par Cyrano » 18 Nov 2005, 10:25
Classique de chez classique, on commence d'abord avec le "Manifeste du Parti Communiste". Après avoir parlé des classes moyennes qui ne «sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices», le Manifeste fait une brève allusion au "lumpen-prolétariat":
«Quant au lumpen-prolétariat, ce produit passif de la pourriture des couches inférieures de la vieille société, il peut se trouver, çà et là, entraîné dans le mouvement par une révolution prolétarienne ; cependant, ses conditions de vie le disposeront plutôt à se vendre à la réaction.»
Karl Marx, Friedrich Engels, "Manifeste du Parti Communiste", 1848.
A la même époque, Friedrich Engels parle du lumpen-prolétariat, dans un article sur juin 1848 en France:
«La garde mobile qui est recrutée, dans sa plus grande partie, dans le lumpen-prolétariat parisien, s'est déjà beaucoup transformée, dans le peu de temps de son existence, grâce à une bonne solde, en une garde prétorienne de tous les gens au pouvoir. Le lumpen-prolétariat organisé a livré, sa bataille au prolétariat travailleur non organisé. Comme il fallait s'y attendre, il s'est mis au service de la bourgeoisie, exactement comme les lazaroni à Naples se sont mis à la disposition de Ferdinand. Seuls, les détachements de la garde mobile qui étaient composés de vrais ouvriers passèrent de l'autre côté.
Mais comme tout le remue-ménage actuel à Paris semble méprisable quand on voit comment ces anciens mendiants, vagabonds, escrocs, gamins et petits voleurs de la garde mobile que tous les bourgeois traitaient en mars et en avril de bande de brigands capables des actes les plus répréhensibles, de coquins qu'on ne pouvait supporter longtemps, sont maintenant choyés, vantés, récompensés, décorés parce que ces "jeunes héros", ces "enfants de Paris" dont la bravoure est incomparable, qui escaladent les barricades avec le courage le plus brillant, etc., parce que ces étourdis de combattants des barricades de Février tirent maintenant tout aussi étourdiment sur le prolétariat travailleur qu'ils tiraient auparavant sur les soldats, parce qu'ils se sont laissé soudoyer pour massacrer leurs frères à raison de 30 sous par jour! Honneur à ces vagabonds soudoyés, parce que pour 30 sous par jour ils ont abattu la partie la meilleure, la plus révolutionnaire des ouvriers parisiens!»
Friedrich Engels, "Les journées de juin 1848", Neue Rheinische Zeitung (1848).
Bien sûr, le pote à Engels, Karl Marx, parlant du même sujet, de la même période, parle aussi du lumpen-prolétariat. Comme la bourgeoisie se sentait inférieure au prolétariat, «Il ne restait donc qu'une seule issue: opposer une partie des prolétaires à l'autre partie.» La bourgeoisie forma donc les bataillons de gardes mobiles avec des jeunes gens de 15 à 20 ans:
«Ils [les jeunes de 15-20 ans] appartenaient pour la plupart au lumpen-prolétariat qui, dans toutes les grandes villes, constitue une masse nettement distincte du prolétariat industriel, pépinière de voleurs et de criminels de toute espèce, vivant des déchets de la société, individus sans métier avoué, rôdeurs, gens sans aveu et sans feu *, différents selon le degré de culture de la nation à laquelle ils appartiennent, ne démentant jamais le caractère de lazzaroni. Étant donné que le Gouvernement provisoire les recrutait tout jeunes, ils étaient tout à fait influençables et capables des plus hauts faits d'héroïsme et de l'abnégation la plus exaltée, comme des actes de banditisme les plus crapuleux et de la vénalité la plus infâme.»
Karl Marx, "Les luttes de classes en France" (1850).
Juste pour finir avec les vénérables incunables fondateurs, je mets une citation extraite d'un texte d'Engels:
«Le lumpenproletariat - cette lie d'individus déchus de toutes les classes qui a son quartier général dans les grandes villes - est, de tous les alliés possibles, le pire. Cette racaille est parfaitement vénale et tout à fait importune. Lorsque les ouvriers français portèrent sur les maisons, pendant les révolutions, l'inscription: «Mort aux voleurs!», et qu'ils en fusillèrent même certains, ce n'était certes pas par enthousiasme pour la propriété, mais bien avec la conscience qu'il fallait avant tout se débarrasser de cette engeance. Tout chef ouvrier qui emploie cette racaille comme garde ou s'appuie sur elle, démontre par là qu'il n'est qu'un traître.»
Engels, Préface à "La Guerre des paysans" (1870).
Victor, pas Victor Hugo, mais Victor Serge résume - selon son idée - dans un article la pensée des fondateurs du communisme:
«Bakounine, qui semble n’avoir jamais compris Marx à fond, garde à certains égards des idées spécifiquement russes, sur le rôle, dans la révolution venir, de la pègre, des déclassés, des hors la loi, des bandits: il leur attribue une fonction utile et importante. Le banditisme fut souvent, en effet, dans la vaste Russie paysanne, livrée au despotisme, une forme sporadique de la protestation révolutionnaire des masses; et les déclassés, nobles et petits bourgeois passés à la cause populaire commençaient à former une intelliguentsia révolutionnaire.
Marx par contre, instruit par l’expérience des pays industriels, savait que le "lumpen-prolétariat" ou "sous-prolétariat en haillons" qui constitue la populace des grandes villes, loin d’être, de par sa nature même, un facteur révolutionnaire, est infiniment corruptible et instable, c’est-à-dire enclin à servir la réaction; c’est sur les masses ouvrières organisées qu’il fondait son espoir et non sur le déchaînement de la populace.»
Victor Serge, "La Pensée Anarchiste", Le Crapouillot, janvier 1938.