Le singe proche de l'homme

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par com_71 » 29 Mai 2006, 22:40

a écrit :Evolution
Le singe encore plus proche de l'homme

Dans la revue «Nature», des généticiens retardent de 2 millions d'années la séparation entre les deux lignées. Polémique.

par Corinne BENSIMON
LIBERATION QUOTIDIEN : jeudi 18 mai 2006

 


Le divorce fut laborieux, hésitant comme un bégaiement. D'abord, il y a eu des divergences subtiles, qui ont créé des distances. Puis des retrouvailles, avec étreintes et naissances, nombreuses, qui ont tissé de nouveaux liens. Des éloignements de nouveau. Et enfin, le point de non-retour. Chacun son chemin. Entre les ancêtres des humains et ceux du chimpanzé, la séparation a duré quatre millions d'années. Quatre mille millénaires pour que soit consommée la divergence entre les lignées dont sont issus l'homme moderne et son plus proche parent vivant. Longtemps après avoir commencé à évoluer dans des directions différentes, ils ont continué à s'hybrider. Tant et si bien que leur spéciation s'est achevée récemment, il y a «seulement» six millions d'années.
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Copulation. Tel est donc le scénario que propose une équipe de chercheurs américains, au terme d'une étude d'une envergure sans précédent des ADN des deux espèces actuelles, Homo sapiens et son cousin, Pan troglodytes. Dans un article publié hier en ligne par la revue Nature, David Reich, Eric Lander et leurs collègues de Harvard (Etats-Unis) produisent une analyse génétique qui bouscule singulièrement la vision des origines du genre Homo. Selon ces spécialistes de la génomique, la spéciation fut non seulement lente et non linéaire, mais elle s'est achevée il y a 6,3 ou même 5,4 millions d'années. Or l'étude des plus vieux fossiles présentant des caractères humains (dont Toumaï, lire page 8) a conduit à dater la séparation à 8 millions d'années. Avec l'étude américaine, l'odyssée de l'espèce rajeunit d'un à deux millions d'années... et sa genèse récolte quelques épisodes croustillants de copulation. Si les chercheurs ont correctement fait parler l'ADN.

Génomes. Cette «parole», ils l'ont tirée essentiellement de la séquence du génome humain (achevé en 2001), et de celui du chimpanzé (livré l'an dernier). Reich et ses collègues ont réalisé la première confrontation de grande ampleur de ces deux patrimoines. Cette exploration comparée permet, classiquement, de révéler les différences existant entre les deux génomes, différences résultant, pour la plupart, de l'accumulation de mutations. Le rythme auquel des mutations s'accumulent dans l'ADN d'une espèce étant estimé constant, les généticiens utilisent le nombre de mutations constatées pour dater l'âge de la divergence génétique, et in fine, le temps qui s'écoule entre le début du processus de spéciation et son achèvement. Entre l'homme moderne et le singe, les différences sont minimes. Environ 99 % de la séquence d'ADN est commune. D'après l'étude américaine, l'infime espace de cette différence génétique s'est forgé en moyenne en quatre millions d'années. Cependant, les gènes d'une espèce n'évoluant pas tous en même temps, l'analyse point par point des deux génomes a apporté deux surprises. Primo, les régions de l'ADN les plus «jeunes» chez l'homme et le chimpanzé sont bien plus récentes qu'on ne le pensait, ce qui indiquerait que la spéciation s'est produite il y a environ 6 millions d'années, un à deux millions d'années plus tôt qu'on ne le pensait. Secundo : le chromosome sexuel X est 1,2 million d'années plus récent que les autres chromosomes. Ce serait là le signe que les deux espèces se sont interfécondées alors même que leur spéciation était engagée. Les ancêtres des humains auraient vécu longtemps une longue période de métissage avec ceux des chimpanzés. Décidément très proches.
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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Message par com_71 » 29 Mai 2006, 22:44

a écrit :Evolution. Pour Pascal Picq, paléo-anthropologue, la théorie de l'hybridation avancée par les généticiens est plausible.
«Entre espèces, la frontière n'est pas étanche»

par Sylvestre HUET
LIBERATION QUOTIDIEN : jeudi 18 mai 2006

   

Pascal Picq, 52 ans, paléoanthropologue, est maître de conférence au Collège de France. Il est spécialiste de l'évolution du crâne des hominidés. Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages, dont Au commencement était l'homme (Odile Jacob, 2003).
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Que pensez-vous de l'idée d'une longue histoire d'hybridation possible entre les ancêtres des singes actuels et des hommes ?

