"Trop de laboratoires en sciences humaines au CNRS"

[Louis]

un article de "la recheche"

"Trop de laboratoires en sciences humaines au CNRS"
Interview d'Alain D'Iribarne, ancien directeur du département Sciences de l'homme et de la société du CNRS (1990 et 1994).

(25/06/04) - Particularité tricolore : la France est le seul pays européen à avoir réuni au sein d'un même organisme, le CNRS, les sciences "dures" et "molles". Baisse des crédits oblige, la direction du département Sciences de l'homme et de la société (SHS) du CNRS vient de classer 58 de ses 438 laboratoires en "formation de recherche en évolution": il s'agit d'un statut transitoire sur deux ans visant à la transformation ou à la disparition du laboratoire. Une décision fortement contestée par les équipes "menacées".

En tant qu'ancien directeur du département SHS, que pensez-vous de la volonté actuelle de diminuer le nombre de laboratoires CNRS en sciences humaines ?
C'est une vieille histoire ! C'était déjà l'objectif de la direction du département SHS il y a 10 ans. A l'époque, il y avait 400 laboratoires. Mais aujourd'hui, il y en a 438... Et pour cause, les chercheurs font sans cesse pression pour avoir leurs propres laboratoires de recherche. Du coup, les équipes de petites taille avec des effectifs très réduits se multiplient. Cette situation conduit à un vrai casse-tête administratif. Par ailleurs, un tel éparpillement devient de plus en plus contre productif.

Le regroupement des laboratoires est très critiqué. Pourquoi ?
Parce que certains y voient une décision de bureaucrates. En sciences humaines, les chercheurs chérissent le modèle de l'artisan, du savant qui travaille seul dans sa bibliothèque. Du coup, ils contestent la pertinence de former de grandes équipes. Ils se sentent incompris. Personnellement, je ne vois pas en quoi l'intégration de ces chercheurs à de plus grandes équipes menacerait leur manière de travailler ou leur thématique. A chaque chercheur, son sujet si cela est utile: la taille du laboratoire importe peu dès lors qu'il est convenablement organisé en relation avec ses objets et méthodes de recherche !

Les crédits alloués au CNRS sont en baisse. Les sciences sociales vont-elles davantage pâtir de cette crise que les sciences dures ?
Pas nécessairement. Par contre le département SHS, avec ses laboratoires beaucoup trop nombreux, se trouve fragilisé par le fait qu'il ne peut pas faire d'économie d'échelles. Cet éparpillement, couplé à une baisse des crédits fait que le CNRS n'a plus les capacités d'assumer sa mission. Il est encore plus difficile pour lui de maintenir toutes ces équipes. La réduction en cours du nombre de laboratoires pourrait se coupler d'une nouvelle définition des thématiques abordées au CNRS. Certaines thématiques sont, par ailleurs, largement étudiées dans un cadre universitaire. Dans de nombreux cas, cette redondance peut être réduite sans dommages.

Certaines thématiques vont donc être abandonnées ?
Probablement dans la mesure où le CNRS accorderait une très forte priorité aux thématiques retenues pour son contrat de développement, mais pas tout de suite. Le problème peut se régler en grande partie de lui-même grâce à la pyramide des âges. De nombreux laboratoires seront appelés à fusionner avec d'autres quand une partie importante de leurs membres partira en retraite.

Le choix des laboratoires classés en FRE par le département SHS a différé de celui des sections, chargées de les évaluer. N'est-ce pas étonnant ?
Nous avions le même dilemme il y a 10 ans : suivre ou non les avis des sections. Les sections ont un rôle de conseil. Elles rendent des avis mais n'ont pas toujours une vision globale sur le département et ne sont pas nécessairement habilitées à avoir une vision stratégique d'établissement: il peut donc y avoir des divergences d'appréciations en fonction des visions retenues . De plus, elles sont directement ou indirectement sous la pression de la communauté des chercheurs. Plus la croissance du nombre de laboratoire est limitée plus les sections se trouvent prises dans la nécessité de proposer de fermer des laboratoires pour faire une place à des laboratoires candidats à l'entrée au CNRS Il n'est donc pas étonnant que dans une situation de ce type, les divergences d'appréciations entre les sections du Comité nationale et la direction scientifique s'accroissent et que la direction passe plus souvent outre aux avis des sections.

Cette réforme s'inscrit-elle dans un contexte européen ?
Bien sûr. Les subventions européennes sont attribuées aux équipes qui ont la capacité à être les plus compétitives dans des appels d'offres qui s'appuient sur des consortiums de plus en plus lourds à gérer. Les organismes étrangers sont moins "omnidisciplinaire" que le nôtre ; les équipes sont plus grosses et plus spécialisées. Il est nécessaire de réfléchir à des stratégies locale, nationale et situation actuelle, si le CNRS fait son travail correctement, il devrait transférer certaines de ses compétences à l'université. En parallèle, il s'agit pour lui de s'engager dans des ententes européennes. Est-ce si étrange d'imaginer un système où chaque pays de l'Union prendrait plus particulièrement en charge des thématiques ? Les chercheurs se déplaceraient alors d'un pays à l'autre selon le sujet qui les intéresse. Les étrangers le font depuis longtemps. Pourquoi pas les Français ?

Je n'ai pas le temps de dire ce que j'en pense, mais audelas des formules qui tuent "Le problème peut se régler en grande partie de lui-même grâce à la pyramide des âges. De nombreux laboratoires seront appelés à fusionner avec d'autres quand une partie importante de leurs membres partira en retraite." c'est effectivement une vieille lune... Avec comme enjeu la pluridiciplinarité.... entre autre !

[Gaby]

Sarkozy parle aussi de supprimer "tous ces observatoires qui ne servent à rien".