Bakhtine

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par abounouwas » 05 Fév 2007, 01:53

Un apport de la dialectique matérialiste - certainement majeur - sur la question de la conscience et du langage peut être trouvé chez Mikhail Bakhtine (1895-1975).

Bakhtine, Marxisme et philosophie du langage

Ce linguiste marxiste s'interroge en effet sur l'idéologie et la question de l'articulation de l'individu à la société à travers le mot.

"La réalité du psychisme intérieur est celle du signe. En dehors du matériau sémiotique, il n'est pas de psychisme. On peut parler de processus physiologiques, de processus du système nerveux mais pas de psychisme subjectif, celui-ci étant un trait particulier de l'être, radicalement différent, tant des processus physiologiques qui se déroulent dans l'organisme, que de la réalité extérieure à l'organisme, ráslité à laquelle le psychisme réagit et qu'il reflète d'une manière ou d'une autre. Par nature, le psychisme subjectif est localisé à cheval sur l'organisme et le monde extérieur, pour ainsi dire à la frontière de ces deux sphères de la réalité. C'est la qu'a lieu la rencontre entre l'organisme et le monde extérieur, mais cette rencontre n'est pas physique: l'organisme et le monde se rencontrent dans le signe. L'activité psychique constitue l'expression sémiotique du contact de l'organisme avec le milieu extérieur. C'est pourquoi le psychisme intérieur ne doit pas être analysé comme une chose, il ne peut être compris et analysé que comme un signe". (op. cit. p. 47)

La dialectique du signe peut se résumer comme suit:
psychique, elle va de l'intérieur vers l'extérieur
idéologique, elle va de l'extérieur vers l'intérieur.

Pas de conscience sans langage. :hypocrite:
abounouwas
 
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Message par casimirsul » 05 Fév 2007, 07:53

Autour du même sujet, il faut signaler les travaux de Lev Vigotski, psychologue soviétique de génie, mort jeune en 1934, et dont le dernier ouvrage est "Pensée et langage".
casimirsul
 
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Message par Louis » 05 Fév 2007, 08:30

pour en revenir a Bakhtine, il est surtout un théoricien du roman, auteur d'ouvrages de référence sur Rabelais, Dostoievski. Il est surtout l'un des plus éminents théoriciens "constructivistes" de l'acte d'écriture, autour des notions de "polyphonie du texte" et de "dialogisme"


une petite présentation "facile" du dialogisme par la revue "fabula" (revue de recherche en littérature)

