La société arabe préislamique

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Koceila » 21 Juin 2006, 15:00

Quote Artza:

a écrit : Je viens de poster une citation tirée du livre de Tariq Ali, le choc des intégrismes, sur la société arabe pré-islamique qu'il affirme polyandrique et matrilinéaire, dans le fil Engels...

J'espérais quelques éclaicissements de ta part.

As-tu lus ce livre? Si oui qu'en penses-tu?

A+ dans l'espoir de te lire prochainement.


Salut Artza :wavey:
J'ai pensé que le sujet est suffisamment intéressant pour ouvrir un fil.

Je n'ai pas lu ce livre, je vais essayer de me le procurer. En ce qui concerne le sujet que tu viens d'évoquer, quand tu parles de société arabe tout dépend de ce que l'auteur entend par là. En effet, avant l'apparition de l'islam les peuples que l’on appelle aujourd'hui "Arabes" formaient une mosaïque de peuples différents tant par leur culture que par leur langue et leurs traditions. Grosso modo, en orient ( c'est à dire au Machrek ou rive Est du Nil) la presque totalité du "monde arabe d'alors" était de langue sémitique (l'araméen, qui était de loin la plus parlée, le nabatéen d'où naîtra l'écriture arabe, le samaritain........) et des langues indo-européenne (ou l'aryen) telles le perse et le sanscrit; en occident (c'est à dire au Maghreb ou rive ouest du Nil on parlait les langues berbères (Tifinagh, Ta mazihgt) des îles Canaries jusqu'en Egypte (d'après Ellen Hagan) sauf dans certaines métropoles où on parlait latin (avant les conquêtes romaines, à Carthage, à Bougie et à Cirta on parlais le phénicien, langue sémitique, en voie d'extinction au Maghreb après les guerres puniques, mais a laissé des trace dans l'île de Malte)

En fait, la société arabe pré-islamique se réduisait à celle qui existait dans l'actuelle péninsule Arabique, et encore cette société arabe pré-islamique n'était pas monolithique il faut distinguer la civilisation de l’ « Arabie heureuse » dont le fameux pays de Saba où le système familial était certainement matriarcal (souvenons nous de la fameuse reine de Saba, dont personne n’est réellement sûr qu’elle ait fait un voyage de plusieurs milliers de Km en dromadaire pour rencontrer le roi d’un petit pays inconnu : Israël), des sociétés nomades au nord ( Bédouins du Hedjaz) où la condition féminine était vraiment exécrable (des petites filles enterrées vivantes dans le sable en période de famine etc.…..) , à tel point que les historiens orientalistes tels Maxime Rodinson ou Maxime Lombard estimèrent que l’islam apportera de grands changements dans l’amélioration de la condition féminine ; d’ailleurs plusieurs femmes combattirent dans les armées du prophète.

Je sais pas si j’ai bien répondu à tes questions, mais comme tu le vois le sujet est complexe. Par exemple, si tu considère l’Afrique du nord : Les sociétés nomades du sud (comme les Touareg) avaient un système familiale matrilinéaire (et les femmes étaient assez libres, elles avaient parfois plusieurs époux ) mais leur système social était aristocratique ; Tandis qu’au nord les société berbères avaient un système social très démocratique mais patriacale.
Koceila
 
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Message par artza » 24 Juin 2006, 08:21

Merci pour cette première réponse.
Le livre de Tariq Ali n'a pas pour objet l'étude des arabes pré-islamiques.


Pour comprendre un peu les problèmes d'aujourd'hui il évoque les origines de l'Islam dans le chapitre 2, les conditions de l'époque et l'action de Mahomet et affirme sans expliquer davantage cette histoire de polyandrie et de filiation matrilinéaire entre autre dans la tribu de Mahomet.

a écrit :Pendant huit ans Mahomet a toléré une difficile coexistence entre le dieu Allah et ses trois filles (...). Si al'Uzza (l'étoile du matin-Vénus) est la plus vénérée chez les Quraish, la tribu à laquelle appartient Mahomet, c'est Manat qui l'emporte (...). Elle est idolatrée par trois tribus (...) la politique locale a imposé cette trêve de huit ans.


Ensuite TA explique qu'après avoir vaincu les juifs et les chrétiens du coin Mahomet n'a plus besoin de ménager les croyances qui fondaient l'indocilité des tribus arabes voisines.

