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[center]Braconnage et urbanisation rampante menacent les derniers tigres de l'Inde[/center]
LE MONDE | 26.12.07 | DEHRADUN (INDE) ENVOYÉ SPÉCIAL
C'est un déplacement peu ordinaire que viennent d'effectuer, pour la première fois, les 80 élèves de la prestigieuse école indienne des officiers de police. Tous se sont rendus, en costume cravate, dans un parc naturel aux pieds de l'Himalaya, pour apprendre auprès des gardes forestiers les rudiments de la lutte contre le braconnage.
"La disparition d'un certain nombre d'espèces relève du crime organisé, surtout dans le cas du tigre", justifie Anu Nagar, responsable de la formation. Il ne resterait plus que 1 500 félins en Inde, contre 40 000 il y a un siècle, selon les chiffres du gouvernement. Le pays, qui abrite la plus large population de tigres au monde, porte une lourde responsabilité dans la sauvegarde de l'espèce.
Chez le tigre, rien ne se perd, tout se vend. Du pelage aux dents, en passant par les testicules, les organes sont très prisés en Chine, le pays voisin, notamment pour fabriquer des potions aphrodisiaques, ou même de la poudre d'os, un remède utilisé en cas de fracture. Une carcasse ou une peau de tigre est vendue en général 4 500 dollars (3 100 euros) aux intermédiaires. Une petite fortune pour un villageois, une bouchée de pain pour un intermédiaire qui peut en obtenir 50 000 dollars (35 000 euros) au marché noir en Chine.
La technique du braconnage est simple. Un piège dissimulé sous des branchages immobilise le tigre en le blessant à la patte. Les braconniers n'ont plus qu'à le tuer, par la gueule, afin de ne pas abîmer son pelage. En Inde, 50 félins trouveraient ainsi la mort chaque année. "Avec de nouvelles techniques comme les détecteurs de métaux et les caméras infrarouges, nous espérons enrayer le phénomène, mais c'est surtout en s'attaquant au vaste réseau de contrebande que nous pourrons sauver les tigres", souligne Samir Sinha. Le directeur de l'ONG Trafic India reconnaît la complexité de la tâche : "La plupart des têtes de réseau n'ont jamais mis un pied dans une forêt et dissimulent leurs opérations derrière des activités légales de transport."
C'est à New Delhi, un endroit idéal pour passer inaperçu grâce à ses 15 millions d'habitants, que les trafiquants opèrent. Les clients, venus de Chine ou du Népal, visitent les petits ateliers pour choisir les peaux qu'ils signent au dos, une fois la vente conclue. Ce sont ensuite des femmes, appartenant à des tribus du nord de l'Inde réputées pour leur savoir-faire en matière de chasse au tigre, qui transportent les peaux et les carcasses. Grâce aux signatures, et aux renseignements récoltés par des informateurs, des réseaux ont pu être démantelés. Le 4 décembre, la police a annoncé l'arrestation de quinze trafiquants, dont Shabbir Hasan Qureshi, connu pour être à l'origine du quart du trafic de tigres en Inde.
La lutte contre le braconnage passe également par la mobilisation des communautés villageoises. Et la tâche est difficile, car les félins font de nombreuses victimes en raison de l'urbanisation rampante et de la construction illégale d'habitations dans les parcs naturels. "Avec seulement 2 % de la superficie du globe, l'Inde concentre 20 % des hommes et 40 % des tigres de la planète, ce qui pose un problème de cohabitation", constate Samir Sinha.
Depuis le début de l'année, quatorze villageois ont été tués par des léopards ou des tigres dans l'Etat de l'Uttarranchal. "Il est difficile, dans ces conditions, de défendre le tigre", admet M. Chandola, responsable de la protection animale dans cet Etat du nord de l'Inde.
Après l'attaque d'un tigre, des brigadiers sont immédiatement envoyés pour calmer la population. Les familles sont dédommagées à hauteur de 1 800 euros par adulte tué, 900 euros si c'est un enfant.
"Auparavant, le sentiment religieux imposait le respect vis-à-vis de la nature et des tigres. Aujourd'hui l'intolérance est croissante", constate M. Chandola, avant de conclure, un brin amer : "Il n'y a guère que la construction de barrières électriques autour des villages qui puisse préserver les tigres, en même temps que les populations."
Julien Bouissou
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CHIFFRES
MILLE CINQ CENTS TIGRES
subsistent en Inde, contre 40 000 il y a un siècle. 40 % des tigres du monde vivent en Inde.
L'habitat naturel des tigres en Asie s'est réduit de 93 %.
L'INDE COMPREND VINGT-TROIS RÉSERVES
de tigres réparties dans dix-sept Etats.
HUIT CENT CINQUANTE TIGRES
ont été tués par des braconniers depuis 1994, et 80 % des parcs nationaux ne sont pas équipés pour lutter contre le braconnage.
TROIS SOUS-ESPÈCES
ont déjà disparu : le tigre de Bali, le tigre de Java et le tigre de la Caspienne.