(canardos @ vendredi 18 août 2006 à 23:15 a écrit :je suis d'accord avec toi, zeanticpe, la chine est un état bourgeois dont l'objectif est de réaliser l'accumulation primitive de capital la plus rapide possible sur le dos des ouvriers et des paysans chinois ou tibetains.
pour faire cela, elle doit néanmoins faire table rase de la société "féodale" (je met féodale entre guillemets parce qu'il ne s'agit pas vraiment du féodalisme à l'europeenne) et donc accomplir les réformes démocratiques bourgoises que les robespierre et autres avaient accompli pendant la révolution française, mettre à bas la puissance du clergé et de l'aristocratie tibetaine, répandre l'économie marchandise, instruire les tibétains pour valoriser leur force de travail.
l'état chinois fait tout cela brutalement sans se soucier de l'adhésion populaire et simplement pour servir les interets de la bourgeoisie chinoise.
mais malgré tout ces réformes sont un acquis pour le peuple tibetain.
Je crois qu'on touche là le fond du problème.
Le parallèle avec la révolution française me semble absolument faux pour 2 raisons :
1) il n'y a pas eu de révolution au Tibet, et les Chinois n'ont même jamais cherché à faire convoquer une assemblée où la population aurait pu exprimer ses revendiactions et qui aurait pu ête l'équivalent des Etats généraux ou de la convention.
2) le Tibet était un Etat indépendant et l'occupation par l'armée chinoise s'est doublée d'une annexion et a revêtu un caractère colonial.
L'invasion du Tibet ne pouvait être légitime d'un point de vue révolutionnaire que pour une raison : prendre les devants face à l'impérialisme (la guerre de Corée éclate à peu près au même moment) et assurer la défense de la jeune révolution chinoise. Il y a quelque temps un camarade a, sur ce fil, fait un parrallèle avec l'invasion de la Finlande par l'URSS, soutenue par Trostsky. Oui, mais à condition de bien comprendre quelle était la position de Trostsky : il expliqua que, dans certaines circonstances (le début de la seconde guere mondiale), le respect du droit à l'autodérmination devient un facteur "du dixième ordre". Il ne justifie pas cette invasion par les réformes qui pourront être apportées à la Finlande.
Certains camarades semblent penser que des réformes au Tibet ne pouvaient être apportées que par une main étrangère et que la société tibétaine était barbare et figée à tout jamais. Ces camarades doivent se rappeler que c'est ce genre d'arguments qui a été employé pour justifier les opérations coloniales. Bien que l'Ethiopie ait vécu sous un régime féodal et théocratique, Trotsky a pris le parti de l'Ethiopie lors de l'invasion italienne.
Le Dalai Lama, qui est loin d'être le théocrate ultra réactionnaire que les camarades supposent, admet lui-même que des réformes étaient nécessaires et qu'au début les militaires chinois ont souvent été bien accueillis. Au début en effet, les militaires et dirigeants chinois, comprenant que la situation était délicate, ont pris quelques gants. La situation a cependant tourné très rapidement au désastre dans la partie orientale du pays, au moins à partie de 1955-56, et la population s'y est révoltée avec toute la suite qu'on peut imaginer : monastère bombardé, lutte armée, villages rasés, réfugiés allant propager la révolte dana la capitale. Tout cela culmine en 1959 à Lhassa par des bombardements, la révolte de la population durement réprimée, la fuite du Dalai Lama. Il déclarait il y a 5 ans : "Selon des chiffres communément admis, l'insurrection de Lhassa en 1959 a été
réprimée pendant trois jours et trois nuits, opposant 20 000 tibétains à 40
000 soldats chinois. Il y eut 4 000 prisonniers et 2 000 à 10 000 morts. Les
arrestations et les exécutions sommaires se sont multipliées longtemps après
les événements. "
Autant que je sache, la révolte de la fin des année 50 n'a pas été le fruit d'une résistance des monastères, de la noblesse ou de la bourgeoisie, qui ont plutôt chercher à composer avec les Chinois, voire, pour les négociants, à tirer un profit économique de la présence d'une armée étrangère. C'est plutôt le peuple qui s'est révolté, et ce pour plusieurs raisons : l'oppression subie par une armée d'occupation, qui va prendre de plus en plus un caractère colonial, la politique économique chinoise : à la fin des années 50 le Tibet oriental va être particulièrement affecté par la politique du "Grand bond en avant" des réformateurs chinois. Notamment, les Chinois imposent alors le remplacement de l'orge traditionnel par un blé d'hiver, qui va avoir un très mauvais rendement sur les hauts plateaux, conduisant à une famine jamais vue au Tibet. Dans certaines zones, la moitié de la population aurait été décimée et j'ai lu que, selon un institut de recherche de Pékin, 900 000 personnes sont mortes dans la province du Quinghai, peuplée alors presque exclusivement de Tibétains. Selon le journaliste Jasper Becker, auteur d'une étude (publiée en France aux éditions Dagorno), "aucun autre groupe n'a plus souffert de la famine en Chine que les Tibétains" et le Tibet central (pourtant relativement épargné) va ensuite connaître 20 ans de famine endémique.