Vingt cavaliers détruisirent les statues des trois idoles (déesses?), ça c'est la légende mais le but était de rompre avec la polyandrie et la filiation matrilinéaire.

TA ne développe pas plus. Ma question vient de là.
artza
 
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Message par Koceila » 25 Juin 2006, 10:05

Salut Artza,

Je pense que l'étude la plus fiable sur cette période est "Mahomet" de Maxime Rodinson, d'après les souvenirs que j'ai de ce livre, rien ne laisse entrevoir l'idée d'une société pratiquant la polyandrie ou à filiation matrilinéaire du temps de Mahomet et surtout pas chez les Quoraïchites où les classes sociales ont commencées à émerger; ce qui a permis à Mahomet de s'appuyer, dans un premier temps, sur la couche sociale la plus défavorisée en diffusant un message à caractère social. Il est possible que certaines tribus bédouines avaient un système social basé sur le matriacat (comme aujourd'hui les touaregs au Niger et au Tchad) mais c'était certainement un phénomène tout à fait exeptionnel, à l'époque, car, comme le faisait remarquer M Rodinson le sort des filles n'était guère enviable même comparativement à la société islamique.

On m'a parlé d'études faites par B Mèchin, mais je n'ai jamais eu de ses livres, traitant de la question, sous la main.
Koceila
 
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Message par yannalan » 25 Juin 2006, 12:00

Rodinson était effectivement un grand connaisseur, unanimement reconnu; et marxiste, ce qui ne gâte rien.
yannalan
 
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Message par Koceila » 05 Juil 2006, 17:40

Quote Yannalan

a écrit : Rodinson était effectivement un grand connaisseur, unanimement reconnu; et marxiste, ce qui ne gâte rien.


Malheureusement l'ensemble de son oeuvre (livresque) est trés inégale par exemple son étude "la fascination de l'islam" présentant comment les occidentaux se représentent les pays arabes me paraît sans intérèt.

Par contre son livre décrivant ce que son les ethnies "arabes" (Les arabes Ed PUF) me paraît plus intéressant.
Koceila
 
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Message par abounouwas » 21 Jan 2007, 23:10

Sujet en effet passionnant que celui de l'Arabie anté-islamique mais aussi du premier siècle de l'Islam. Il y a un ouvrage tout à fait intéressant à ce sujet que l'on trouve en bibliothèque (paru en 1997, il est épuisé :( ), il s'agit du Seigneur des Tribus de Jacqueline Chabbi dont le travail consiste à mettre en lumière le tribalisme de la prédication de Muhammad. :wavey:
abounouwas
 
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Message par Koceila » 24 Jan 2007, 19:42

