'agissait que d'un mythe fondateur. En 1977, la date du 8 mars est institutionnalisée par les Nations unies, en 1982 par la France.

- Cette journée sera centrée cette année sur les violences faites aux femmes. De quelles violences s'agit-il ?
S. Rojtman - Cette journée du 8 mars sera en fait l'aboutissement de la Marche contre les ghettos et pour l'égalité, qui dénonce les violences que subissent les jeunes filles dans les quartiers, depuis des années. Elles, mais pas seulement. Leurs mères aussi. Des violences dont elles peuvent parler maintenant parce que l'immense travail effectué antérieurement par le mouvement féministe sur ce thème des violences (criminalisation du viol, reconnaissance du viol conjugal, du harcèlement sexuel et moral, etc.) le permet. Des violences dont elles veulent parler parce que la coupe déborde et que la régression de leur condition est trop forte, trop étouffante. Tout cela dans un contexte de délitement du tissu social provoqué par le chômage, la précarité, la misère. Tout cela aussi dans un contexte de "retour de bâton" général concernant l'ensemble des droits des femmes : sur les violences, dont certains mettent encore en cause la réalité, mais aussi sur la mixité à l'école (les bons résultats des filles brimeraient les garçons, pour aller vite), sur la famille avec la promotion tous azimuts de la nécessaire autorité des pères, etc.
Mais les jeunes femmes craignent encore de façon importante les représailles, crainte qu'a toujours une victime de violences, mais qui ici est plus palpable et plus possible aussi.
Les violences subies sont de toutes sortes : des viols collectifs (rejetons le thème de "tournante" employé à la place de "viol"), qui peuvent être le prélude à de la prostitution, d'autres agressions sexuelles, des mutilations sexuelles, du harcèlement sexuel et/ou moral, des injures sexistes. Il y a aussi les violences, dont on parle moins, qui se cachent derrière les murs de la famille: les viols incestueux, les mariages forcés (appelés pudiquement "arrangés"), les violences conjugales et/ou sur les enfants.
Mais ces violences ne sont pas l'apanage de ces quartiers, il faut le dire et le redire : elles ont lieu dans toutes les classes sociales, dans tous les milieux, dans tous les pays, sur tous les territoires. Et pareillement, les victimes sont issues de tous les milieux sociaux, de tous les pays. On peut vraiment parler d'universalité à leur égard.

- Quelles sont les revendications et les propositions du CNDF dans ce domaine ?
S. Rojtman - Il faudrait d'abord que les lois qui existent désormais sur les violences - grâce aux luttes des féministes - soient réellement appliquées. Car, lors d'une procédure judiciaire, même si dans ce domaine des progrès ont été réalisés, il arrive encore souvent qu'une femme victime soit traitée comme une coupable. Et il y a encore beaucoup de non-lieux, de classements sans suite, de relaxes des agresseurs. La justice est vraiment du côté de l'ordre sexiste.
Nous demandons également que les victimes majeures puissent bénéficier des mesures facilitant la procédure judiciaire prévues pour les victimes mineures par la loi du 17 juin 1998 : enregistrement de l'audition et présence d'un tiers, motivation des classements sans suite, remboursement intégral des soins par la Sécurité sociale. Cela peut sembler modeste, mais on en est encore là ! Nous demandons plus généralement l'extension des mesures de procédure judiciaire favorisant, pour les victimes, la saisine de la justice. Il faut accroître significativement les lieux d'hébergement pour les victimes et la création de lieux d'accueil qui, à ma connaissance, n'existent pas et donner les moyens d'une réelle protection des victimes face aux menaces de représailles.
A l'école, il faut promouvoir une éducation non sexiste, prévue par la convention du 25 février 2000, ainsi qu'une véritable éducation sexuelle (dont trois heures sont déjà prévues par la loi du 4 juillet 2001 sur l'avortement et la contraception). Les outils existent, il faut les faire appliquer !
Pour que les femmes puissent sortir de la prostitution, il faut des alternatives immédiates en termes de logement, d'emploi, de formation, de carte de séjour...
Enfin, pour faire court, nous demandons le droit au séjour garanti pour les femmes qui se libèrent d'un mariage forcé, qui subissent des violences conjugales ici ou des persécutions sexistes dans leur pays d'origine. Il faut enfin appliquer les lois civiles françaises pour toutes les personnes vivant en France et non des codes de statut personnel discriminatoires.