a écrit :Dialogisme

Polyphonie et dialogisme sont les deux termes qui restent le plus attachés à l'œuvre de Bakhtine, au point que Todorov intitula son livre de présentation du penseur russe Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique. Le dialogisme désigne le fait, fondamental pour Bakhtine, que l'être ne peut s'appréhender de manière juste qu'en tant que sujet, c'est-à-dire résultant d'interrelations humaines ; contrairement aux choses, l'être humain ne peut donc être objectivé, il ne peut être abordé que de manière dialogique. Il distingue le dialogisme externe (dialogue au sens courant du terme) et dialogisation intérieure, qui l'intéresse particulièrement. Ce dialogisme travaille particulièrement ce que Bakhtine appelle « slovo », traduit par « mot », mais expliqué par les divers commentateurs ou traducteurs comme ayant le sens de « discours », « parole ». Le mot est toujours mot d'autrui, mot déjà utilisé ; il traduit un sujet divisé, multiple, interrelationnel. C'est en cela qu'il est fondamentalement dialogique. Dans le roman polyphonique, ce dialogisme permet la confrontation des discours contradictoires. Dans sa présentation de La Poétique de Dostoïevski, Julia Kristeva montre bien d'une part la convergence des vues de Bakhtine avec la psychanalyse et d'autre part la fécondité de cette approche pour l'appréhension des romans de la modernité : « Le discours de l'auteur [de roman polyphonique] est un discours à propos d'un autre discours, un mot avec le mot (…) (non pas un métadiscours vrai). Il n'y a pas de troisième personne unifiant la confrontation des deux : les (discours) contraires sont réunis, mais non pas identifiés, ils ne culminent pas dans un « je » stable qui serait le « je » de l'auteur monologique. Cette « dialogique » de coexistence des contraires, distincte de la « monologique » ( qui postule le tertium non datur) et que Freud découvre dans l'inconscient et dans le rêve, Bakhtine l'appelle, avec une perspicacité étonnante, logique du rêve. L'écoute bakhtinienne de la « topologie » du sujet dans le discours romanesque a rendu la théorie littéraire sensible à ce que la littérature moderne lui propose. Car le roman polyphonique que Bakhtine trouve chez Dostoïevski est bien situé sur cette brèche du « moi » (Joyce, Kafka, Artaud viendront après Dostoïevski (1821-1881), mais Mallarmé est son contemporain) où explose la littérature moderne : pluralité des langues, confrontation des discours et des idéologies, sans conclusion et sans synthèse—sans « monologisme », sans point axial. Le « fantastique », « l'onirique », le « sexuel » parlent ce dialogisme, cette polyphonie non-finie, indécidable » (p. 15). Pour Bakhtine, ce dialogisme tire ses racines du dialogue socratique et de la satire ménippée. Le dialogue socratique a pour principe d'après lui que la vérité n'est pas le fait d'un seul homme, mais se construit grâce à l'interrelation dialogale : la vérité « naît entre les hommes qui la cherchent ensemble, dans le processus de leur communication dialogique » (Poétique de Dostoïevski, p. 155). La ménippée, genre antique (par exemple Le Satiricon de Pétrone) qui traverse le Moyen Age, la Renaissance et la Réforme, jusqu'à nos jours même (Rabelais, Voltaire, Swift), pratique la fusion entre la recherche philosophique, le fantastique et « le naturalisme des bas-fonds » (ibid., p. 161). Il s'agit d'une littérature carnavalesque qui cultive les contrastes et les contradictions, la mise en cause des idées reçues et l'irrévérence, bref le dialogisme ; pourtant Bakhtine lui refuse la qualité de polyphonie (« la ménippée ignore encore la polyphonie », p. 169) ; le passage à la métaphore musicale suppose en effet une orchestration contrapuntique du dialogisme.


en ce qui concerne l'importance de bakhtine, une présentation historique (fournie par l'ufr de lettre de l'université de genéve)

a écrit :Les œuvres de Bakhtine n'ont été connues en Occident qu'au début des années 1970. Elles ont joué un rôle décisif dans l'évolution de la théorie littéraire et linguistique. En effet, elles ont contribué à opérer une mutation du point de vue sur la parole.

Alors que l'analyse s'était jusque là essentiellement concentrée sur les structures de l'énoncé (linguistique ou littéraire), l'intérêt s'est progressivement déplacé vers l'analyse de l'énonciation.

À côté de la découverte des actes de parole, celle du dialogisme a joué un rôle prépondérant dans cette évolution.

Dans le champ littéraire, le dialogisme a été l'occasion d'une critique du structuralisme littéraire. Il a rouvert l'analyse du texte, trop exclusivement centrée sur les structures internes, à son extériorité. Et la problématique dialogique a permis d'échapper à un simple retour au collage d'informations historiques, biographiques et psychologiques, foncièrement étrangères au texte, qui caractérisait la critique pré-structuraliste



En clair, il a permis de sortir des apories du structuralisme (pour retomber dans celles du "post modernisme" où il est utilisé a toutes les sauces)
Louis
 
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Message par canardos » 05 Fév 2007, 08:33

je ne connais pas les auteurs que vous citez, mais plus généralement on pourrait dire qu'il n'y a pas de conscience de soi sans conscience de l'autre et de sa difference et pas de conscience de l'autre sans communication.

mais le language et la conscience ne naissent pas tout seul . il a fallu des millions d'années à un groupe d'animaux sociaux pour les developper. et il existe d'innombrables degrés intermédiaires

il ne faut pas réduire la conscience et le le language aux formes developpées existant chez homo sapiens qui utilise des abstractions et dont on sait qu'il a une capacité de projection dans le futur puisque depuis des dizaines de milliers d'années il enterre ses morts par exemple.

il existe des formes d'intelligence et de conscience non verbales. nous nous représentons physiquement y compris dans nos differences avant de nous représenter verbalement. Par exemple, les grands singes et les cétacés à dents se reconnaissent dans un miroir ce qui signifie qu'ils percoivent ces differences et ils reconnaissent tres bien les autres individus du groupes y compris dans leurs spécificités psychiques et physiques.

mieux, certains singes sont capables de théorie de l'esprit, c'est à dire qu'ils sont capables d'imaginer ce que les autres membres du groupe croient et de baser des tactiques la dessus, pour les duper par exemple, meme quand ils savent que ce n'est pas vrai. ce que ne peut pas faire un autiste profond qui pourtant meme quand il ne parle pas comprend le language humain

à partir de quand la communication par signes des primates devient elle un language....avec le developpement de la syntaxe qui démultiplie les possibilités de communications...avec l'usage d'abstraction aussi, la capacité d'exprimer le futur, par exemple, donc avec le developpement du cerveau des hominidés. mais tout ça s'est fait tres progressivement sur des millions d'années.