a écrit :La civilisation arabo-islamique et ses apports au monde
Paul Balta
Ecrivain / journaliste - Président du forum
des Cultures Euroméditerranéennes
Les apports de la civilisation arabo-islamique sont généralement ignorés ou occultés. Or, du VIIIè au XIIIè siècle, et dans une certaine mesure jusqu'au XVè, cette civilisation a été à la pointe de la modernité. De même qu'il y a eu un "miracle grec" dans l'Antiquité il y a eu ausi, je le dis avec force, un "miracle arabe" au Moyen Age. Le miracle des savants et des penseurs qui ont choisi de rédiger leurs travaux dans cette langue alors qu'ils étaient persans, berbères, andalous, juifs, etc. Le miracle de leurs apports qui ont été considérables(1) et sans lesquels la Renaissance européenne n'aurait pas été ce qu'elle fut!
Malgré la prise de Constantinople par les Turcs en 1453 et les splendeurs de l'Empire ottoman jusqu'au XVIIIè siècle, la chute de Grenade en 1492 confirme l'entrée en déclin de la civilisation arabo-islamique. C'est aussi l'année de la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb. l'Europe, en pleine ascension, va contribuer à transmettre les apports de la civilisation arabe qu'elle a assimilés dont ceux d'Al Andalus ne sont pas les moindres. En effet, l'Andalousie est toujours citée comme un exemple de coexistence et d'échange entre juifs, chrétiens et musulmans(2) malgré les tensions qui ont pu les opposer en diverses circonstances.
Revenons au miracle des savants qui ont alors exploré tous les domaines du savoir: astronomie, mathématique, physique, chimie, médecine, botanique, philosophie, géographie, architecture, histoire, etc. comme nous allons le voir. Alors d'où vient l'idée reçue(3) selon laquelle les Arabes n'ont rien inventé ou n'ont été qu'une courroie de transmission? N'auraient-ils d'ailleurs été que cela que ce serait déjà important. En effet, au XVIè siècle, l'Europe qui a redécouvert, grâce à eux, son héritage gréco-romain, prend l'ascendant. Elle doit bien admettre sa dette car la plupart des textes anciens perdus pendant "l'âge des ténèbres" de la chrétienté, autour de l'an Mille, avaient été traduits et donc sauvés, par des Syriens chrétiens maîtrisant le grec et l'arabe. Mais on souligne alors leur chrétienté plutôt que leur arabité. On leur doit également, ainsi qu'aux musulmans, la traduction de textes fondamentaux persans et indiens.
Au XIXè siècle, en France, de grands écrivains comme Ernest Renan et le positiviste Auguste Comte critiquent l'obscurantisme des religions sur un fond d'antisémitisme (les Arabes aussi sont des sémites) et mettent l'accent sur la laïcité. les orientalistes de l'époque minimisent les apports de la civilisation arabo-islamique. Ce sont des spécialistes, notamment Européens comme Maxime Rodinson, jacques Berque, André Miquel, Juan Vernet et d'autres, des Arabes et le Pakistanais Abdus Salam (1926 - 1996), installé au Etats-Unis, premier prix Nobel scientifique du monde musulman (1979), qui rétabliront les faits dans la seconde moitié du XXè siècle.
Abdus Salam, que j'ai eu l'honneur de connaître et dont j'ai fait le portrait dans islam, civilisation et sociétés(4) qui vient d'être réédité, se voulait aussi un missionnaire de la science. Il se rendait dans les pays musulmans pour les appeler à renouer avec leur âge d'or pour innover et déplorait que leurs dirigeants n'accordent pas suffisamment d'importance et de crédits à la recherche. Il rappelait que, je cite: "Le Livre souligne la supériorité du âlim, l'homme qui a le savoir et l'intelligence. En outre, 250 versets seulement sont dédiés à la législation alors que 750, près d'un huitième du Coran, exhortent les croyants, hommes et femmes, à étudier la nature, à réfléchir (...), à faire de l'acquisition du savoir et de la compréhension par la science un élément de la vie de la communauté". Comme le recommande l'ALECSO, les pays arabes devraient moderniser et rationaliser leur pédagogie, trop influencée par la méthode coranique de l'apprentissage par coeur, sans esprit critique, et réviser leurs manuels scolaires. La Tunisie est le seul pays à avoir entrepris ces réformes, et fait réviser dans le sens de la modernité 250 manuels scolaires.