- Les jeunes participantes de la Marche contre les ghettos et pour l'égalité à l'origine de l'appel "Ni putes, ni soumises" (voir le champ libre) manifesteront aux côtés des associations féministes. Certaines rejettent pourtant le qualificatif de "féministe" . Qu'en penses-tu ?
S. Rojtman - Effectivement, dans l'appel "Ni putes, ni soumises", il est dit que le mouvement féministe a "déserté les quartiers". Mais c'est l'ensemble du mouvement social, dans un contexte politique qui lui était beaucoup plus défavorable, qui a "déserté les quartiers". Ceci dit, je souhaiterais rappeler que le féminisme c'est aussi l'auto-organisation et que si, je le répète, ces jeunes filles peuvent maintenant mettre en évidence ces violences et être écoutées, c'est grâce à tout le travail réalisé antérieurement par les féministes.
J'ai lu attentivement leur livre blanc et je dois reconnaître que j'ai été personnellement agréablement surprise. Mais le cheminement de ces jeunes femmes ne m'étonne pas. Si on se révolte contre les violences subies, les contrôles tatillons des mecs de la famille, les conditions très précaires de travail des femmes, ici jeunes et immigrées, les "traditions" oppressantes, etc., on finit par tout remettre en cause et s'apercevoir que l'on ne peut faire l'impasse sur une analyse féministe, sauf à être de mauvaise foi. Le fait que la Marche se soit tournée vers les féministes, entre autres, ne m'étonne pas, même si du travail reste à faire. Je suis persuadée que ce n'est que le début d'un travail en commun, sur les violences, ce qui me semble indispensable, mais aussi sur l'ensemble des droits des femmes.

Propos recueillis par Pauline Terminière.


--------------------------------------------------------------------------------

Quelques chiffres
L'enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff) a été réalisée en 2000, à la demande du secrétariat d'Etat aux Droits des femmes de l'époque (Nicole Péry), auprès de 6 970 femmes de 20 à 59 ans. Elle nous donne les premiers résultats suivants :

- 0,3 % des femmes a été victime d'un viol en 1999. Ce qui donne en extrapolant auprès des seize millions de femmes métropolitaines de 20 à 59 ans 48 000 viols en un an. Et nous savons pertinemment que beaucoup de filles de moins de 20 ans sont violées ;
- 13,3 % des femmes ont été victimes d'agressions verbales en 1999 dans l'espace public, 1,9 % d'avances et d'agressions sexuelles, 1,7 % d'agressions physiques ;
- 1,9 % des femmes ont été victimes en 1999 de harcèlement sexuel au travail ;
- 10 % des femmes ont été victimes de violences conjugales de toutes sortes en 1999 (de l'insulte au viol) ;
- 17,8 % des femmes ont été victimes au cours de la vie (depuis l'âge de 18 ans) d'agressions physiques, 11,4 % d'agressions sexuelles, 8 % de viols et tentatives de viols, 2,9 % de viols.

De nombreuses femmes parlent pour la première fois, à l'occasion de l'enquête, des violences subies, soit durant les douze derniers mois, soit durant la vie. Au cours de la vie, seuls 6 % des attouchements, 3 % des tentatives de viols, 8 % des viols ont donné lieu à une suite judiciaire. Une autre enquête doit retenir toute notre attention : celle réalisée en 2000 par Marie-Claude Brachet et Simone Iff, intitulée "Le devenir des plaintes pour viols et agressions sexuelles du ressort du tribunal de grande instance de Créteil en 1995". C'est une recherche dans les dossiers archivés par la Justice. - 420 plaintes par an sont déposées en moyenne pour viols et agressions sexuelles à Créteil. Durant l'année 1995, seules 119 plaintes ont été traitées par le tribunal (soit 28 %) : 68 pour viols et 51 pour d'autres agressions sexuelles (la justice définit le viol par la "pénétration sexuelle"). Le viol, un crime, est passible des assises, les autres agressions sexuelles, des délits, de la correctionnelle. De fait, selon l'enquête, quinze viols ont été traités en assises, seize en correctionnelle, dix-huit ont occasionné un non-lieu et dix-neuf un classement sans suite. Deux plaintes pour agression sexuelle ont été jugées aux assises car requalifiées en viol, 38 en Correctionnelle, 24 ont occasionné un non-lieu et 24 un classement sans suite. Donc seul 25 % des viols sont jugés par une cour d'assises. A peine 55 % des auteurs mis en cause ont fait l'objet d'une condamnation. Donc, comme le disent les auteures, "si on prend en compte les 303 plaintes non sanctionnées on constate que 19 plaintes seulement sur 100 font l'objet d'une condamnation! Donc l'auteur d'un viol ou d'une agression sexuelle ne court le risque d'être condamné que 19 fois sur cent."