Et le fait de se nommer et de nommer les autres n'est pas une condition préalable à la conscience de soi et des autres, mais plutot une étape ultérieure de cette conscience, propre à l'espece humaine, un bond qualititatif si vous preferez....

mais un bond qui ne permet pas de dire aussi catégoriquement "pas de conscience sans language" mais seulement que notre forme de conscience ne peut exister sans language, meme si de nombreux élement de celle ci font appel à des processus non verbaux, le language du corps par exemple, les représentations
visuelles, etc...
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Message par Louis » 05 Fév 2007, 08:51

Encore une fois, on se heurte a la difficulté de définir de façon rigoureuse les mots Qu'est ce qu'on appelle "conscience" et "langage" Comme le déclarait Beneviste (l'un des premiers théoriciens de la linguistique)

a écrit :L’ensemble de ces observations fait apparaître la différence essentielle entre les procédés de communication découverts chez les abeilles et notre langage. Cette différence se résume dans le terme qui nous semble le mieux approprié à définir le mode de communication employé par les abeilles, ce n’est pas un langage, c’est un code de signaux


Sans oublier marx

a écrit :Le langage est aussi vieux que la conscience –il est la conscience réelle, pratique, aussi présente pour les autres hommes que pour moi-même, et, comme la conscience le langage nait du seul besoin, de la nécessité du commerce avec d’autres hommes." Marx, L’idéologie du langage.


En clair on parle bien du langage humain, articulé, conceptuel et non pas des "langages" en général. Dire langage pour les cas que tu cite, c'est faire une catachrèse...
Louis
 
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Message par canardos » 05 Fév 2007, 09:04

et parler de "catachrese" en sachant tres bien que personne n'utilise ni ne comprend ce mot c'est faire du pédantisme...je croyais que le devoir d'un révolutionnaire c'était de toujours veiller à s'exprimer avec le language commun et de façon concrete pour etre compréhensible....

le sujet était language et conscience....

le language humain va de pair avec un stade superieur de conscience....

mais je voulais simplement dire que la conscience s'est developpée progressivement sur la base d'une communication par signes de plus en plus élaborée, qu'elle n'est pas fondée que sur le language.

70 ans de psychologie cognitive et d'étude de l'enfant et des primate le montrent assez.
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Message par Louis » 05 Fév 2007, 09:15

:hinhin: "catachrese" c'est une figure de rhétorique : l'emploi d'un mot au dela de son sens strict (comme "les « ailes » d'un avion, la « bouche » de métro, les « pieds » d'une chaise, le "langage" des abeilles) Ca me semblait évident au sens du contexte ! C'est toi qui parle avec de grands airs de "conscience" de "langage", sans en donner une définition rigoureuse, ce qui permet alors toutes les affirmations

a écrit :la conscience s'est developpée progressivement sur la base d'une communication par signes de plus en plus élaborée, qu'elle n'est pas fondée que sur le language.


Peut tu nous donner des exemples de ce que tu prétends ?

Louis
 
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Message par Sterd » 05 Fév 2007, 10:12

(Louis @ lundi 5 février 2007 à 09:15 a écrit : Peut tu nous donner des exemples de ce que tu prétends ?

