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Analyse
Drôles de jeux pour une union, par Michel Noblecourt
LE MONDE | 18.07.06 | 13h34 • Mis à jour le 18.07.06 | 13h34
Le 21 avril 2002, les trois candidats d'extrême gauche - Arlette Laguiller (Lutte ouvrière), Olivier Besancenot (Ligue communiste révolutionnaire) et Daniel Gluckstein (Parti des travailleurs) - avaient totalisé avec le porte-drapeau du Parti communiste, Robert Hue, 13,81 % des suffrages exprimés au premier tour de l'élection présidentielle, contre 16,18 % à Lionel Jospin.
Un an après la victoire du non au référendum sur la Constitution européenne, les nonistes du 29 mai rêvent toujours d'une candidature unique de la gauche antilibérale à l'élection présidentielle de 2007. A leurs yeux, ce champion de la "gauche des ruptures" disposerait, potentiellement, d'un socle électoral de près de 14 %. Mais les drôles de jeux auxquels se livrent les différents protagonistes pour sceller cette union lui offrent bien peu de chances.
Il y a d'abord ceux qui ne veulent même pas entendre parler d'une telle chimère. A 67 ans, Arlette Laguiller, candidate à chaque élection présidentielle depuis 1974 et convaincue que ses idées "n'ont pas pris une ride", défendra pour la sixième fois les couleurs de LO. Même si elle est loin d'être sûre de retrouver son score de 2002 qui, avec 5,72 %, l'avait placée devant M. Besancenot (4,25 %). De même, et sous réserve d'avoir les 500 signatures requises, M. Gluckstein (0,47 % en 2002) n'envisage pas de s'effacer derrière une bannière commune... même anticapitaliste.
Les 24 et 25 juin, la LCR a ratifié la candidature de M. Besancenot. L'organisation trotskiste s'est aussi engagée à participer, "avec la volonté d'aboutir", au collectif national mis en place à la suite de l'appel du 12 mai, que seuls ses minoritaires ont signé, avec d'autres, aux côtés de José Bové et du Parti communiste, en faveur d'un "rassemblement antilibéral de gauche" et de candidatures communes aux élections présidentielle et législatives. Si la LCR a appelé à un accord sur "un programme anticapitaliste" commun, elle le subordonne au "fait de dire clairement qu'aucune alliance gouvernementale n'est possible avec le PS".
Marie-George Buffet se défend de négocier, du moins avant l'échéance élyséenne, avec le PS, mais elle récuse tout ultimatum qui lui interdirait de rechercher un accord avec les socialistes pour les élections législatives qui suivront la présidentielle. Dans son adresse aux collectifs unitaires, le 11 juillet, elle refuse d'aller au-delà d'un double engagement : "Etre clair sur le désistement à gauche au second tour pour battre la droite et réaffirmer que nous ne participerons pas à un gouvernement dominé par le social-libéralisme." Avant même la décision du PCF, qui sera prise en octobre, sa secrétaire nationale jure déjà qu'une "candidature issue des rangs communistes est la plus efficace."
Plutôt que d'incarner la seule "identité communiste" - avec le risque d'être sous les 3,37 % de M. Hue en 2002 -, Mme Buffet préférerait être la championne d'un nouveau pôle de radicalité. Le 4 juillet, 80 syndicalistes franciliens, n'affichant pas leur appartenance mais... menés par Joël Biard, ancien dirigeant de l'union régionale CGT d'Ile-de-France, ont appelé à soutenir Mme Buffet, "la personnalité qui dispose des meilleurs atouts pour être la porte-parole du rassemblement large, populaire, ancré dans le monde du travail que nous appelons de nos vœux".
Dans ce jeu de billard à quatre bandes, M. Bové, 53 ans, ancien dirigeant de la Confédération paysanne, après avoir longtemps proclamé qu'il ne se lancerait jamais en politique, se dit, officiellement et sans détour, "prêt à assumer d'aller à l'Elysée". Vedette d'un meeting unitaire le 29 juin à Aubagne (Bouches-du-Rhône), l'altermondialiste ambitionne de représenter "la gauche qui gagne, en menant à la fois les luttes sociales et les combats électoraux". Partisan d'une "primaire" (déjà mort-née) au sein de la gauche antilibérale, il refuse de couper les ponts avec le PS et envisage de faire don de sa popularité sondagière à la cause commune "si, assure-t-il à L'Express du 6 juillet, ni le PCF ni la LCR ne présentent de candidat"...
LE PRÉCÉDENT DE CHARLES PIAGET
Mais M. Bové a un handicap : il n'a ni troupes ni véritable réseau. Secondé par des altermondialistes en marge, même si certains sont proches de la LCR, il ne peut compter ni sur le soutien des Verts - résignés à choisir entre leurs anciens ministres Dominique Voynet et Yves Cochet - ni sur le ralliement de la Confédération paysanne ou d'Attac, en proie à ses divisions internes, à l'écart du jeu électoral. Le faucheur de maïs OGM espère profiter d'une dynamique des collectifs unitaires locaux, comme pour le référendum du 29 mai, pour l'heure en panne. Comme le dit Olivier Dartigolles, porte-parole du PCF, dans L'Humanité du 5 juillet, "la dynamique est aujourd'hui militante, elle n'est pas encore populaire". M. Bové doit aussi vaincre la méfiance d'appareils qui n'ont pas oublié ses propos de 2003 aux relents populistes sur les partis : "Je n'ai pas vocation à accompagner les mourants ni à soigner les comas dépassés."
La tentative de M. Bové fait penser à la mésaventure de Charles Piaget, le très populaire animateur CFDT du conflit des "Lip", en 1973 à Besançon, lors de l'élection présidentielle de 1974. Au lendemain du décès du président Georges Pompidou, alors que François Mitterrand s'apprêtait à être le candidat unique de la gauche, des groupes trotskistes et maoïstes - Rouge, Révolution et l'Alliance marxiste révolutionnaire (AMR) - recherchèrent une candidature unique de l'extrême gauche susceptible de prolonger les luttes sociales dans les urnes. Sollicité, M. Piaget, membre de la direction nationale du PSU, se garda prudemment de s'engager. Et le secrétaire général de la CFDT, Edmond Maire, jugea qu'"un militant syndical de base, fût-il prestigieux, n'a pas forcément compétence pour devenir président de la République".
L'extrême gauche voyait dans M. Piaget la voix autogestionnaire des "Lip" et des paysans du Larzac. Et le directeur de Libération, Jean-Paul Sartre, faisait le rêve de voir "quelqu'un (...) qui détruise la hiérarchie à l'intérieur du système". L'AMR récusait les "candidatures d'organisations" - celles d'Arlette Laguiller et d'Alain Krivine, qui parallèlement se profilaient - qui "ne représentent aucun courant social". Mais, le 15 avril 1974, le PSU refermait la parenthèse et décidait, en dépit d'une scission d'amis de M. Piaget, de se rallier, dès le premier tour, à François Mitterrand. Le syndicaliste pressenti expliqua ensuite que de "nombreux camarades estimaient qu'un candidat Lip risquait de minorer la portée du conflit".
Revenant sur cet épisode en 1997, Alain Lipietz, alors "rouge", aujourd'hui "vert", commentait : "Ceux qui refusèrent la candidature Piaget (...) voulaient avant tout 'décaféiner'' le sens d'une éventuelle victoire de la gauche. Et, pour cela, il fallait étouffer toute expression politique d'une alternative plus radicale." L'histoire ne se répète pas toujours. Mais il arrive qu'elle bégaie.
MICHEL NOBLECOURT
Article paru dans l'édition du 19.07.06