S. Rojtman

Rouge 2007 06/03/2003


Davidoulia
 
Message(s) : 0
Inscription : 09 Sep 2004, 07:00

Message par Davidoulia » 25 Juin 2005, 09:45

a écrit :La lutte contre toutes les violences faites aux femmes est au coeur de la Marche mondiale, dont le rendez-vous français a été fixé au 17 juin, à Paris. Nous revenons ici sur la situation française en la matière, où bien des progrès restent à faire.

Les violences faites aux femmes sont une réalité universelle, qui traduit des rapports historiquement inégaux entre hommes et femmes. Ces violences prennent leur source dans le système patriarcal et contribuent à exercer un contrôle sur la vie des femmes. Ce qu'on entend par violences, en France, ce sont les viols, les autres agressions sexuelles, les violences conjugales, le harcèlement sexuel, les mutilations sexuelles, la pornographie et la prostitution.

Viols, harcèlement sexuel

Il est difficile de se faire une idée précise du nombre d'actes de violence commis, car les statistiques sont peu nombreuses. De plus, elles reflètent mal la réalité, car toutes les femmes victimes ne portent pas plainte. Les violences engendrent, en effet, un sentiment de honte et de culpabilité chez les femmes victimes, qui ont du mal à en parler, encore plus lorsqu'il s'agit de porter plainte.
Pourtant, grâce aux mobilisations féministes, la condamnation des violences s'est accrue. Les dispositions légales ont été changées. Ainsi, la loi de 1980 donne une nouvelle définition du viol: "Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol. Le viol est puni de 15 ans de réclusion criminelle." Cette définition est une avancée, qui permet la reconnaissance du viol conjugal et du viol homosexuel. En 1992, la loi sur les violences conjugales indique que la qualité de conjoint ou de concubin de la victime constitue une circonstance aggravante. La plupart des agressions sont préméditées. Le lieu principal de l'agression est le domicile (60 %). Ce qui contredit le mythe de l'agression commise sur une femme par un inconnu dans la rue (3,7 % des cas) ou dans un parking (0,6 %).
Quant au harcèlement sexuel, la loi qui l'institue comme délit date de 1992, mais elle ne reconnaît que le harcèlement exercé par un supérieur hiérarchique. Elle ignore celui exercé, par exemple, par un collègue de travail.
Le corpus législatif existe donc, mais il doit être affiné. Le problème principal est celui de la non-application des lois existantes. Si on prend l'exemple des viols, sur 7069 plaintes déposées en 1995, il y a eu 1888 condamnations. Cela signifie de nombreux classements sans suite et non-lieux. De plus, les viols sont souvent déqualifiés en agressions sexuelles, et donc jugés par des tribunaux correctionnels et non par des cours d'assises. Il reste donc un énorme travail à faire pour une réelle prise de conscience et une condamnation sans détours de tous les types de violences.

