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Message par Nestor Cerpa » 01 Mai 2003, 14:43

Neka Jara est une des porte-parole du Mouvement des travailleurs privés d'emploi (Movimiento de los trabajadores desempleados, MTD Solano), qui fait partie d'une des coordinations de chômeurs (appelés piqueteros), Anibal Veron. Le MTD participe largement au processus des assemblées populaires, notamment dans les quartiers de la province de Buenos Aires.

- Quels sont les objectifs et les actions du MTD Solano ?
Neka Jara - Nous nous sommes constitués en 1997 à l'occasion des grands mouvements de chômeurs qui se sont développés dans la province de Buenos Aires puis dans le Sud et le Nord du pays. Notre travail dans les quartiers s'organise autour de problématiques quotidiennes très concrètes qui ont émergé du fait de la montée vertigineuse du chômage. Nous avons créé des alternatives très concrètes pour résoudre les problèmes liés à l'alimentation, la santé, l'éducation dans les quartiers. Nous travaillons avec les familles et les femmes sont très nombreuses à participer à ces structures de quartiers. Nous essayons par exemple d'intervenir sur la question des violences au sein de la famille (violence conjugale, maltraitance, etc.) qui ont été exacerbées par le contexte de chômage et de pauvreté. La société argentine est une société très machiste dans laquelle les hommes sont censés pourvoir matériellement aux besoins de la famille. Même si le taux d'activité des femmes a augmenté ces dernières années, celles-ci doivent se contenter de "petits boulots" très précaires dans les secteurs de l'entretien, du textile ou comme secrétaires, sans aucun droit, ni couverture sociale, ni retraite. Avec la crise, beaucoup d'hommes ont perdu leur emploi et leur statut de soutien de famille avec beaucoup de frustration et de désespoir : ils se réfugient dans l'alcoolisme et la drogue.

- Le MTD Solano participe-t-il à la mobilisation en faveur des ouvrières de l'usine Brukman (1) ?
N. Jara - Quand le pouvoir s'en prend aux ouvrières de Brukman, il s'en prend à tous. Le mouvement des piqueteros a conscience de la nécessaire unité. On doit se libérer ensemble ou perdre ensemble. Notre mouvement était très présent dans le soutien aux ouvrières. Beaucoup de nos camarades ont été arrêtés. Jeudi 24 avril, il y a eu une très grande mobilisation à Buenos Aires pour condamner l'expulsion des ouvrières et la répression qui s'en est suivie. Les manifestants réclament la réquisition de l'usine par les ouvrières ainsi que la libération des détenus piqueteros dans tout le pays. Enfin ils ont affirmé leur solidarité avec la communauté mapuche du Sud de l'Argentine qui sont victimes d'expropriations massives. La mobilisation va continuer toute la semaine.

- Depuis les journées insurrectionnelles des 19 et 20 décembre 2001 jusqu'à l'élection présidentielle en cours : où en sont les mobilisations ?
N. Jara - Cette insurrection a exprimé la résistance au capitalisme néolibéral que l'on peut observer dans le monde entier. Elle a permis de voir les choses avec une autre subjectivité. La société argentine a découvert le vrai visage du système capitaliste : derrière les belles promesses, elle a découvert les privatisations, la misère, la banqueroute d'un pays qui a suivi les prescriptions du Fond monétaire international (FMI). Cela a permis l'unité des secteurs pour la lutte. La classe moyenne n'existe plus à présent : aujourd'hui appauvrie, elle soutient - voire participe - les différentes luttes d'occupation d'usines ou de piqueteros. Si l'effervescence est moins forte, le mouvement n'a pas pour autant disparu : il s'est transformé, dans les assemblées populaires, les usines occupées, etc.
Quant à l'élection de la semaine prochaine, c'est avant tout un moyen pour la classe dirigeante de légitimer le système, le capitalisme. Ils sont toujours aux ordres du FMI. Mais ce sera toujours la répression. Après l'insurrection, nous avons eu le gouvernement Duhalde qui constitue une véritable dictature qui s'appuie sur des policiers et des juges de l'ex-dictature militaire. Ils veulent détruire l'autoorganisation et les organisations populaires, assassiner leurs représentants, etc. Pour notre organisation, le défi, c'est d'organiser et consolider la lutte. Pour ériger une autre société, le processus sera long. Il faut le construire ensemble et ce n'est pas l'Etat qui va le faire. En Argentine, 70 % de la population sont exclus du système. L'autoorganisation et l'autogestion sont les seules alternatives dans les quartiers comme dans les usines. Il faut développer ces alternatives.

- Que penses-tu de l'arrivée au pouvoir de Lula au Brésil ?
N. Jara - Lula a une véritable histoire de luttes. Il est le produit d'un mouvement social très fort et très populaire. Nous pensons que ce qui est arrivé au Brésil est très important mais tout ne dépend pas de Lula. Cela dépend surtout du rapport de forces que le mouvement social pourra instaurer dans le pays. Mais pour l'Amérique latine, l'élection de Lula est un symbole fort. Cela peut favoriser le développement du mouvement social et populaire en Amérique latine. Lula fera certainement l'objet de fortes pressions de la part du FMI et risque de faire des compromis qui seront défavorables aux classes populaires, notamment sur la dette externe. Il doit surmonter certaines contradictions dans le sens de mesures qui puissent favoriser le mouvement social.

- Quelle a été votre position sur la guerre en Irak ?
N. Jara - Nous nous sommes beaucoup mobilisés. La guerre en Irak n'est pas un événement extérieur qui ne nous concernerait pas. Car l'Argentine est victime d'une guerre de basse intensité qui fait partie du même processus de guerre globale. Les objectifs de l'impérialisme sont les mêmes partout. En Amérique latine, les Etat-Unis essaient par exemple d'imposer une zone de libre-échange des Amériques (Alca). Les peuples du monde doivent se battre contre cela à l'échelle de toute la planète. Les pays européens comme l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne ou la France ont également de très lourdes responsabilités dans la crise argentine : les entreprises françaises, notamment France Télécom, la Lyonnaise des eaux, le Crédit Agricole, ont largement contribué à détruire l'économie argentine.

Propos recueillis par Pauline Terminière.

1. Usine occupée et autogérée depuis un an et demi par les ouvrières qui ont relancé la production après la fuite de leur patron. La police a violemment réprimé les ouvrières et leurs soutiens lundi 21 avril (voir Rouge 2014 du 24 avril).

Rouge 2015 01/05/2003
Nestor Cerpa
 
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