a écrit :M. Garcia Linera, théoricien radical du candidat des indigènes
LE MONDE | 17.12.05 | 14h22 • Mis à jour le 17.12.05 | 14h22
LA PAZ ENVOYÉ SPÉCIAL
On ne pouvait pas imaginer un attelage aussi dissemblable. Le favori à l'élection présidentielle en Bolivie, Evo Morales, corpulent et sanguin, possède les traits typés d'un Indien aymara, quand son candidat à la vice-présidence, Alvaro Garcia Linera, est un Blanc au teint pâle, à l'allure de séminariste, que les cheveux blanchis prématurément ne font qu'accentuer. Si les urnes confirment, dimanche 18 décembre, l'élection annoncée par les sondages du premier président indigène de la Bolivie, ce sera aussi grâce à cet universitaire éloquent.
Mathématicien et sociologue âgé de 43 ans, M. Garcia Linera a fait ses études en prison, quand il était détenu pour sa participation à une guérilla tardive et éphémère : l'Armée Tupac Katari, du nom d'un Aymara qui s'était soulevé contre les colonisateurs espagnols. Ensuite, il est devenu le théoricien du réveil identitaire indigène comme moteur des mouvements sociaux. Il parvient à concilier ce rôle d'idéologue des secteurs les plus radicalisés, tentés par la voie insurrectionnelle, et la fonction de commentateur des programmes télévisés, toujours prêt à défendre les vertus du dialogue et de la démocratie.
Sa candidature a été une surprise. Dans un appartement rempli de livres, à Sopocachi, le Quartier latin de La Paz, il s'en explique : "Je ne pouvais pas refuser d'accompagner notre premier président indigène, confie-t-il. La Bolivie est depuis plusieurs années en butte à une épreuve de force, ce que j'appelle un match nul catastrophique. Si nous allons vers une confrontation, autant avoir l'appareil d'Etat de notre côté."
"EVITER L'AFFRONTEMENT"
Lors des meetings de la campagne électorale, il a revêtu les habits traditionnels des Aymaras ou des Quechuas pour mieux galvaniser les foules, en majorité des démunis. En même temps, il a multiplié les rencontres pour, dit-il, "éviter l'affrontement, tisser des liens, tendre des ponts, à la recherche du consensus, notamment auprès des chefs d'entreprise de Santa Cruz, la métropole économique du pays".
Région riche en hydrocarbures, l'est de la Bolivie aura l'autonomie qu'elle revendique, leur a-t-il promis, ainsi que la sécurité juridique réclamée par les propriétaires fonciers, soumis à la pression des paysans sans terre.
La main tendue à la bourgeoisie se double d'une menace à peine voilée contre ses anciens camarades. "Nous avons isolé les leaders radicaux et signé des accords avec les mouvements sociaux, mais le cas échéant, l'autorité de l'Etat devra prévaloir", avertit Alvaro Garcia Linera.
Avec la puissante Fédération des associations de voisins d'El Alto (Fejuve), la ville rebelle perchée au-dessus de La Paz, l'accord s'est borné à intégrer deux candidats sur les listes pour les législatives. A El Alto, sa caravane a croisé une manifestation d'organisations locales qui apostrophaient les candidats de la gauche et de la droite, "la même porcherie".
L'ENJEU DES HYDROCARBURES
En tête des promesses électorales, la nationalisation des hydrocarbures cristallise les impatiences, d'autant que chacun l'interprète à sa guise. "Nous allons maintenir la loi de 2005 sur les hydrocarbures (plus restrictive pour les investisseurs étrangers dans ce secteur) et y apporter des améliorations, affirme M. Garcia Linera. Les compagnies pétrolières étrangères devront accepter de nouveaux contrats et la souveraineté bolivienne sur les puits."
Selon les milieux spécialisés de La Paz, un dossier serait déjà prêt pour transformer en bouc émissaire la multinationale Chaco (British Petroleum et Shell), accusée de contrebande. Le candidat refuse de confirmer, mais ne peut s'empêcher de sourire. "Je ne me suis jamais autant amusé", avoue-t-il.
Face au manque notoire de cadres pour remplir les postes-clés et à l'absence de majorité parlementaire, il envisage d'autres alliances, "à l'exclusion de la droite néolibérale et des partis traditionnels".
Ce qui ouvre un boulevard aux centristes regroupés autour du candidat présidentiel Samuel Doria Medina, un chef d'entreprise qui propose de concentrer l'investissement social à El Alto. "Le moment est favorable pour (les partis de) centre-gauche", justifie Alvaro Garcia Linera, au risque de désespérer ses propres bases.
Paulo A. Paranagua
Article paru dans l'édition du 18.12.05
NB: C'est moi qui souligne