Cet article fascinant suggère de nombreuses conséquences. L'histoire des origines de l'homme et des grands singes n'est pas encore écrite, elle semble bien plus complexe que la présentation traditionnelle d'une coupure entre deux lignées qui se seraient irrémédiablement séparées en une seule fois, il y a 6, 9 ou 10 millions d'années. Surtout, cette approche contredit une démarche très répandue chez les paléoanthropologues qui veulent à toute force isoler la lignée humaine le plus tôt possible dans l'histoire. Or, cet article de génétique vient confirmer un résultat de la recherche en éthologie des grands singes : nous sommes vraiment très proches de nos cousins et la bonne démarche consiste à rechercher simultanément l'origine de nos deux lignées.

Que nos ancêtres respectifs aient été interféconds durant plusieurs millions d'années ne vous choque pas ?

J'accepte volontiers cette idée. D'abord, elle n'est en rien extraordinaire pour un biologiste. Le modèle le plus simple de la spéciation ­ l'apparition d'une nouvelle espèce ­ suppose la séparation géographique de deux populations qui se différencient petit à petit au point de ne plus pouvoir se mélanger. Mais prenons les chimpanzés. Dans la nature, nous observons deux populations ­ Pan troglodytes et Pan paniscus [les bonobos] qui ne se mélangent pas. Logique puisqu'elles sont séparées par le fleuve Zaïre, que ces grands singes ne peuvent traverser. Nous en avons fait deux espèces, en raison de leurs différences morphologiques, géographiques et éthologiques. Mais, en zoo, elles se croisent.

L'observation de croisements entre espèces de babouins dans la nature montre que les frontières d'espèces, lorsque leur divergence est récente, ne sont pas totalement étanches. Les capacités d'adaptation actuelles des chimpanzés, l'usage d'outils, un régime alimentaire varié et parfois carnivore, montrent qu'ils peuvent vivre dans des environnements allant de la savane arborée à la forêt dense. Leurs ancêtres et les nôtres, il y a 5 millions d'années, présentaient les mêmes atouts et ont donc très bien pu se déplacer à grande échelle sur le continent africain, provoquant des rencontres fécondes entre populations séparées depuis plusieurs dizaines ou centaines de milliers d'années, compliquant ainsi le processus de spéciation. La morphologie des espèces fossiles de cette époque ne peut plaider en faveur ou contre l'hypothèse de l'hybridation. Quant à la barrière comportementale, aucun fossile ne peut en révéler l'existence. Seule la génétique peut traiter cette problématique complexe des origines et des modes de spéciation.

Il y a pourtant des différences telles entre l'homme et le chimpanzé que les fossiles doivent bien pouvoir être posés sur l'une ou l'autre lignée ?

Le problème est que les paléontologues abordent ce problème en considérant que tout caractère reconnu dans la lignée humaine est nécessairement le résultat de l'évolution la plus récente et tout caractère identifié chez les grands singes est plus archaïque. C'est la vieille idée d'un homme sommet de l'évolution. C'est erroné. Les chimpanzés n'ont pas moins évolué que nous depuis notre dernier ancêtre commun. Par exemple, on a cru que l'émail épais de nos dents était d'acquisition récente, à l'inverse de l'émail fin des chimpanzés. Or, on l'a retrouvé chez des grands singes fossiles d'il y a 15 millions d'années. C'est l'émail fin des chimpanzés qui est évolué. On se focalise aussi sur la bipédie humaine. Mais c'est seulement à partir d'Homo habilis et erectus, il y a 2 millions d'années, que la bipédie humaine devient vraiment différente. Mais les bonobos actuels marchent souvent redressés, et des traces de bipédie apparaissent sur des espèces fossiles éloignées de notre lignée. De même, la taille des canines, souvent invoquée, dépend en grande partie du modèle social ­ harem et forte compétition entre mâles ou relations sexuelles plus égalitaires ­, ce qui permet plusieurs apparitions chez différentes espèces, interdisant d'en faire de manière sûre un caractère évolué ou archaïque. Du coup, la volonté de chaque paléoanthropologue d'ériger «son» fossile en ancêtre de l'homme, reléguant ceux des concurrents à l'état moins glorieux d'ancêtres des grands singes, ainsi que l'absence totale de fossile analysé comme pré-chimpanzé deviennent suspectes d'anthropocentrisme. Surtout que la logique exige que le dernier ancêtre commun possède des caractères communs, que l'on retrouve dans les lignées filles.

Que devient la formule «l'homme descend d'un singe» ?

Elle correspond à un schéma trop simple. Aujourd'hui les hommes et les chimpanzés ne peuvent s'hybrider, notamment parce que le nombre de nos chromosomes diffère (46 contre 48). Mais nous descendons d'espèces qui ont pu se mélanger durant plusieurs millions d'années. L'éthologie le suggérait déjà. La génétique semble plaider en ce sens. Les paléoanthropologues qui travaillent avec les ossements fossiles résistent encore. Mais c'est peut-être parce qu'ils ont du mal à se résigner à l'idée que l'identification d'une seule lignée fossile conduisant à l'homme pourrait bien demeurer une question irrésolue indéfiniment.


Pascal Picq intervient cette année à la fête de Lutte Ouvrière.
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