Il a donné plus haut l'exemple des grands singes et des cétacés. Ca ne suffit pas ?
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Message par canardos » 05 Fév 2007, 11:02

si tu veux en savoir plus, louis, ce qui m'étonnerait, je te renvoie au tome II di livre de Pascal Pick "les origines de l'humanité".

ce tome II intitulé "le propre de l'homme" montre à travers notamment l'étude des primates comme tout ce que nous considérons comme propre à l'homme se retrouve à un niveau embryonnaire et inferieur certes chez les mammiferes sociaux les plus évolués.

je te renvoies aussi aux fils sur l'intelligence animale et sur celles des singes et des enfants ou il y a de nombreux articles à télécharger....

bref à moins d'etre un créationniste, toute personne de bon sens ne peut pas dire "au commencement était le verbe" et imaginer que grace au verbe notre conscience est sortie toute casquée de la cuisse de zeus...il y a eu une longue évolution avec des étapes....un processus dialectique...car si le language est nécessaire pour une grande partie de nos processus conscients, sans une certaine forme de consceince non verbale préexistante il n'aurait pas pu apparaitre...

il y a eu coévolution du language et de la conscience...de formes élémentaires vers des formes plus complexes
canardos
 
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Message par Louis » 05 Fév 2007, 11:45

je ne suis pas "créationniste", bien au contraire, puisque je suis plutot "constructiviste" dans ces domaines Mais sauf a tomber dans un relativisme bien suspect, il y a bien a un momment ou à un autre "rupture" : rupture entre "langage" humain et "modes de communication" pré humains ou animaux, entre conscience humaine et conscience animale. De ce point de vue, ce qui me dérange n'est pas le fait que le langage ne soit pas apparu "tout armé de la cuisse de jupiter" mais qu'il soit surgit apparemment pour toi sans véritables ruptures, par une sorte d'évolution linéraire...

a écrit :grace au verbe notre conscience est sortie toute casquée de la cuisse de zeus...il y a eu une longue évolution avec des étapes....un processus dialectique...car si le language est nécessaire pour une grande partie de nos processus conscients, sans une certaine forme de consceince non verbale préexistante il n'aurait pas pu


Puique justement, ce qui est "conscient" aujourd'hui, c'est ce qu'on peut "dire" Et que le "langage" préhumain n'est pas relié a un niveau spécifique de conscience

pour prendre un exemple, citons francis kaplan, auteur de Des singes et des hommes, la frontière du langage"

a écrit :Pour les psychologues et les psychologues sociaux, le fait spécifiquement humain, l'émergence de ce qu'on appelle le sujet, se fait à partir de la conscience de soi. Quel rapport voyez-vous entre le langage et la conscience de soi ?

F.K. En fait, les primatologues pensent que les primates supérieurs ont conscience d'eux-mêmes indépendamment du langage et ils prétendent le prouver par le fait que ceux-ci se reconnaissent dans un miroir puisque, comme on sait, si on fait une marque de couleur sur leur visage pendant qu'ils sont endormis, marque qu'ils ne sentent pas une fois réveillés, et si on leur présentent un miroir dans lequel se reflète leur visage, ils se frottent à l'endroit de la marque. En réalité, l'expérience n'est pas probante. D'abord parce qu'on a vu dans cette expérience la preuve que les primates supérieurs sont des animaux très évolués ; or, la même expérience est possible avec des pigeons dont le niveau intellectuel n'est pas considéré comme particulièrement élevé. Surtout parce que le fait de se rendre compte que le visage qu'ils voient est le leur ne manifeste pas plus de la conscience de soi que le fait pour un chat, par exemple, de se rendre compte que la patte de devant qu'il voit est la sienne ; il est vrai que le singe voit son visage à travers un miroir, mais cela n'a rien à voir avec la conscience de soi ; cela veut dire seulement qu'il a compris que le miroir pouvait lui permettre une extension de ses possibilités de perception, comme dans le film « Il faut sauver le soldat Ryan » un capitaine à l'abri derrière un rocher, attache un miroir à un fusil qu'il brandit pour voir ce qui se passe de l'autre côté du rocher ; c'est une preuve d'intelligence, non de conscience. Reste à comprendre la conscience de soi. En fait, c'est une conscience redoublée : je vois une table — ce qui est une conscience perceptive de la table ; j'ai conscience que je vois une table — ce qui est une conscience de soi. C'est donc la conscience d'un état de conscience. Or, un état de conscience n'est pas un objet sensible. et ou bien il faut faire appel à une mystérieuse intuition sans soubassement physiologique — sans organe des sens, sans nerfs sensitifs — ou bien il faut remarquer qu'on ne prend conscience de soi qu'en se parlant : pour prendre conscience que je vois, il faut que je me le dise et je défie quelqu'un de pouvoir faire autrement ; et la parole est effectivement un objet sensible. La conscience de soi relève du récit que nous nous faisons perpétuellement à nous-mêmes et dont nous avons parlé tout à l'heure.


Louis
 
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