par Louis » 25 Avr 2003, 17:39
Rouge 2014 24/04/2003
Retraites
Ralliement aux vainqueurs
Fillon a finalement remis un document écrit aux syndicats, lors d'une nouvelle série de réunions. Les orientations de sa "réforme" y apparaissent clairement : c'est un projet à 100 % régressif, où rien n'est à négocier et tout à combattre.
La mesure la plus significative de la "réforme" de Fillon est le passage aux 40 annuités pour les fonctionnaires, d'ici à 2008. Elle est assortie d'une décote de 3 % par annuité manquante. Un fonctionnaire qui partirait malgré tout au bout de 37 ans et demi verrait sa retraite diminuée de 16,25 %. Et les femmes aux carrières incomplètes seraient particulièrement touchées. Le lien avec la progression du point d'indice est maintenu pour l'instant, mais les revalorisations indiciaires ne seront plus répercutées. Enfin, le gouvernement caresse toujours l'idée de calculer la pension sur le traitement des trois dernières années et non plus des six derniers mois.
Il s'agit au fond de faire des économies budgétaires par les deux bouts : moins payer les retraités et ne pas les remplacer par de nouvelles embauches. C'est le programme libéral qui se déploie avec toute sa logique inégalitaire : ce que l'on économisera sur les fonctionnaires servira à payer les baisses d'impôts des riches et une partie des intérêts qu'on leur verse ensuite à travers la dette publique.
Faire sauter le verrou du public est une étape nécessaire vers une nouvelle "réforme" des régimes spéciaux (EDF, GDF, SNCF, RATP, etc.). L'une des raisons pour lesquelles l'accord EDF a été majoritairement refusé par le personnel est qu'il contenait une "clause de revoyure" en cas de modification générale des systèmes de retraite, ce qui serait donc le cas avec les mesures Fillon. Le gouvernement prépare ainsi un terrain qu'il sait miné depuis 1995.
Du côté du privé, la "réforme" "répare" un oubli de Balladur : elle calcule la pension sur la base de 160 trimestres et non plus 150, soit une baisse supplémentaire de 6,66 % (10/150e) : excusez du peu ! Elle remet en cause de manière insidieuse les principes de base du système. Ainsi, la durée de la cotisation est indexée sur l'espérance de vie. La référence des 60 ans est diluée par un mécanisme de décote/surcote qui introduit une forme de "retraite à la carte". Compte tenu de l'état du marché du travail, cela ne peut signifier qu'un nouveau recul du montant de la retraite, ou un blocage du recrutement de jeunes. En même temps disparaît en pratique la garantie d'un taux de remplacement minimum. C'est donc le triptyque de base (durée de cotisation, âge de départ, taux de remplacement) qui est attaqué.
Cette offensive gouvernementale de grande ampleur n'est pas dénuée de contradictions. Sa grande faiblesse est de ne proposer aucun "grain à moudre" et de vider ainsi la "concertation" de tout contenu. Trois grandes contreparties étaient mises en avant par les syndicats invités. Les "droits nouveaux", autrement dit la prise en compte de périodes de formation ou d'emploi précaire, n'ont inspiré aucune proposition significative du gouvernement. L'idée d'une retraite minimum égale au Smic a été repoussée, et le chiffre de 75 % du Smic a même été avancé : c'est un véritable aveu, puisque ce taux de remplacement, qui devrait être un taux-plancher, devient un taux-plafond. Reste le droit à retraite anticipée pour les salariés ayant 40 annuités de cotisation avant l'âge de 60 ans : le texte de Fillon propose de prendre en compte "progressivement" ces situations, mais ses experts avaient bien expliqué, lors d'une précédente réunion, que cela coûtait beaucoup trop cher (onze milliards d'euros).
Bref, cette "réforme" n'est décidément rien d'autre qu'une contre-réforme. Sous prétexte d'adaptation inéluctable au "choc démographique", il s'agit de maintenir le statu quo dans la répartition des revenus au détriment des salariés. L'absence de légitimité d'un tel projet fonde l'absolue légitimité du combat social qui doit s'y opposer.
Michel Husson.