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[center]Planètes : l'impossible définition[/center]
LE MONDE | 12.10.06 |
Les choses prennent parfois leur revanche sur les mots. Condamnées depuis des siècles au statut d'"astres vagabonds" par leur étymologie grecque, les planètes s'amusent aujourd'hui à voir errer leur définition. Car, ces derniers temps, quel que soit le coin de ciel vers lequel les astronomes ont braqué des télescopes de plus en plus perfectionnés, ils ont découvert des objets qui bouleversent les anciennes catégories. Très loin, ils détectent depuis dix ans d'énormes boules gazeuses qui sèment le doute sur la limite supérieure séparant planètes et étoiles. Plus près, dans les zones sombres du Système solaire, ils ont aperçu de petites sphères qui ont remis en question la borne inférieure de démarcation avec les astéroïdes.
Ce sont ces découvertes récentes qui ont décidé l'Union astronomique internationale (UAI), souveraine en matière de terminologie astrale, à clarifier au moins la situation dans le Système solaire. A Prague, le 24 août, son assemblée générale a adopté une nouvelle définition du terme planète, dont l'effet immédiat a été de rétrograder Pluton dans la toute nouvelle famille des planètes naines. Les tensions qui ont entouré cette résolution, et les protestations qu'elle a suscitées depuis, montrent toutefois que plus rien ne sera désormais simple au royaume de la nomenclature.
Certains critères n'ont pourtant jamais varié. Une planète n'émet pas de lumière visible : elle ne peut que refléter celle de l'étoile autour de laquelle elle doit obligatoirement décrire une orbite. L'UAI ne badine pas avec cette condition. En marge de sa précédente assemblée générale, en 2003, l'une de ses commissions a rejeté ces astres isolés que les astronomes commencent à repérer dans les recoins de notre galaxie. Ces "célibataires" sont bien trop louches pour qu'on leur accorde même le titre de "planètes flottantes" que certains se risquaient à employer. Pour éviter toute ambiguïté, prière de les désigner comme "planemos" ou "objets de masse planétaire".
La masse, c'est justement le critère central de la nouvelle définition. Celle des élues doit être suffisante pour que la force qui donne leur cohésion et leur forme patatoïde aux petits corps tels que les astéroïdes et les comètes puisse s'effacer devant l'action de la gravité. Dans les astres dont le diamètre excède 500 km environ, celle-ci attire, de façon égale, toute la matière vers le centre de l'objet. Elle le maintient ainsi dans un équilibre qui lui assure une forme presque sphérique.
A Prague, une première proposition ne retenait que ce critère. Logiquement, tous les corps à peu près supérieurs à 600 km de diamètre, et qui ne sont pas des satellites comme la Lune, se seraient vu décerner le titre de planète. Cérès aurait ainsi retrouvé un statut qui fut brièvement le sien au XIXe siècle. Pluton aurait sauvé son rang, tout en étant rejointe par des voisines dont la découverte avait relativisé son importance, telle 2003 UB 313, maintenant nommée Eris. Le Système solaire serait ainsi immédiatement monté à 12 membres majeurs, avant de s'agrandir encore au gré des trouvailles.
LIMITE THÉORIQUE
Mais les nombreux spécialistes de la dynamique des corps célestes ne l'ont pas entendu ainsi. Pour eux, la masse d'un astre doit aussi être envisagée dans son interaction avec son environnement immédiat. Celle d'une planète doit lui permettre de "nettoyer" son orbite en expulsant ou en capturant tout objet qui demeure à proximité. Ce n'est à l'évidence pas le cas de Pluton ni d'Eris, qui tournent parmi les millions de corps glacés de l'immense réservoir de la ceinture de Kuiper, à la périphérie de notre système. Et encore moins de Cérès, qui ne se dégage pas du surpeuplement de la ceinture d'astéroïdes, entre Mars et Jupiter.
Le texte du 24 août les a donc ravalées au rang honorifique de "planètes naines", capables de satisfaire à toutes les conditions sauf à celles qu'ont ajoutées les dynamiciens. Le Système solaire s'est réduit à huit planètes, au grand dam des défenseurs, principalement américains, de Pluton, seul astre à avoir été découvert en 1930 par un de leurs compatriotes. "Depuis quand définit-on un corps non plus par ses propriétés mais par ce qui l'entoure ?", s'est agacé Alan Stern, responsable de la mission New Horizons vers Pluton, qui ne goûte guère d'avoir lancé, en janvier, sa sonde vers une planète et d'apprendre qu'elle n'approchera plus, à l'été 2015, qu'une naine. D'autres ont estimé que cette réduction ne levait pas toutes les ambiguïtés : "Une planète naine, c'est encore une planète."
Et une planète géante ? En revenant sur leur volonté d'adopter une définition générale pour se contenter d'une mise au point dans le Système solaire, les dirigeants de l'UAI ont évité de s'aventurer sur le terrain très incertain des gigantesques exoplanètes. Les chasseurs de mondes lointains en ont déjà détecté plus de 200, de dimensions souvent bien supérieures à celles de Jupiter (déjà 318 fois plus massive que la Terre). C'est principalement avec ces mastodontes que la nomenclature risque de se compliquer dans les années qui viennent.
Car, au-delà d'une certaine taille, les corps cessent de ressembler à des planètes et commencent à se comporter en étoiles. Cette limite théorique a été fixée à 13 fois la masse de Jupiter. Les calculs ont montré que, au-delà de ce seuil, le deutérium, gaz dérivé de l'hydrogène, se trouve en quantité suffisante pour s'embraser brièvement. Les astres qui se contentent de ce feu de paille sont des naines brunes, des étoiles ratées que leur masse (moins de 0,07 fois celle du Soleil) empêche de connaître les illuminations des fusions nucléaires durables.
Or voici que le télescope spatial Hubble vient de débusquer CHRX 73B, un astre d'environ 12 masses joviennes, et donc candidat au label d'exoplanète. Problème : les astronomes se sont rendu compte que cet objet était si éloigné de son étoile centrale qu'il n'avait pu se former comme une planète, par accrétion progressive de matière. Il s'agit donc probablement d'une naine brune, née, comme les étoiles, de l'effondrement gravitationnel d'un nuage de gaz et de poussière.
Cette découverte vient ainsi soutenir les récriminations de ceux qui estiment la limite théorique beaucoup trop arbitraire, et réclament une prise en compte des critères de formation des astres. Et elle achèvera de désespérer ceux qui voudraient encore que les mots simples des hommes parviennent à contenir la complexité des choses.
Jérôme Fenoglio