a écrit :Pour Lutte ouvrière, la révolte des banlieues était «stérile»
Elle serait le fait de «jeunes gens désorientés» dépourvus d'idées politiques.
par Christophe FORCARI
QUOTIDIEN : vendredi 16 décembre 2005
La révolte des banlieues ? Du «hooliganisme» pour Lutte ouvrière. Même si le parti d'Arlette Laguiller se garde de coucher le terme noir sur blanc, c'est, en tout cas, le sentiment de la direction du groupuscule. Pour les révolutionnaires purs et durs de LO, le fait de brûler la voiture du prolétaire voisin traduit, à tout le moins, un manque flagrant de conscience de classe. Les dirigeants de la formation trotskiste jugent «stériles» les émeutes dans les quartiers pauvres provoqués par des «jeunes désorientés».
Embryon de révolte. Une analyse des événements fortement discutée lors du dernier congrès de l'organisation trotskiste, il y a trois semaines à Paris. Pour la fraction minoritaire, autorisée depuis 1996, ces événements expriment la révolte, certes aveugle, d'une partie de la jeunesse ouvrière et prolétaire, pas seulement immigrée. Un véritable embryon de révolte, même si elle bouscule les grilles de lecture traditionnelle de la direction du parti. Les minoritaires de LO reprochent également à la direction d'avoir calé leurs positions sur celles des autres partis à la gauche de la gauche, et notamment de la LCR, en se contentant de pointer les responsabilités gouvernementales.
C'est «niet». Dans le texte final approuvé par la majorité des délégués, les majoritaires de LO accusent le gouvernement, responsable par sa politique, du déclenchement de ces manifestations de «jeunes asociaux». «Nous ne reprenons pas ces termes à notre compte, c'est une citation du gouvernement», se défend Michel Rodinson, membre de la direction de LO, qui regrette «la façon dont ces jeunes ont exprimé une révolte qui ne se donnait aucun but politique, ni social». Une citation que, pourtant, les responsables de LO, au fil de leur analyse, semblent faire leur. Dans l'organe de réflexion mensuel du parti Lutte de classe de novembre, ils fustigent des manifestants qui «ont cherché à démolir le peu qui, dans les quartiers pauvres, représente une certaine vie sociale». Et dénoncent «certains gauchistes qui présentent ce qu'ils appellent le radicalisme des jeunes de banlieue comme un exemple à suivre pour les travailleurs. C'est passablement stupide. La violence aveugle n'est en rien un signe de radicalisation. C'est le signe d'une désorientation profonde, la marque de l'inconscience». Des émeutiers en bleus de chauffe passent encore, mais chaussés de Nike, en survêtement et casquette, là, c'est «niet» pour les révolutionnaires.
Contre l'état d'urgence. L'appréciation de LO sur ces événements rejoint en partie l'analyse qu'en fait la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) d'Alain Krivine et Olivier Besancenot. La formation trotskiste rivale de celle d'Arlette Laguiller déplore également que ce mouvement «se soit fait sans plate-forme unifiante, sans revendications et sans débouchés politiques». «Mais c'est une authentique révolte populaire des exclus du libéralisme», ajoute toutefois Christian Picquet, membre de la direction de la LCR, pour qui «la qualifier de mouvement d'asociaux revient à passer totalement à côté de la plaque». «C'est vrai qu'on a du mal à appréhender le mouvement», reconnaît un autre responsable de la Ligue qui s'est contentée de manifester à deux reprises contre l'instauration de l'état d'urgence. «Nous n'avons pas réussi à mobiliser comme nous le souhaitions», avoue Alain Krivine. Les deux organisations d'extrême gauche peinent à appréhender cette révolte des jeunes, et plus encore à lui donner des débouchés politiques.