Violences conjugales

De ce point de vue, la campagne de sensibilisation médiatique de 1989 sur les violences conjugales a permis de poser le problème en le situant dans l'espace public, et non dans le seul espace privé. Mais depuis, c'est à nouveau le silence sur cette question; les associations d'aide aux victimes sont débordées et manquent de structures d'accueil.
Les violences conjugales illustrent particulièrement bien le contrôle exercé à travers elles sur les femmes. Ces violences se présentent en effet comme une stratégie, un abus de pouvoir, et pas du tout comme une pulsion irrépressible. Elles sont une utilisation abusive d'un rapport de forces et une atteinte volontaire à l'intégrité de l'autre. Elles peuvent prendre des formes diverses: il peut s'agir, bien sûr, de violences physiques, mais aussi verbales (insultes, humiliations), associées à des violences psychologiques; de violences sexuelles, mais aussi de violences économiques (celles-ci touchent toutes les femmes, y compris celles des milieux aisés, qui sont spoliées de leurs biens). Tous ces types de violences peuvent s'additionner les uns aux autres.
Les conséquences sur les victimes sont multiples: perte de l'estime de soi, de son identité, de la confiance en ses capacités. Les violences déséquilibrent, enferment et isolent les victimes. Ces dernières développent culpabilité, dépendance, peur, fatalisme, désespoir, honte. C'est pour toutes ces raisons que les victimes ne portent pas systématiquement plainte. Les militantes contre les violences insistent sur la complexité des rapports entretenus par l'auteur des violences, qui use de chantage affectif, de menaces de mort. Les victimes sont prises dans un piège dont il n'est pas évident, pour elles, de sortir. Et ce d'autant plus que les structures d'accueil sont rares et que le suivi, nécessaire et long, implique une prise en charge importante. Par ailleurs, sans un véritable droit au travail et au logement, les possibilités de s'en sortir pour nombre de femmes sont d'autant plus réduites.
Les causes de ces violences dépassent le système économique des Etats et ne relèvent ni de la faiblesse, ni de la fragilité des femmes. Elles sont liées à l'idéologie dominante qui fait apparaître la domination comme naturelle, basée sur la différence biologique, source de rôles et fonctions différents, plus ou moins valorisés. Toute tentative d'explication reposant strictement sur des comportements individuels "déviants" reste inadéquate. Il existe une tolérance vis-à-vis des comportements violents, visant à les minimiser et à faire porter la responsabilité non seulement sur l'auteur, mais aussi sur les victimes. C'est cette tolérance qu'il faut dénoncer, en reprenant l'initiative dans les mobilisations pour forcer les pouvoirs publics à réagir.

La prostitution

En France, la prostitution a été tour à tour prohibée, réglementée ou admise. La loi du 13 avril 1946, dite "loi Marthe Richard", avait fermé les maisons de tolérance et renforcé la lutte contre le proxénétisme. Mais ce n'est qu'en 1960 que la France se place dans un régime abolitionniste, en signant la Convention relative à la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui (adoptée, le 2 décembre 1949, par l'Assemblée générale des Nations Unies). La loi du 30 juillet 1960 assure son application. Ainsi, en France, la prostitution n'est pas interdite, mais les manifestations extérieures de la prostitution (racolage) peuvent être punies comme atteinte à la moralité publique. De même que l'exploitation, l'aide et l'assistance à la prostitution sont des délits.
L'enjeu actuel des discussions à l'échelle européenne est de contraindre les Etats à sortir du cadre abolitionniste pour adopter, comme en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas, une politique de légalisation de la prostitution. Les partisans de la légalisation argumentent sur le thème du "pragmatisme" et pour une reconnaissance de la prostitution comme un "métier".
Ce débat ne date pas d'hier. Dans les années 1970, une partie des prostituées entrées en lutte contre les brimades policières et les charges fiscales qui pesaient sur elles revendiquaient l'aménagement d'un statut de la prostitution, revenant à légiférer sur ce qui ne serait plus qu'une profession comme une autre. Elles furent suivies par certains courants d'extrême gauche, exaltant la prostitution comme la forme achevée de la libération sexuelle ou comme l'exercice d'une liberté qui transgresse les tabous. Plus traditionnellement, des courants de la bourgeoisie, soutenus par une forte sensibilité de la "France profonde", réclamaient une reconnaissance de la prostitution, profession utile censée diminuer les crimes sexuels et les viols. Aujourd'hui, ce sont les courants libéraux-libertaires qui prônent la légalisation, en confondant le droit pour les femmes à disposer de leur corps et la marchandisation de ce dernier. Dans ce contexte, il faut rester opposé à la création d'un statut de la prostitution: accepter ce statut, au nom d'avantages conjoncturels fort hypothétiques qu'en tireraient les prostituées, c'est accepter la prostitution et ses justificatifs.
Mais s'il faut s'opposer à toute banalisation ou valorisation de la prostitution, ce n'est pas au nom d'une morale qui, elle, dénonce la prostitution au motif que cela concerne le sexe et que "c'est sale". La prostitution, ce n'est pas "mal", ça fait mal. Depuis toujours, les féministes se battent pour que les femmes puissent disposer librement de leur corps; mais se prostituer, ce n'est pas disposer librement de son corps, bien au contraire. Comme dans les cas de viols, la femme y est niée dans son individualité. Sans parler de l'emprise qu'exercent les proxénètes sur les prostituées, vendre son corps, c'est renoncer à son intégrité physique. Or ce droit à l'intégrité physique constitue une liberté élémentaire, pour laquelle ont combattu les esclaves, pour laquelle combattent les prisonniers torturés.
Le refus de l'aménagement de la prostitution n'implique pas de soutenir la législation en vigueur: celle-ci réprime le racolage, notion difficile à cerner, et permet surtout à l'Etat de percevoir les amendes imposées aux prostituées. Il s'agit bien plus d'aller dans le sens d'une transformation de la société, de refuser toute démarche "pragmatique" qui tendrait à cautionner l'existence de la prostitution. En insistant, en particulier, sur l'exigence d'une politique qui permette aux femmes de quitter la prostitution: en leur donnant, par exemple, un véritable droit au travail (allocation chômage versée à toute ancienne prostituée), en leur assurant une formation professionnelle, en interdisant toute discrimination à l'embauche. Leur droit au logement doit être aussi garanti en leur donnant accès à des HLM.
Il faut s'opposer à toute répression à l'encontre des prostituées, et au contraire appuyer les mesures d'accueil, d'aide aux prostituées, reposant sur le principe de la disparition de la prostitution. Ce principe est incontournable: "La prostitution doit disparaître. La meilleure politique de prévention est d'en poser le principe." C'est là le point de départ de toute discussion, et nous devons apporter notre appui à toutes les associations qui aident les prostituées à se sortir de la prostitution.

