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Le Nord dévasté par les eaux de ruissellement après le passage du cyclone Indlala.
[center]Madagascar lessivé par le défrichage[/center]
Par Pierre BLAISE
Libération : samedi 31 mars 2007
Madagascar correspondance
Il faut une bonne dose d'imagination pour se représenter les deux salles de classe sur le terrain vague sablonneux. Planté au milieu, un bout de pilier en béton armé renversé est le dernier vestige de l'école «anticyclonique» construite en 2004 par le FID (Fonds d'intervention pour le développement). Car, si les bâtiments étaient faits pour résister au vent, c'est l'eau qui a tout emporté. Le passage d'Indlala sur le nord de Madagascar, entre le 15 et le 17 mars, a fait 80 morts, 3 disparus et 105 052 sinistrés. Il a laissé exsangue la petite commune d'Ambohimarina. Auprès de quelques maisons penchées et de tas de bois de construction, la population panse ses plaies avec fatalisme.
Rizières.
«Le 16 mars vers 11 h, un barrage a cédé, et l'eau de la colline a envahi le village avec une violence inouïe, drainant des tonnes de bois et rasant tout ce qui se trouvait sur son passage», raconte Roland Jaolaza, le chef local, qui rédige consciencieusement la liste des besoins d'urgence. Le défrichement sur la colline est tel que plus rien ne canalise le ruissellement. L'avenir même du village est remis en cause.
A 80 ans, le vieux Sabostsy n'avait jamais vu ça: «Nous ne voulons pas quitter le village, mais si ça recommence on montera dans la colline.» Le carnage n'a pas duré plus d'une demi-heure. A côté, Pierre Zara est plus pragmatique. «C'est à cause des feux de brousse», assure-t-il, soutenu par d'autres agriculteurs, conscients que leur pratique de la culture sur brûlis est à l'origine des glissements de terrain responsables de l'inondation.
Le Haut Sambirano, du nom de la large rivière qui recueille les eaux des collines, est une région où les endroits plats sont rares et où la couverture végétale et les bassins versants jouent un rôle essentiel dans la stabilité des sols. Le défrichement sur la colline est tel que le ruissellement vers le village était inévitable. «Cette fois, la terre a été emportée jusque dans la vallée, causant les destructions et fragilisant la région pour longtemps. Les rizières ensablées ne sont pas récupérables et l'eau potable va manquer», se désole Christian Aridy, de l'ONG Crades (Comité de réflexion et d'action pour le développement et l'environnement du Sambirano). Les berges s'effondrent régulièrement, le cours du Sambirano a été élargi parfois de 15 mètres cette année. «La circulation sur la rivière sera impossible d'ici à quelques jours», assure un piroguier, slalomant entre les bancs de sable. La ville voisine d'Ambanja ne sera bientôt plus accessible qu'au prix de cinq heures de vélo sur une piste défoncée. L'Unicef et le Pam (Programme alimentaire mondial) devront héliporter vivres et matériel.
Alternatives.
Piégée dans sa maison, la frêle Kabary a été miraculeusement épargnée. «J'avais de l'eau jusqu'au cou, je n'arrêtais pas de crier», témoigne la grand-mère, qui recueille ses six petits-enfants pendant que son fils construit un refuge sur la colline. «Le plus dur va être de réorganiser notre agriculture. La population a été éduquée au défrichement, et le phénomène a largement ralenti depuis quelque temps, pourtant voilà ce qui est arrivé», rappelle Roland Jaolaza. Rizières ensablées, plantations de cacao et de café détruites, les alternatives sont rares : pistache, arachide, pomme de terre. Il s'inquiète : «Pourra-t-on empêcher ceux qui ont tout perdu d'aller chercher de nouveaux terrains sur la colline et de continuer à creuser notre tombe ?»