Ignace Reiss

Message par pelon » 04 Sep 2005, 16:27

L'éphéméride du jour est consacré à Ignace Reiss assassiné le 4 septembre 1937 par les staliniens. Pour en apprendre davantage sur ce militant courageux (et le mot est faible) on peut lire "Les Nôtres" écrit par sa compagne Elizabeth Poretski. Je crois qu'il est actuellement disponible dans l'édition Actes Sud.
pelon
 
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Message par bidule » 04 Sep 2007, 23:51

Ca alors, moi aussi, je voulais y revenir avant que l'éphéméride ne change.

Donc, évidemment, je recommande aussi le livre de Poretski

Rompre avec le stalinisme pour "recommencer tout à zero", en risquant sa vie...

Reiss avait été un militant actif de cette période où la révolution n'était pas encore victorieuse, militant des premiers pas de l'Etat ouvrier, militant sincère encore pendant la dégénérescence, en choisissant les missions internationales des services secrets pour subir de plus loin les pressions de la bureaucratie staliniennes et avoir le sentiment de continuer de faire un travail utile à l'Etat ouvrier malgré les actes nauséabonds de la bureaucratie.

Quand Trotsky a été exclu d'URSS et a rassemblé autour de lui de nouveaux militants, combien d'entre eux avaient la trempe et l'expérience de Reiss ? Les "troskystes" français étaient alors surtout des jeunes issus de la petite bourgeoisie intellectuelle, enthousiastes, mais inexpérimentés.

Combien pouvait se vanter choisir le camp de Trostky en toute connaissance de cause comme lui ?
Seul le nouvel engagement d'un homme comme Reiss pouvait redonner confiance à ceux des militants sincères qui avaient traversé, comme lui, les épreuves de l'Etat ouvrier et qui, sans l'approuver, ne voyaient pas d'alternative au stalinisme.

C'est cette nouvelle perspective qui pouvait s'ouvrir à cette génération de militants, que Staline a voulu étouffer dans l'oeuf en assassinant Reiss.

L'inexpérience de l'organisation française - une certaine approximation dans le respect des règles de clandestinité - n'est pas pour rien dans la réussite de Staline à cet égard (à la lecture de Poretski, du moins, qui était sa femme).

La difficulté - l'impossibilité - à gagner le type de militants qu'était Reiss et que l'Etat ouvrier dégénéré faisait encore travailler pour lui à ce moment-là, obligeait Trotski à repartir lui aussi de zéro.

Mais Staline a mis beaucoup plus de temps avant de réussir à l'assassiner à son tour. Assez de temps pour que Trostky parviennent à transmettre un flambeau.

Et, je ne résiste pas à la tentation de fixer sur le forum la lettre de rupture de Reiss aux staliniens (et tant que l'éphéméride est toujours là, il faut lire aussi l'hommage de Trosky aussi)


(éphéméride a écrit :Ignace Reiss : Lettre au C.C. du P.C.( 8)

La lettre que je vous écris aujourd'hui j'aurais dû vous l'écrire depuis longtemps déjà, le jour où les « Seize » furent massacrés dans les caves de la Loubianka, sur l'ordre du « Père des Peuples ».

Je me suis tu alors. Je n'ai pas élevé la voix non plus pour protester lors des assassinats qui ont suivi, et ce silence fait peser sur moi une lourde responsabilité. Ma faute est grande, mais je m'efforcerai de la réparer, et de la réparer vite afin d'alléger ma conscience.

Jusqu'alors j'ai marché avec vous. Je ne ferai pas un pas de plus à vos côtés. Nos chemins divergent ! Celui qui se tait aujourd'hui se fait complice de Staline et trahit la cause de la classe ouvrière et du socialisme !

Je me bats pour le socialisme depuis l'âge de vingt ans. Sur le seuil de la quarantaine, je ne veux pas vivre des faveurs d'un Ejov.

J'ai derrière moi seize années de travail clandestin. C'est quelque chose, mais il me reste assez de forces pour tout recommencer. Car il s'agit bien de « tout recommencer », de sauver le socialisme. La lutte s’est engagée il y a longtemps déjà. Je veux y reprendre ma place.

Le tapage organisé autour des aviateurs qui survolent le Pôle vise à étouffer les cris et les gémissements des victimes torturées à la Loubianka, à la Svobodnaia, à Minsk, à Kiev, à Leningrad, à Tiflis. Ces efforts sont vains. La parole, la parole de la vérité, est plus forte que le vacarme des moteurs les plus puissants.