Alice Foucher (Publié dans Rouge)



--------------------------------------------------------------------------------



Des appels contre la prostitution


L'appel intitulé "Le corps n'est pas une marchandise" défend la position abolitionniste: "Aujourd'hui, on peut encore acheter un corps humain. Partout dans le monde, ou en bas de chez soi. Aujourd'hui, les réseaux internationaux de proxénétisme sont en pleine expansion. Des milliers de femmes venues des pays de l'Est, souvent enlevées ou achetées, sont réduites en esclavage et obligées de vendre leur sexe, dans toute l'Europe occidentale. En France, 20000 personnes au moins se prostituent, françaises ou étrangères, sous la contrainte ou non. Et pourtant, aujourd'hui encore, la prostitution est l'objet d'une acceptation tacite, ou d'une bienveillance complice. (...)Nous le disons haut et fort: ce laisser-faire douteux couvre une entreprise dégradante, un trafic déshonorant, un monde de violence et de cruauté." Les signataires appellent au respect de l'engagement pris par la France à travers sa signature de la convention de l'Onu.
Par ailleurs, il existe un comité permanent de liaison des associations abolitionnistes françaises, pour l'abolition du proxénétisme et la prévention de la prostitution, qui a lancé un appel à entrer en résistance contre l'Europe proxénète (1, rue du 11-Novembre, 92120 Montrouge; tél.: 0146552043, fax: 0146550775).
Davidoulia
 
Message(s) : 0
Inscription : 09 Sep 2004, 07:00

Message par Davidoulia » 27 Juin 2005, 09:44

a écrit :Dire que la société française est patriarcale parce qu'il y a encore de nombreux comportements auxquels on pourrait appliquer cet adjectif, c'est aussi faux


Non parce que ces comportements ne sont pas simplement des problèmes individuels mais lié à un système politique basé sur la domination masculine : le patriarcat. Il s'agit de voir l'articulation de ces comportements et autres inégalités comme un tout et non pas une somme de cas isolés. Et les lois ne vont même pas toujours à l'encontre de cela. Et quand bien même elles y vont, elles ne sont qu'un point d'appui. Cela vaut pour le racisme. Notre société est globalement raciste et c'est aujourd'hui principalement le capitalisme qui entretient ce racisme.
Davidoulia
 
Message(s) : 0
Inscription : 09 Sep 2004, 07:00

Message par logan » 27 Juin 2005, 10:07

(Davidoulia @ lundi 27 juin 2005 à 10:44 a écrit : Non parce que ces comportements ne sont pas simplement des problèmes individuels mais lié à un système politique basé sur la domination masculine : le patriarcat.

