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[center]Le Japon relance l'idée de transpercer l'écorce terrestre[/center]
LE MONDE | 08.02.06 |
Percer la croûte terrestre, puis atteindre le manteau sous-jacent où règne une température de 2 000 ºC. Ce vieux rêve de la communauté scientifique pourrait être réalisé en 2007-2008 grâce au Chikyu, un nouveau navire océanographique japonais capable de forer des puits de 5 à 7 km de profondeur. En attendant, les premiers essais effectués en novembre et décembre 2005 par le bateau au large de l'archipel nippon se sont révélés concluants. Ils ont évalué le bon fonctionnement des différents équipements du navire, notamment le positionnement dynamique, qui lui permet de rester fixe au-dessus d'un endroit donné, ainsi que le procédé de carottage doté d'un "riser" qui sera mis en oeuvre pour la première fois sur un navire de recherche.
Déjà fréquemment utilisé par l'industrie pétrolière, le "riser" est une sorte de manchon creux qui entoure le train de tiges destiné à perforer les fonds marins après avoir traversé l'océan. Il permet de remonter la boue issue du carottage jusqu'au navire, alors que, jusqu'à présent, les bateaux océanographiques foreurs se contentaient de laisser la boue au fond de l'eau, près du puits de forage. Le tube de forage est également doté du Blow Out Preventer (BOP), une pièce qui connecte le riser avec l'entrée du puits. "Elle permet de mieux contrôler les variations de pression et de creuser des puits plus stables et plus profonds, même dans des zones instables ", explique Benoît Ildefonse, géologue au laboratoire de tectonophysique (CNRS - université Montpellier-II). Les premiers tests avec le riser ne commenceront qu'en août, et la première campagne scientifique utilisant ce procédé débutera en septembre 2007 et durera toute l'année 2008.
Construit pour la coquette somme d'environ 500 millions de dollars, le Chikyu appartient au Jamstec (Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology). Il opère dans le cadre du programme international de forage océanique IODP (Integrated Ocean Drilling Program), qui a démarré en 2003. "Ce navire est très important pour nous, ajoute Benoît Ildefonse, qui préside le comité scientifique IODP-France. Car il pourra pour la première fois atteindre le manteau, après avoir traversé le moho, cette discontinuité qui sépare la croûte terrestre du manteau. "
Cet objectif date des années 1960. A cette époque, les Américains avaient lancé le projet Mohole, qui ne fut pas concluant. D'autres campagnes internationales de forage ont ensuite pris le relais, comme l'Ocean Drilling Program, qui a précédé l'IODP, campagne au cours de laquelle la profondeur maximale atteinte n'a pas dépassé les 2 km. La croûte océanique a été choisie car elle est moins épaisse (5 à 7 km) que la croûte continentale, qui peut atteindre 50 km. Plusieurs essais de forage continental ont bien été tentés dans le passé, notamment par les Russes, qui ont atteint en 1989, dans la péninsule de Kola, la cote record de 12 km, sans parvenir jusqu'au moho.
La première campagne du Chikyu ne sera pourtant pas centrée sur la recherche du moho. Le comité scientifique de l'IODP a en effet décidé que le navire commencerait ses recherches sur la zone de subduction de Nankaï, située au nord-est de l'Archipel, qui provoque régulièrement de très gros séismes. Les études historiques, géologiques et géophysiques menées dans cette zone, où une plaque océanique s'enfonce sous une plaque continentale, ont montré que les tremblements de terre s'y produisaient tous les cent à deux cents ans.
Le Chikyu commencera à forer dans la région en septembre 2007, et il y restera toute l'année 2008. Pendant l'hiver 2007-2008, il sera accompagné du navire américain Joides Resolution, qui effectuera des forages classiques. L'objectif de l'expédition est de forer plusieurs puits dans la croûte : certains en avant de la fosse de subduction, dans les sédiments qui vont y pénétrer, et d'autres au niveau de la zone de contact entre les deux plaques tectoniques. Ces puits — dont le plus profond descendra jusqu'à 6 km — seront dotés d'appareils mesurant divers paramètres (température, pression des fluides, caractéristiques de la roche, sismicité). Ces instruments seront reliés en réseau et enverront leurs données en surface, mesures qui compléteront les observations menées par les observatoires terrestres et les satellites GPS.
Grâce à cet appareillage, les scientifiques espèrent améliorer leur connaissance sur le comportement des failles. Comme l'explique Pierre Henry, directeur de recherche au CNRS (chaire de géodynamique du Collège de France, Aix-en-Provence) et qui participe à l'expérience NanTroSEIZE (Nankai Trough Seismogenic Zone Experiment) : " Actuellement, nous ne savons pas pourquoi certaines d'entre elles glissent sans provoquer de gros séismes. Alors que d'autres, au contraire, engendrent des tremblements de terre ravageurs."
Christiane Galus