Alors, on a envie de poser la question qui fâche : le Tibet aurait-il connu une telle catastrophe si son peuple avait été autorisé à vivre sans intervention réformatrice étrangère ?
Quelques années après la fin du "grand bond en avant", et pour échapper aux critiques nées de cette politique folle, Mao va lancer la révolution culturelle, qui va avoir des conséquences particulièrement graves au Tibet.
Parallèlement, la politique coloniale se développe :
- pillage des ressources naturelles du Tibet : la forêt tibétaine est en grande partie abattue pour les besoins de l'écomomie chinoise (avec des conséquences incalculables sur le cours des fleuves naissant au Tibet et même pour le climat mondial) ; pillage des mines ; mise en place d'installations nucléaires ; maladies nouvelles dans certaines zones attribuées à l'entreposage de déchets nucléaires (provenant notamment de réacteurs européens).
- pillage des monastères
- campagnes de stérilisation forcée dans certaines régions
- des centaines ou des milliers d'enfants auraient été enlevés à leurs familles dans les années 50 pour être éduqués en Chine dans le moule du PC chinois.
- venue de colons, qui seraient aujourd'hui majoritaires à Lhassa et dans au moins une autre ville.
- et évidemment manque de démocratie, oppression culturelle et répression (j'y reviendrai dans un autre post).
Est-il exagéré de parler de situation coloniale ? Constatant la sitation de misère et d'oppression dans laquelle vivaient les Tibétains après 30 ans de "réformes", Hu Yaobang, le secrétaire général du PC chinois, en viste d'insdpection au début des années 80, se serait exclamé, les larmes aux yeux : "mais c'est une situation coloniale !". Il ne restra que 5 ans à la tête du PC chinois et sera limogé en 1987, ayant manqué de fermeté pour réprimer des manifestations étudiantes. Ses funérailles, deux ans plus tard, marqueront le début de la révolte des étudiants et des ouvriers en 1989, dit mouvement de la place Tien Anmen.
Depuis, la restauration capitaliste et la croissance économique (fragile) ont profité à d'importants secteurs de la société chinoise, notamment au Tibet, où la domination chinoise a pris des formes moins brutales. Mais il faut prendre garde à ne pas peindre en rose une dictature capitaliste pour mieux dénoncer un système "féodal". Je crois que certains camardes n'évitent pas ce piège.
Des intervenant semblent penser que le passage au capitalisme est progressiste dans toutes les circonstances, indépendemment des forces qui conduisent le processus de transformation et même si aucune miette de pouvoir démocratique n'est donnée au peuple. Eh bien, non. ce n'est pas vrai. Des Tibétains en exil reprochent à juste titre aux Occidentaux de ne voir dans le Tibet de 1950 qu'une société religieuse, incapable d'évoluer par elle-même. Tseten Norbu, alors président du Congrès de la jeunesse tibétaine (qui regroupe plusieurs dizaines de milliers de membres), écrivait il y a quelques années : "même si cette pauvreté existait, même si avant l'invasion, il demeurait des poches importantes de féodalité, nous portions en nous les germes d'une évolution : cette évolution s'amorçait, inscrite dans nos consciences. Nos valeurs fondamentales ont facilité cette évolution et la faciliteront encore".
Cette volonté de réforme s'illustre d'ailleurs par la mise en place d'une assemblée (en partie) élue par les Tibétains en exil.
"Aujourd'hui, les réfugiés tibétains sont
parmi les rares communautés en exil à avoir instauré les trois piliers de la
démocratie : les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif. Cette année,
nous avons accompli une autre grande avancée sur la voie de la
démocratisation en élisant le président du Gouvernement tibétain au suffrage
populaire. Le Gouvernement et son président élu ainsi que le Parlement
composé également de députés élus assumeront ensemble, en tant que
représentants légitimes du peuple, la responsabilité des affaires courantes
de la communauté tibétaine.
(...) En ce qui concerne mon propre avenir, le jour où nous retournerons au
Tibet, avec un certain degré de liberté, j'abandonnerai tous mes pouvoirs
légitimes ainsi que mon autorité au gouvernement tibétain local. Ce
gouvernement local tibétain devra être un gouvernement élu démocratiquement. " (déclaration du Dalai Lama au parlemenent européen , 2001).