Il subsiste des inégalités hommes/femmes, bien sur. Les femmes sont souvent soumises à leur époux, certes.
Les femmes subissent une pression sociale et familiale plus importante que les hommes.

Mais de là à parler de ""système politique basé sur la domination masculine" cela me semble tellement exagéré que ça en devient faux.

Peux tu développer plus et nous donner des éléments concrets sur ton analyse? Concrètement quelles sont les lois en France qui te semblent révélateurs du patriarcat?
logan
 
Message(s) : 440
Inscription : 23 Fév 2004, 13:47

Message par Davidoulia » 27 Juin 2005, 10:35

Je retranscrit le chapitre sur le féminisme du projet de manifeste de la LCR. Ce chapitre a été rédigé par le secrétariat femmes. Il est comme les autres soumis au débat mais je pense qu'il répond à vos questions.

a écrit :Pour une alternative féministe

Etre féministe, ce n'est pas haïr les hommes, mais considérer qu'il y a un rapport social fondé sur la domination masculine qui entraîne pour les femmes des discriminations systématiques et pour les hommes des privilèges, rapport qu'il faut changer par une lutte collective, en particulier celle des femmes.

Une société capitaliste et patriarcale

L'oppression des femmes a précédé le capitalisme, elle est attestée, sous des formes très violentes, dans des sociétés sans classe et sans Etat. Les sociétés de classe, depuis l'Antiquité, se sont réappropriées cette oppression pour assurer leur pérennité. Néanmoins, le développement du capitalisme a eu et a encore des effets contradictoires sur cette oppression. A partir du XVIIIe et tout au long du XIXe siècle, la séparation des rôles féminins et masculins a été théorisée par la bourgeoisie européenne. Les hommes furent considérés comme les pourvoyeurs principaux de la famille, les femmes comme les ménagères et les éducatrices « naturelles » des enfants. Mais ce modèle, fondé sur l'enfermement des femmes bourgeoises dans la famille, s'est généralisé à toute la société quand bien même la majorité des femmes des milieux populaires (en ville ou à la campagne) continuait de travailler pour vivre. Cette assignation prioritaire des femmes au travail domestique a légitimé les salaires "d'appoint" et l'exclusion des femmes de la vie politique. Mais les évolutions du système capitaliste ont modifié le rapport de domination existant : après avoir grossi les rangs des ouvriers, en tant que main d'œuvre moins organisée et moins chère, les femmes ont pénétré progressivement les nouveaux secteurs de la vie économique comme le tertiaire, acquérant avec le statut de salariées, une nouvelle autonomie par rapport à leur conjoint. Pour autant, il leur a fallu attendre, en France, 1944 pour obtenir le droit de vote et 1965, pour avoir le droit de travailler sans l'autorisation de leur époux ! La massification de l'enseignement secondaire dans les années 60 et la généralisation du salariat féminin ont contribué au développement d'une nouvelle vague féministe dans le monde occidental dans les années 70, en faveur du droit à l'avortement et à la contraception notamment. Cette vague féministe a été l'occasion de débats passionnés sur le système de valeurs définies de manière sexiste et selon les normes hétérosexuelles, et l'assignation prioritaire des femmes au travail domestique. Ces luttes ont permis de lever la chape de plomb qui pesait sur les femmes et de bousculer la société patriarcale à des degrés divers dans le monde. De ce point de vue, nous ne tirons pas un trait d'égalité entre des sociétés occidentales qui ont été conduites à reconnaître de nouveaux droits pour les femmes et d'autres sociétés, où règnent des régimes despotiques et sous lesquels la religion sert de caution à une domination patriarcale exacerbée. Mais même en Europe, dans des pays comme le Portugal, l'Irlande, la Pologne, les femmes n'ont toujours pas le droit d'avorter en raison du poids de l'Eglise catholique. Et le deuxième pilier de la domination masculine, la division sexuelle et sexuée du travail, est toujours en place.

Un combat toujours d'actualité.