Les recordmen de l'aviation, il est vrai, toucheront les cœurs des ladies américaines et de la jeunesse des deux continents intoxiqués par le sport, plus facilement que nous arriverons à conquérir l'opinion internationale et à émouvoir la conscience du monde ! Que l'on ne s'y trompe pourtant pas : la vérité se fraiera son chemin, le jour de la vérité est plus proche, bien plus proche que ne le pensent les seigneurs du Kremlin. Le jour est proche où le socialisme international jugera les crimes commis au cours des dix dernières années. Rien ne sera oublié, rien ne sera pardonné. L'histoire est sévère : « le chef génial, le père des peuples, le soleil du socialisme », rendra compte de ses actes : la défaite de la révolution chinoise, le plébiscite rouge , l'écrasement du prolétariat allemand, le social-fascisme et le Front populaire, les confidences à Howard , le flirt attendri avec Laval : toutes choses plus géniales les unes que les autres ?

Ce procès-là sera public, avec des témoins, une multitude de témoins, morts ou vivants ; ils parleront tous une fois encore, mais cette fois pour dire la vérité, toute la vérité. Ils comparaîtront tous, ces innocents massacrés et calomniés, et le mouvement ouvrier international les réhabilitera tous, ces Kamenev et ces Mratchkovski, ces Smirnov et ces Mouralov, ces Drobnis et ces Serebriakov, ces Mdivani et ces Okoudjava, ces Rakovski et ces Andrès Nin, tous ces « espions et ces provocateurs, tous ces agents de la Gestapo et ces saboteurs ».

Pour que l'Union soviétique et le mouvement ouvrier international tout entier ne succombent pas définitivement sous les coups de la contre-révolution ouverte et du fascisme, le mouvement ouvrier doit se débarrasser de ses Staline et de son stalinisme. Ce mélange du pire des opportunismes - un opportunisme sans principes - de sang et de mensonges menace d'empoisonner le monde entier et d'anéantir les restes du mouvement ouvrier.

Lutte sans merci contre le stalinisme !

Non au front populaire, oui à la lutte des classes ! Non aux comités, oui à l'intervention du prolétariat sauver la révolution espagnole : telles sont les tâches à l'ordre du jour !

A bas le mensonge du « socialisme dans un seul pays » ! Retour à l'internationalisme de Lénine !

Ni la IIème ni la IIIème Internationale ne sont capables d'accomplir cette mission historique : désagrégées et corrompues, elles ne peuvent empêcher la classe ouvrière de combattre ; elles ne servent que d'auxiliaires aux forces de police de la bourgeoisie. Ironie de l'Histoire : jadis la bourgeoisie puisait dans ses rangs les Cavaignac et Gallifet, les Trepov et les Wrangel. Aujourd'hui c'est sous la « glorieuse » direction des deux Internationales que les prolétaires remplissent eux-mêmes le rôle de bourreaux de leurs propres camarades. La bourgeoisie peut vaquer tranquillement à ses affaires; partout règnent « l'ordre et la tranquillité » : il y a encore des Noske et des Ejov, des Negrin et des Diaz. Staline est leur chef et Feuchtwanger leur Homère !

Non, je n'en peux plus. Je reprends ma liberté. Je reviens à Lénine, à son enseignement et à son action.

J'entends consacrer mes modestes forces à la cause de Lénine : je veux combattre, car seule notre victoire - la victoire de la révolution prolétarienne - libérera l'humanité du capitalisme et l'Union soviétique du stalinisme !

En avant vers de nouveaux combats pour le socialisme et la révolution prolétarienne ! Pour la construction de la IVème Internationale !

Ludwig (Ignace Reiss), le 17 juillet 1937

P.S. : En 1928 j'ai été décoré à l'Ordre du « Drapeau Rouge », pour services rendus à la révolution prolétarienne. Je vous renvoie cette décoration ci jointe. Il serait contraire à ma dignité de la porter en même temps que les bourreaux des meilleurs représentants de la classe ouvrière russe. Les Izvestia ont publiés au cours des deux dernières semaines des listes de nouveaux décorés dont les fonctions sont passées pudiquement sous silence : ce sont les exécutants des peines de mort.


Mais il faut lire le livre de Poretski pour se le représenter un peu.
bidule
 
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