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Le chien, mets de choix du nouvel an chinois]
Faut-il manger canin l'année du Chien? Reportage sur le marché aux saint-bernard, près de Pékin.
Par Philippe GRANGEREAU
samedi 28 janvier 2006
Tongxian envoyé spécial
la Chine, qui célèbre aujourd'hui la fête du printemps de son calendrier lunaire, entre dans la très propice année du Chien. Mais s'il est un pays où la race canine n'est pas vraiment à la fête, c'est bien en Chine. Le chien y est cuisiné à toutes les sauces dans la plupart des provinces. A une trentaine de kilomètres de Pékin, sur le «marché des chiens» de Tongxian, un espace goudronné coincé entre des champs en friche hivernale et une zone industrielle, quatre gaillards tiennent en laisse un dalmatien prostré à terre, les pattes de devant toutes tremblantes. «Si vous voulez, on le tue de suite», propose l'un d'eux à un client potentiel. «Comment ?» répond l'homme. «A coups de bâton, puis on le dépèce.»
Restaurants. La viande favorite des restaurants de chiens n'est cependant pas le dalmatien, mais le saint-bernard. Importé de Suisse dans les années 90, ce chien-sauveteur des montagnes helvètes est renommé pour sa chair tendre, son engraissement rapide et ses portées nombreuses. Sa fourrure épaisse, comme celle d'autres chiens et chats, garnit aussi parfois les manteaux chinois. Curieusement, les éleveurs de rou gou (chiens de boucherie) côtoient sur ce même marché de Tongxian les amoureux de chiens de race, qui proposent aux chalands attendris huskys, lévriers, bouviers du Jura ou dogues du Tibet. «J'adore ces chiens, dit un paysan qui vend trois pékinois. ça ne m'empêche pas de manger de temps en temps de la viande de chien, mais pas de celui-là. Il est trop maigre.»
Liu Gang, un éleveur de saint-bernard de Tongxian, fait volontiers visiter ses chenils, aménagés à l'étroit dans une maison paysanne en brique. «Ceux-là sont bons pour le restaurant, mais ceux-ci sont des chiens de compagnie», dit-il en distinguant deux portées de chiots. Les plus beaux, des pures races qui échapperont sans doute à la casserole, se vendent 3 000 yuans (305 euros) ; les autres, des mâtinés de saint-bernard destinés à agrémenter les palais, se négocient un millier de yuans. Dans la cour, deux énormes chiens suisses reproducteurs d'une centaine de kilos se partagent un enclos réduit. Leur propriétaire annonce avoir acheté «une fortune» ses premiers saint-bernard voilà huit ans. Il ignore tout, annonce-t-il, des protestations de sociétés suisses de protection des animaux visant l'usage culinaire qui est fait en Chine des valeureux chiens des cîmes.
«Jusqu'alors, il semble que, pour des raisons de coût, les Chinois ne mangent que les saint-bernard croisés avec d'autres chiens. Mais le nombre de "pure-race" augmentant rapidement, leur prix décline et eux aussi finiront par être consommés», déplore Eléonore Moser, la présidente de l'association SOS Saint-bernard, dont le slogan est «les saint-bernard sont pour nous ce que les pandas sont pour la Chine». SOS, qui estime à «plus de 50» le nombre d'élevages de saint-bernard en Chine, a envoyé pétition sur pétition au gouvernement chinois depuis 2001. «Nous n'avons jamais eu la moindre réaction.»
Cruauté. SOS s'élève surtout contre les méthodes d'abattage des chiens. Ces bêtes sont couramment tuées à coups de bâtons dans des sacs, ou pendus jusqu'à ce que mort s'ensuive. L'adrénaline diffusée dans le corps de l'animal lors de son agonie prolongée rendrait sa chair, selon les croyances, plus tendre et plus aphrodisiaque. Cette cruauté commence à être timidement dénoncée au pays du panda. «En Chine, on assomme les chiens, puis on les dépèce vivants. C'est révoltant», proteste Xu Huai, une comptable à la retraite qui dirige l'Association de protection des animaux de Pékin. Cette militante, qui possède 2 chiens et 17 chats, souhaite l'interdiction des chiens de boucherie en Chine, comme c'est le cas à Hongkong depuis 1950. Mais elle reconnaît que «si les mentalités de beaucoup de Chinois évoluent dans le sens d'une plus grande humanité envers les chiens, le pays n'est pas encore prêt à interdire la consommation canine». Le fait est, se lamente-t-elle, que «le gouvernement n'encourage pas mon action».
Superstitions. La consommation de chien est classée par le ministère de l'Agriculture avec celle d'autres animaux de boucherie comme la vache ou le mouton. La presse chinoise continue de faire sans vergogne l'éloge de cette viande «tendre et goûteuse». Un article intitulé «Faut-il manger du chien l'année du Chien ?», paru mardi dans le journal Xinbao de Pékin, débat des très vigoureuses superstitions chinoises en la matière, tout en présentant ce type de gastronomie comme allant de soi. Selon un sondage effectué en 2001, 43 % des Pékinois auraient mangé au moins une fois du chien, généralement des bâtards appelés chai gou. De nombreux restaurants offrent des plats de chien en tête de leur menu.
En réaction aux récriminations de l'étranger, la gastronomie canine est parfois présentée dans les forums de discussion Internet comme une «tradition nationale qu'il importe de développer». L'argument «culturel» a récemment été invoqué par le vice-président exécutif du Comité olympique de Pékin, Wang Wei. A des journalistes chinois qui s'inquiétaient de savoir si la consommation de chien maltraité ne nuirait pas à l'image de la Chine pendant les JO, l'officiel a expliqué qu'«il n'est pas possible d'interdire certaines traditions». Chienne de vie.