a écrit : Après la Révolution, vaudrait-il mieux instaurer une société de type démocratie directe (sachant que Marx a déclaré que l'aboutissement du Communisme est l'abolition de l'Etat) ou un Etat socialiste des travailleurs organisé et centralisé (comme celui qui a été tenté par l'URSS ou la Chine) ?
Les deux aspects que tu évoques sont indissociables. Les communistes révolutionnaires n'envisagent pas séparément l'instauration d' "une société de type démocratie directe" - appelons cela la "dictature du prolétariat" - et les moyens dont se dotent les travailleurs pour faire fonctionner l'Etat dont ils se sont emparés - c'est-à-dire un "Etat socialiste des travailleurs organisé et centralisé".
D'autant que pour Lénine et Trotsky aussi, "l'aboutissement du Communisme est l'abolition de l'Etat". En ce sens, la "dictature du prolétariat" n'est en rien contradictoire avec l'objectif que constitue l'extinction puis la disparition de l'Etat. Il n'y a donc pas opposition, comme ta question semble le suggérer, entre le point de vue de Marx et celui des révolutionnaires d'Octobre 17. Pour les bolchéviques comme pour Marx, en régime socialiste, l'Etat devra disparaître, et partant "toute démocratie finira par s'éteindre" (Lénine,
L'Etat et la Révolution).
Comment les travailleurs de demain devront-ils procéder, une fois s'être emparé des Etats bourgeois ? Comment le prolétariat s'organisera-t-il en classe dominante ? Quelles formes seront celles de sa dictature ? A vrai dire, nous l'ignorons en grande partie, même si l'histoire du mouvement ouvrier nous a légué quelques expériences. Nous l'ignorons, parce que l'essentiel restera à inventer. Ce qui est certain, c'est que le prolétariat inventera d'autant mieux qu'il aura su, auparavant, tirer les leçons du passé (c'est le rôle du parti révolutionnaire que de s'imprégner de ces expériences passées et de les transmettre aux générations révolutionnaire futures).
Lénine, dans
L'Etat et la révolution, rédigé seulement quelques semaines avant oct 17, donnait ces quelques lignes directrices : la "nécessité pour le prolétariat, après qu'il aura conquis le pouvoir politique, de détruire entièrement la vieille machine d'Etat et [...] la remplacer par une nouvelle, qui consiste dans l'organisation des ouvriers armés, sur le modèle de la Commune" ; après quoi, précise-t-il, "l'Etat devra disparaître". Ce qui est sur, c'est que "la forme transitoire de sa disparition (passage de l'Etat au non-Etat) sera le prolétariat organisé en classe".
Pour Lénine encore, qui connaissait parfaitement bien la situation du capitalisme russe du début du siècle, cette suprématie devait se faire selon quelques règles : "Nous ne sommes pas des utopistes. Nous ne "rêvons" pas de nous passer d'emblée de toute administration, de toute subordination; ces rêves anarchistes, fondés sur l'incompréhension des tâches qui incombent à la dictature du prolétariat, sont foncièrement étrangers au marxisme et ne servent en réalité qu'à différer la révolution socialiste jusqu'au jour où les hommes auront changé. Nous, nous voulons la révolution socialiste avec les hommes tels qu'ils sont aujourd'hui, et qui ne se passeront pas de subordination, de contrôle, "surveillants et de comptables". Mais c'est au prolétariat, avant-garde armée de tous les exploités et de tous les travailleurs, qu'il faut se subordonner. On peut et on doit dès à présent, du jour au lendemain, commencer à remplacer les "méthodes de commandement" propres aux fonctionnaires publics par le simple exercice d'une "surveillance et d'une comptabilité", fonctions toutes simples qui, dès aujourd'hui, sont parfaitement à la portée de la généralité des citadins, et dont ils peuvent parfaitement s'acquitter pour des "salaires d'ouvriers". C'est nous-mêmes, les ouvriers, qui organiserons la grande production en prenant pour point de départ ce qui a déjà été créé par le capitalisme, en nous appuyant sur notre expérience ouvrière, en instituant une discipline rigoureuse, une discipline de fer maintenue par le pouvoir d'Etat des ouvriers armés; nous réduirons les fonctionnaires publics au rôle de simples agents d'exécution de nos directives, au rôle "de surveillants et de comptables", responsables, révocables et modestement rétribués (tout en conservant, bien entendu, les spécialistes de tout genre, de toute espèce et de tout rang) : voilà notre tâche prolétarienne, voilà par quoi l'on peut et l'on doit commencer en accomplissant la révolution prolétarienne. Ces premières mesures, fondées sur la grande production, conduisent d'elles-mêmes à l'"extinction" graduelle de tout fonctionnarisme, à l'établissement graduel d'un ordre — sans guillemets et ne ressemblant point à l'esclavage salarié — où les fonctions de plus en plus simplifiées de surveillance et de comptabilité seront remplies par tout le monde à tour de rôle, pour ensuite devenir une habitude et disparaître enfin en tant que fonctions spéciales d'une catégorie spéciale d'individus".
Si une réactualisation sera sans-doute nécessaire, elle ne pourra se faire que dans la pratique. Mais nous n'en sommes pas encore là !!!