(Le Monde @ 27 septembre 2005 a écrit :Vingt-cinq ans après sa création, la guérilla péruvienne du Sentier lumineux a presque disparu
LIMA correspondance
"Je n'ai jamais parlé d'une "nouvelle vague de terrorisme", j'ai seulement dit que l'on devait se préoccuper car le Pérou n'est plus aussi bien en la matière qu'il l'était il y a trois ou quatre ans" , assurait le premier ministre péruvien sur une radio nationale, samedi 24 septembre. Pedro Pablo Kuczynski tentait ainsi de sortir d'une polémique qu'il a lui-même suscitée, il y a une semaine, en abordant le thème délicat du terrorisme.
Le président Alejandro Toledo a eu beau, depuis, nier toute augmentation du nombre des actes terroristes dans le pays, les propos du premier ministre ont réveillé les angoisses de millions de Péruviens qui pensaient en avoir fini avec les années de terreur et le Parti communiste du Pérou, plus connu sous le nom de Sentier lumineux. Pendant deux décennies, la population a ainsi vécu dans la peur des attaques, attentats et autres exécutions sommaires ordonnées par les membres de la guérilla maoïste. Entre 1980 et 2000, le conflit opposant les terroristes aux militaires aurait ainsi fait près de 70 000 victimes, selon la Commission de la vérité et de la réconciliation mise en place en 2001 pour faire la lumière sur cette période trouble du Pérou. Plus de 31 300 morts seraient attribuées au seul Sentier lumineux.
Aucune date ne marque officiellement la fin du conflit, mais tout le monde reconnaît l'extinction progressive du mouvement terroriste depuis l'arrestation d'Abimael Guzman en septembre 1992. L'incarcération du chef emblématique et idéologue du Sentier lumineux a en effet préludé au déclin de la guérilla.
A l'heure actuelle, seuls 10 des 1 800 districts péruviens seraient toujours affectés par la présence du mouvement maoïste, contre 600, soit le tiers du pays, en 1989, affirme Carlos Tapia, spécialiste péruvien du Sentier lumineux. Même la région d'Ayacucho, où Abimael Guzman, alors professeur, a recruté ses premiers disciples, semble débarrassée de toute activité "sendériste". "Il ne reste plus ici que des délinquants et des narcotrafiquants , affirme ainsi Hugo, un Ayacuchano qui a bien connu l'époque où les membres de la guérilla régnaient sur la province, terrorisant les habitants la nuit, se mêlant au reste de la population le jour. Certains se cachent encore derrière le nom de Sentier lumineux pour leurs activités de contrebande, mais ils n'ont rien à voir avec la lutte armée que menait le mouvement."
NARCOTRAFIQUANTS
Seuls deux groupes bien identifiés se revendiquent encore du Sentier lumineux : les partisans d'Alipio, basés dans la jungle, sur le Rio Ene, au coeur du pays, et ceux d'Artemio, dans la vallée amazonienne de Huallaga, au nord-est du Pérou. "Ces factions se déplacent dans des zones très peu peuplées, où elles vivent comme un pouvoir armé au service de toutes les économies illégales comme le trafic de bois, la contrebande ou le narcotrafic" , précise Carlos Tapia. Artemio a récemment revendiqué quatre attentats ayant eu lieu depuis 2004. Des attaques ayant coûté la vie à neuf personnes. "Nous continuons les actions armées sous quatre formes de guerre : l'agitation et la propagande, le combat guerrier, les sabotages et les destructions sélectives , assurait ainsi "camarade Artemio" au quotidien national La Republica , le 28 août. Aujourd'hui plus que jamais nous défendons le parti et la transcendance de la guerre populaire."
Convaincu que jamais le Sentier lumineux tel qu'il a existé ne se réorganisera, Carlos Tapia ne nie pourtant pas l'existence de nombreux groupes armés aujourd'hui. "Il y a des terroristes au Pérou, surtout liés au narcotrafic , reconnaît-il, mais ce sont des hommes qui se battent pour l'argent, sans aucune motivation idéologique."
Chrystelle Barbier
Un "mégaprocès" pour les dirigeants
Abimael Guzman, le chef du mouvement maoïste, et vingt-trois membres de la guérilla sont jugés, depuis lundi 26 septembre, pour "terrorisme aggravé, homicide qualifié et délits au préjudice de l'Etat" devant le tribunal civil de la salle pénale nationale de Callao, près de Lima, la capitale.
Ils doivent notamment répondre des nombreux crimes perpétrés dans le cadre de leur lutte armée lancée contre l'Etat péruvien en 1980, mais aussi de l'usage de voitures piégées, d'explosifs, d'armes ayant contribué à créer un climat de terreur dans le pays.
Afin de faciliter la procédure, toutes les accusations contre les responsables du Sentier lumineux ont été réunies en un seul et même procès. La prison à perpétuité a d'ores et déjà été réclamée par le procureur pour Abimael Guzman et dix autres dirigeants. Les treize autres accusés risquent vingt-cinq ans d'incarcération. Un jugement est attendu d'ici cinq mois. (Corresp.)