Abdus Salam rappelle aussi dans ses écrits comment George Sarton (1884 - 1956) a divisé sa monumentale Histoire des Sciences(5)en "époques" d'une durée d'un demi siécle environ et a associé une figure à chacune d'elles. Il constate: aprés les Egyptiens, les Grecs,les Alexandrins, les Romains, les Byzantins, viennent, en une succession ininterrompue,de750 à 1100, les Jabîr ou Gerber (vers 800), alchimiste arabe, khawarizmi (780 - 850), inventeur de l'algèbre et des algorithmes, Râzi ou Rhazès (865 - 925), médecin persan, fondateur du premier hôpital à Bagdad, Birûni (973 - 1050), né en Asie centrale, astronome, historien, géographe, mathématicien, auteur d'un célèbre Kitâb al-Hind, "Description de l'Inde" (1030), lbn Sina, Avicenne (980 - 1037), né à Boukara, philosophe, commentateur d'Aristote et médecin dont Le Canon de la médecine et autres traités ont été en usage dans les universités européennes jusqu'au XVIIè siècle, Omar Khayam (1047 - 1122), mathématicien et poète persan. Enfin, Abdus Salam considère l'Irakien Ibn Haitham ou Al Hazen (965 - 1039) comme "un des plus grands physiciens de tous les temps"; il souligne qu'il a formulé les lois de l'optique avant Roger Bacon (1212 - 1294) ainsi que la loi d'inertie qui deviendra la première loi du mouvement chez Newton (1642 - 1727) six siècles plus tard.
Rappelons aussi que les chiffres arabes, de 1 à 9, que nous utilisons ont été mis au point au Maghreb à partir de la numérotation indienne. Ils ont été introduits dans l'Europe chrétienne par le moine Gerbert d'Aurillac lorsqu'il est devenu pape en 999 sous le nom de Sylvestre II; il les avait découverts au cours d'une mission secrète à Cordoue. Le zéro, lui aussi d'origine indienne, traduit en arabe par as-sifr qui donne cephirum, en latin, zefero, en italien et chiffre et zéro, en français, ne sera introduit qu'au XIIè siècle. La numérotation décimale représente un progrès considérable par rapport à celle des Romains alors en usage en Europe. Illustration: CCCXXXIII s'écrit, grâce aux Arabes, 333. Les unité, les dizaines et les centaines permettent ainsi des calculs plus complexes et plus rapides.
Ce n'est qu'à partir du XIIè siècle, souligne Sarton, que les premiers savants européens apparaissent mais ils partageront les honneurs pendant deux siècles et demi avec les homme de l'Islam, tels Averroès (1126 - 1198), philosophe andalou et commentateur d'Aristote (comme Avicenne), Maïmonide (1135 - 1204), théologien et médecin juif andalou, Ibn Battûta (1304 - 1377), géographe et voyageur marocain qui vaut bien Marco Polo (1254 - 1324), Ibn Khaldoun (1332 - 1406), né à Tunis, ancêtre de la sociologie et historien au sens moderne du terme alors qu'il n'y avait à l'époque que des chroniqueurs sur les deux rives de la Méditerranée.
Partis du désert d'Arabie, les nomades, devenus citadins, onté été de grands bâtisseurs de villes puisqu'ils en ont fondé environ deux cents dont Kairouan (670), première ville sainte du Maghreb. Au début, ils n'avaient pas d'architectes et avaient où recourir aux Byzantins pour édifier leurs premiers monuments dont le Dôme du Rocher (688 - 692) à Jérusalem. Pourtant, à partir du milieu du VIIIè siècle, les Arabes et les peuples sédentaires convertis ont élaboré un art original très caractéristique dont témoignent mosquées, palais, forteresses et mausolées, de la mosquée - cathédrale de Cordou (785 ) au Taj Mahal d'Agra (XVIIè s.), en lnde.
La civilisation arabo-islamique a contribué à transformer le paysage méditerranéen en y acclimatant des espèces apportées d'Asie: l'oranger, le pêcher, le prunier, l'abricotier, les cucurbitacées (pastèques, melons, courges), l'artichaut... lnfluencés par les Jardins suspendus de Babylone, une des Sept merveilles du monde, les musulmans ont introduit chez les soeurs latines la culture en terrasse et des systèmes d'irrigation et de répartition de l'eau dont plusieurs sont toujours en usage en Espagne, de sorte qu'ayant une maison à Altea, près d'Alicante, j'en bénéficie.
De même, après s'être inspirés des traditions culinaires gréco-byzantines et persanes, les Arabes du Moyen Age ont développé un art culinaire complexe et raffiné. A ce propos, je voudrais rendre hommage à mon ami Maxime Rodinson. En 1949, ce grand orientaliste avait consacré soixante-dix pages à l'étude de documents arabes relatifs à la cuisine, dont Kitâb al-tabîkh (Le livre de la cuisine, 1226) de Baghdâdi. Il s'était particulièrement intéressé à un ouvrage dont le titre est à lui seul un programme et une philosophie: Kitâb al wusoul ilal habîb fi wâsif at tayyibati wa-t-ib, "Le Livre du lien avec l'ami ou description des bons plats et des parfums". Ecrit au milieu du XIIIè siècle par le petit neveu de Saladin, on y découvre la diversité et la complexité des mets préparés par les Arabes, l'interprétation des cultures culinaires et leur influence sur celles de la rive Nord. "on peut dire d'une façon générale, souligne Rodinson, que l'Europe occidentale a suivi, jusqu'à une époque toute récente, les règles de la diététique arabe, héritée elle-même des médecins grecs". Et de conclure: "C'est là un sujet qui mériterait d'être étudié en détail(6)".