Dans les pays occidentaux, les politiques libérales se traduisent par la remise en cause d'un certain nombre d'acquis. Les femmes ont gagné une certaine autonomie. Mais avec le désengagement de l'Etat, les inégalités se sont renforcées entre hommes et femmes et également entre femmes : plus souvent chômeuses que les hommes, les femmes sont moins bien indemnisées. Elles sont, plus que les hommes, précarisées et appauvries, surtout les jeunes femmes. Les femmes représentent 80% des travailleurs pauvres en raison du temps partiel imposé ; à travail égal, elles sont toujours moins payées que les hommes et peu nombreuses dans les postes de responsabilités. Les attaques des dix dernières années contre les services publics et les retraites, les politiques « familiales » discriminatoires comme en France, l'allocation parentale d'éducation pour le 3ème , 2ème et 1er enfant, adoptée par la gauche ou la droite entre 1985 et 2003, sont autant d'atteintes au droit à l'emploi des femmes et à leur droit à l'égalité. Par ailleurs quelles que soient les évolutions de la législation, partout dans le monde, les femmes fournissent un surtravail non rémunéré. En France, elles fournissent 80% du noyau dur du travail domestique. Les femmes étrangères sont encore plus pénalisées du fait de codes de statut personnel qui s'appliquent aussi en France dans le cadre d'accords bilatéraux, ou encore du fait des règles du regroupement familial qui les rendent dépendantes économiquement et juridiquement de leur conjoint. Le débat suscité par l'exigence de la "parité" a permis de dénoncer le scandale de la sous-représentation politique des femmes (12 % de députées en 2004), et de porter la lutte contre cette inégalité sur la scène politique. Cette confrontation a permis d'éclairer partiellement les causes de cette exclusion. Mais l'argumentation développée par certain-e-s (valorisation de qualités prétendument "féminines" comme la "douceur" ou le sens du concret), loin de favoriser une réelle mixité de la vie politique, tendait à renforcer l'idée suivant laquelle il existerait des sphères « naturellement » réservées à l'un et l'autre sexe. La loi votée en 2000 a été une mesure d'action positive pour féminiser les conseils municipaux. Pour l'Assemblée nationale, en l'absence de toute contrainte, les hommes des grands partis ont préféré payer des amendes plutôt que de féminiser les listes.

Fonctions et évolutions de la famille

Pilier fondamental de la division sexuelle et sociale du travail et de la représentation de rôles sociaux différenciés, la famille constitue également un élément essentiel de la reproduction de l'ordre social dans toutes ses dimensions, notamment à travers la socialisation des enfants - Par la transmission précoce de ces rôles différenciés à travers une éducation familiale qui demeure largement sexuée/sexiste - Par la transmission d'une norme hétérosexuelle et de la représentation normative des identités sexuelles qui en résulte. Cependant, la famille est une institution inscrite dans l'histoire, qui évolue. Depuis quarante ans, notamment sous la pression des luttes féministes, de la généralisation du travail salarié des femmes et de la contestation homosexuelle, la famille apparaît parfois comme plus égalitaire et laissant plus de place à l'autonomie des individus, ou encore comme un refuge avec le développement du chômage, de la précarité et de l'insécurité sociale. Cela n'est pas exempt de nouveaux discours réactionnaires où la référence à la famille (et à sa dimension patriarcale) est présentée comme un recours face à la « perte des repères » et à la montée de la délinquance : stigmatisation des familles monoparentales, valorisation de l'autorité paternelle , etc. Nous ne privilégions aucun modèle familial par rapport à un autre, à condition que soit respectée l'égalité entre les hommes et les femmes et que soient bannis tous les rapports de violence entre adultes et enfants ou entre adultes. Nous sommes en outre favorables à des mesures législatives qui instaurent l'égalité entre hétérosexuels et homosexuels. C'est pourquoi les couples homosexuels doivent pouvoir se marier et adopter un enfant, s'ils le désirent. Tout individu (adulte ou enfant) et tout couple a besoin d'intimité. Mais pour éviter l'enfermement familial, devraient exister des espaces de liberté où les jeunes pourraient expérimenter, s'ils le souhaitent, des modes de vie plus collectifs, conviviaux et autogérés. Cela suppose entre autres un urbanisme différent qui permette aux jeunes et aux adultes de passer sans difficulté de l'habitation privée à des espaces communs de proximité : crèches, salles de rencontres et de loisirs, centres de santé, restaurants associatifs etc. Cela implique d'autres moyens financiers pour les équipements collectifs et la remise en cause de la division traditionnelle des tâches entre hommes et femmes.

Les violences : un instrument de domination

Partout dans le monde, les femmes subissent de terribles violences aussi bien dans leur famille que sur leur lieu de travail ou dans la rue : viols de guerre, crimes « d'honneur », mutilations sexuelles, violences sexuelles et physiques, insultes sexistes et lesbophobes, prostitution... . Ces violences sexistes ne sont pas l'expression d'une nature masculine "mauvaise" mais, comme les violences racistes ou les violences de classe (toutes peuvent d'ailleurs se cumuler), elles accompagnent un système de domination.S'il est plus facile de tuer une femme dans des pays où la législation reconnaît des circonstances atténuantes pour les crimes « d'honneur », la violence masculine contre les femmes est universelle. En France l'enquête ENVEFF (2000) a révélé qu'une femme sur 10 est victime chaque année de violences conjugales et que 48 000 femmes de 20 à 59 ans sont violées par an. Ces violences existent dans tous les milieux sociaux, elle n'ont rien à voir avec un « coup de folie », et sont l'expression, non de désirs "irrépressibles", mais d'une volonté de contrôler la vie de l'autre : l'autre (la femme) n'étant pas assimilé à un être libre, libre de ses désirs, de ses mouvements.

De nouveaux courants réactionnaires.

Le contexte international est propice aux surgissements de nouveaux courants idéologiques foncièrement réactionnaires, que ce soit les courants religieux intégristes ou fondamentalistes, (notamment judéo-chrétiens ou musulmans) caractérisés par l'assignation prioritaire des femmes à la procréation et à la sphère familiale ou des courants néo-libéraux, pour qui tout s'achète et tout se vend. Les uns et les autres, tout en prétendant lutter pour un renforcement des libertés individuelles (liberté de se voiler d'un côté, liberté de se prostituer ou de louer son ventre de l'autre), ne peuvent que fourvoyer les femmes et l'ensemble des individus vers des impasses. Lutter contre les tabous concernant la sexualité ne peut être assimilé à l'extension du domaine marchand à toutes les activités humaines. A l'inverse, se battre pour le respect de la dignité humaine n'implique en rien la nécessité de restaurer les tabous sur la sexualité et l'assignation prioritaire des femmes à la sphère familiale.

Notre projet

Quelles que soient les évolutions les plus récentes dans ce domaine, l'oppression persiste non comme un reste archaïque de rapports sociaux dépassés mais comme une donnée fondamentale des sociétés contemporaines. Ces rapports de domination imprègnent en profondeur nos représentations et nos pratiques. C'est pourquoi aucune transformation radicale de la société ne pourra voir le jour sans une lutte consciente pour remettre en cause les fondements mêmes de la domination masculine : la division sociale et sexuée des tâches entre femmes et hommes, dans toutes les sphères de la société ou les normes hétérosexistes qui façonnent nos relations interpersonnelles.

Pour un mouvement autonome de femmes

Pendant longtemps, la lutte des femmes pour leurs propres droits a été considérée comme secondaire ou divisant les travailleurs. Au mieux, l'émancipation des femmes devait découler «spontanément» de la disparition de la société de classe. Cette vision n'est en rien la nôtre. Seule une lutte consciente contre la domination masculine peut la faire reculer, voire l'éradiquer. Les femmes, les premières concernées, doivent s'organiser pour créer un rapport de forces. Si les femmes ne s'étaient pas organisées, elles n'auraient jamais obtenu le droit à l'avortement et à la contraception. Mais si nous souhaitons que la lutte des femmes ne profite pas seulement à quelques femmes privilégiées, il faut remettre en cause la logique marchande qui tend aujourd'hui à reconnaître des droits aux seules personnes qui disposent de moyens financiers : moyens de se soigner, de faire garder ses enfants, donc d'avoir du temps de libre etc. C'est pourquoi il faut lier cette lutte à celles des autres mouvements sociaux, des autres opprimés et exploités contre la marchandisation capitaliste. Mais il est tout aussi indispensable que les organisations syndicales, associations et les organisations politiques apportent leur soutien actif aux luttes féministes. Enfin, si dans les rapports de domination, les hommes tirent un privilège (en terme de temps et de pouvoir), ils ont tout à gagner à la mise en place de nouveaux rapports sociaux entre les sexes fondés sur l'égalité, les responsabilités partagées dans l'éducation des enfants.

Davidoulia
 
Message(s) : 0
Inscription : 09 Sep 2004, 07:00

PrécédentSuivant

Retour vers Histoire et théorie

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 0 invité(s)