Pendant longtemps, cette recommandation n'a guère été suivie, universitaires et chercheurs ne considérant pas digne d'eux un tel sujet. Toutefois, dans les années 1980, certains s'y sont mis comme Jean Bottero(7), Jean-Louis Flandrin(8) et Francoise Aubaile-Sallenave(9). Farouk Mardam Bey a également relevé le défi. Né à Damas, il tient, sous le pseudonyme de Ziryab, la chronique gastronomique de Qantara, trimestriel de l'Institut du monde arabe à Paris, et dirige la collection Sindbad(10) chez Actes Sud où il a créé la collection l'Orient gourmand qui donne certes des recettes mais en les situant dans leur contexte historique et culturel(11).
A propos de l'Andalousie, impossible d'ignorer Ziryab(12) (789 - 857)! Chanteur de Bagdad, il s'installa à Cordue vers 825 et entra à la cour du calife. Distingué et raffiné, il devint, comme jadis Athénée en Grèce, l'arbitre des élégances et du bon goût. Ziryab ne se contente pas d'implanter la musique de l'Ecole de Bagdad et le jeu d'échecs né en Perse, Il invente le luth à cinq cordes, crée l'Ecole de musique andalouse et innove en matière d'habillement et de gastronomie.
Il impose la mode saisonnière: étoffes légères de couleurs vives au printemps, vêtements blancs l'été, manteaux et toques de fourrures l'hiver. Il ouvre un institut de beauté, d'une surprenante modernité, où les hommes apprennent à s'épiler, à se coiffer. Les Cordouans avaient les cheveux longs tombant en mèches et séparés par une raie, ils les porteront, comme le chanteur, courts et en couronne de façon à dégager sourcils et oreilles.
Il élabore des mets délicats, introduit l'asperge et bouleverse les usages de la table en fixant l'ordonnance du repas: ne plus servir les plats n'importe comment mais commencer par le potage, continuer avec des viandes ou des volailles assaisonnées et finir par des plats sucrés, gâteaux de noix et d'amandes ou pâtes de fruits fourrées de pistaches et de noisettes. Au gobelet d'or ou d'argent, il substitue le verre à pied tel que nous l'utilisons avec tout ce qu'il avait à l'époque (et qui est devenu banal) de novateur et d'évocateur.
Avec lui, la tradition du banquet connaît un nouvel âge d'or. Une miniature andalouse nous montre Bayad dans le jardin d'un palais; il chante en s'accompagnant d'un oud (luth) devant sa noble dame entourée de ses demoiselles d'honneur, visages découverts. On pratique l'amour courtois qui inspirera nos troubadours (le mot vient de l'arabe, tarabdor) et dont le Cordouan Ibn Hazm (994 - 1064) donne les codes dans son célèbre Collier de la colombe sur l'amour et les amants(13). Grâce à Ziryab, grâce aux gastronomes de Bagdad, grâce aux contes de Sheherazade qui charment pauvres et riches, l'art de la table redevient un art de vivre alors qu'une longue période d'austérité fut imposée par l'église catholique.
Les conquérants de l'Amérique latine convertissent les autochtones au catholicisme et leur transmettent une partie de ces apports. Au nom de l'eucharistie ils les incitent à remplacer le pain de maïs par le pain à la farine de blé dont on fait aussi les hosties pour la communion des fidèles. Mais ils leur ont apporté aussi, entre autres, le "roseau miellé" ou canne à sucre, découverte par les croisés lors du siège d'Antioche (1098), qui servira à faire le rhum comme le rappelle Maurice Bensoussan, né comme moi à Alexandrie. Quant au café, de l'arabe kahwa, originaire d'Abyssinie et transplanté au XIVè siècle dans la région de Moka, au yémen, il arrivera progressivement en Europe avant de gagner le Brésil dont il est devenu une des richesses. A l'inverse, les Méditerranéens, dont l'héritage oriental est considérable, comme on l'a vu, ont aussi une dette à l'égard des Amériques d'où viennent notamment les figuiers de barbarie, les tomates, les haricots rouges, le maïs, la pomme de terre... Ils sont si bien intégrés que nombreux sont ceux qui croient qu'ils sont méditerranéens depuis les origines.
Si j'ai tenu à consacrer cette communication à ces apports et à ces extraordinaires va-et-vient, c'est qu'ils ne figurent guère ou pas suffisamment dans les manuels scolaires européens et même arabes, alors que recherches, découvertes et publications se sont multipliées depuis les années 1990. En est-il de mêm en l'Amérique latine où il y a une immigration arabe? Quand il m'arrivait de faire des conférences dans les banlieues ou en province, les jeunes d'origine maghrébine étaient étonnés et ravis de découvrir qu'ils avaient un passé prestigieux. Cela contribuait à modifier non seulement le regard qu'ils portaient sur eux-mêmes mais aussi le regard que leurs camarades français et européens portaient sur eux!.
C'est pourquoi, lors du premier Forum civil euro-med, au lendemain de l'adoption, le 28 novembre 1995, de la Déclaration de Barcelone, acte fondateur du partenariat euro-méditerranéen et de la Méditerranée du XXIè siècle, j'avais formulé plusieurs propositions en tant qu'animateur du Forum Dialogue culturel. On les trouve dans mon livre Méditerranée Défis et enjeux(15) et dans les actes du Forum civil(16). Certaines ont été réalisées, d'autres pas. C'est pourquoi je rappelle les principales que je vous soumets: édification dans chaque pays partenaire d'au moins une Maison de la Méditerranée, espace d'information et de rencontre; création dans les universités de chaires de la Méditerranée; rédaction d'un Livre blanc sur les stéréotypes; révision des manuels scolaires pour y intégrer la dimension méditerranéenne; mise en oeuvre d'une Histoire de la Méditerranée qui, sans ignorer ce qui nous divise, mette l'accent sur tout ce que nous avons en commun et qui est considérable. Malheureusement, depuis 1995, la culture n'a cessé d'être traitée en parent pauvre(17).
Pour conclure, je reprends un voeu que j'ai souvent formulé, à savoir que Ulysse et Sindbad, les deux marins qui parlent à nos imaginaires, apprennent enfin à naviguer ensemble afin que mare nostrum devienne enfin mater nostra. On doit nécessairement ajouter les noms d'autres grands navigateurs qui ont créé des liens entre nous Méditerranéens et d'autres régions du monde. Le Vénitien Marco Polo (1254 - 1324) parti en Chine, Ibn Battuta (1304 - 1377) qui fit de multiples escales de l'Egypte à la Chine en passant par l'Inde et Ceylan, le Portugais Bartolomeo Dias (1450 - 1500) premier Européen à contourner l'Afrique en 1487, le Gênois Christophe Colomb (1450 - 1506), évidemment, et le Portugais Vasco de Gama (1469 - 1524) qui, en 1497, a découvert la route des lndes.
NOTES:
1 - Ahmed Djebbar, Une histoire de la science arabe. Entretiens avec jean Rosmorduc, Seuil, 2001.
2 - Juan Vernet, Ce que la culture doit aux Arabes d'Espagne, Sindbad, Paris, 1985; Pierre Guichard, Al Andalus, 711 - 1492, Hachette, Paris, 2000.
3 - Paul Balta, L'Islam, collection "ldées reçues", Le Cavalier Bleu, Paris, édition mise à jour, novembre 2001.
4 - Paul Balta (sous la dir. de), Islam, civilisation et sociétés, préface de Francis Lamand, Editions du Rocher, Paris, 1991, 2è édition, 2001.
5 - Introduction to the History of Science, 3 vol. (1927 - 1958), dernière éd. Krieger Publishin Company, 1975.
6 - Maxime Rodinson, "Recherches sur les documents arabes relatifs à la cuisine", Revue des études islamiques, Paris, 1949.
7 - Jean Bottero, La plus vieille cuisine du monde, Audibert, Paris, 2002.
8 - jean-Louis Flandrin et Massimo Montanari, Histoire de l'alimentation, Fayard, Paris, 1996.
9 - Françoise Aubaile-Sallenave, "La Méditerranée, une cuisine, des cuisines", in Social Science Informations, vol. 35, n°1, 1996.
10 - Les éditions Sindbad, fondées par Pierre Bernard, ont été reprises, à sa mort, en 1995, par Actes Sud.
11 - Signalons notamment: Farouk Mardam Bey, Robert Bistolfi, Traité du pois chiche, 1998, Rudolf El-Kareh, Le mezzé libanais. L'art de la table festive, 1998, Farouk Mardam Bey, La cuisine de ziryâb. propos de table, impressions de voyages et recettes pouvant servir d'initiation pratique à la gastronomie arabe, 1998. La cuisine des califes, 1999.
12 - Surnom de Abou al-Hassan Ali ibn Nâfi'.
13 - Ibn Hazm, De l'amour et des amants, Sindbad, Paris, 1992. Son non-conformisme lui vaudra d'être condamné plusieurs fois à la prison, par les "légistes" de l'époque, qui firent brûler ses livres et ceux d'autres savants et poètes. C'est l'autre volet de la tolérance andalouse.
14 - Maurice Bensoussan, Les particules alimentaires, Maisonneuve et Larose, Paris, 2002.
15 - Paul Balta, Méditerranée, Défis et enjeux, L'Harmattan, Paris, 2000.
16 - Institut catalan de la Méditerranée, Vers un nouveau scenario de partenariat euro-méditerranéen Forum civil euromed 1995, Barcelone, 1996.
17 - Paul Balta, "La culture: le parent pauvre", in Euro-Méditerranée, un projet à réinventer, Confluences/ Méditerranée, n° 35, automne 2000, L'Harmattan, Paris.
Koceila
 
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Message par lavana » 24 Jan 2007, 20:09

Salut Koceila,


Même s'il reste beaucoup de travail à faire, on sait "en gros" maintenant que la "civilisation arabo-islamique" au môyen-âge était une grande "civilisation". L'auteur le rappelle :
a écrit :Au XIXè siècle, en France, de grands écrivains comme Ernest Renan et le positiviste Auguste Comte critiquent l'obscurantisme des religions sur un fond d'antisémitisme (les Arabes aussi sont des sémites) et mettent l'accent sur la laïcité. les orientalistes de l'époque minimisent les apports de la civilisation arabo-islamique. Ce sont des spécialistes, notamment Européens comme Maxime Rodinson, jacques Berque, André Miquel, Juan Vernet et d'autres, des Arabes et le Pakistanais Abdus Salam (1926 - 1996), installé au Etats-Unis, premier prix Nobel scientifique du monde musulman (1979), qui rétabliront les faits dans la seconde moitié du XXè siècle.


Mais il serait aussi intéressant, une fois cette reconnaissance effectuée, de discuter aussi des raisons qui ont amené cette civilisation à être dominée, colonisée au 19 eme siècle et ainsi de se retrouver dans la situation d'être "appeler à renouer"

a écrit :Abdus Salam, que j'ai eu l'honneur de connaître et dont j'ai fait le portrait dans islam, civilisation et sociétés(4) qui vient d'être réédité, se voulait aussi un missionnaire de la science. Il se rendait dans les pays musulmans pour les appeler à renouer avec leur âge d'or pour innover et déplorait que leurs dirigeants n'accordent pas suffisamment d'importance et de crédits à la recherche.


a écrit :Comme le recommande l'ALECSO, les pays arabes devraient moderniser et rationaliser leur pédagogie, trop influencée par la méthode coranique de l'apprentissage par coeur, sans esprit critique, et réviser leurs manuels scolaires. La Tunisie est le seul pays à avoir entrepris ces réformes, et fait réviser dans le sens de la modernité 250 manuels scolaires.
lavana
 
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Message par Koceila » 24 Jan 2007, 20:43

a écrit :Mais il serait aussi intéressant, une fois cette reconnaissance effectuée, de discuter aussi des raisons qui ont amené cette civilisation à être dominée, colonisée au 19 eme siècle et ainsi de se retrouver dans la situation d'être "appeler à renouer"


C'est précisemment celà qui m'intèresse, et je pense que la méthode marxiste peut sans conteste expliquer l'histoire de l'humanité entière, sans tomber dans le piège de certains qui colportent les préjugés néo-coloniaux.


Au fait il existe une autre grande civilisation musulmane dont on parle trés peu et qui a pourtant partagé la grandeur et le destin tragique de ses soeurs du nord: La civilisation Mandingue, qui englobait le Mali actuel, la Côte d'ivoire, le Sénégal, et d'autre pays au moment de son apogée Lire Le Soudan Occidental au temps des grands empires de J Ki Jerbo.

a écrit :Mais il serait aussi intéressant, une fois cette reconnaissance effectuée, de discuter aussi des raisons qui ont amené cette civilisation à être dominée, colonisée au 19ème siècle et ainsi de se retrouver dans la situation d'être "appeler à renouer"


Je pense qu'il n'existe plus de civilisation "Arabe", "Chinoise", "Européenne" ou autres ceux qui prétendent le contraire sont les mêmes qui ont cherchent à précipiter le prolétariat et les peuples dans un piège mortel. Bon grès mal grès la bourgeoisie a conquis et à chambardé de fond en comble la planète uniformisant les systèmes sociaux.

La vrai renaissance du monde arabe (en même temps que celle de tous les peuples) ne se fera qu'avec l'avénement du communisme!
Koceila
 
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Message par lavana » 25 Jan 2007, 08:11

Au fait, sur l'empire Ottoman et son déclin quelqu'un a un bouquin à conseiller ?
lavana
 
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