Un Venezuela (très) partiellement socialiste ?

Dans le monde...

Message par carnifex » 19 Août 2007, 20:45

a écrit :
La transformation des entreprises en coopératives, en particulier lorsque les travailleurs occupent les usines inutilisées, favorise « le but que nous avons toujours voulu atteindre : que les travailleurs contrôlent la production et les gouvernements, » selon la ministre du Travail Maria Cristina Iglesias.

Elles [les coopératives] sont dirigées par des travailleurs-propriétaires autochtones, et par conséquent le risque de fuite des capitaux inhérent aux entreprises capitalistes ne se pose pas. [...]
Non seulement elles [les coopératives] ne sont pas basées sur l'exploitation des travailleurs, mais elles produisent plus que les entreprises capitalistes puisque, pense-t-il, les travailleurs-gestionnaires ont tout intérêt à ce que leur entreprise soit efficace.


(Le secret de la Révolution Bolivarienne de Chávez : une expérimentation économique a écrit :



Par Betsy BOWMAN et Bob STONE

An economic experiment is the hidden story behind Chávez's Bolivarian Revolution

traduit par Catherine-Françoise KARAGUÉZIAN



Cet article est extrait du numéro de juillet-août 2006 de Dollars and Sense: The Magazine of Economic Justice

Zaida Rosas, la cinquantaine et grand-mère de 15 petits-enfants, travaille dans la nouvelle usine textile Venezuela Avanza de Caracas. Les 209 travailleurs de la coopérative sont pour la plupart d'anciennes chômeuses du quartier. La quasi-totalité de leurs maisons, situées sur les flancs escarpés des collines environnantes de l'ouest de Caracas, ont été construites de la main de leurs habitants.



Zaida travaille sept heures par jour, cinq jours par semaine, et gagne 117 dollars par mois, le même salaire que tous les travailleurs de l'usine se sont attribué lors d'un vote. Cette somme est bien inférieure au salaire minimum officiel de 188 dollars mensuels, parce qu'il faut « rembourser le prêt [du gouvernement], » explique-t-elle. Les membres de la coopérative Venezuela Avanza prennent les décisions concernant l'entreprise au cours d'assemblées générales mensuelles. Comme c'est le cas dans la plupart des coopératives, ce qu'ils touchent n'est pas un salaire, mais une avance sur les bénéfices. Zaida reconnait que des travailleurs qui se paient moins que le salaire minimum pour pouvoir rembourser l'État, c'est moche. « On espère que ça s'arrangera avec le temps, » dit-elle.



Afin de préparer les travailleurs des coopératives à l'auto-gestion, le nouveau ministère de l'Économie populaire (MINEP) leur a accordé de petites bourses afin qu'ils puissent acquérir une formation en gestion de coopératives, en production et en comptabilité. « Ma famille est beaucoup plus heureuse ; j'ai appris à écrire et j'ai mon certificat d'études », déclare-t-elle.



Zaida fait aussi partie d'un réseau plus étendu de coopératives : son usine a une soeur et toutes deux ont été construites par une coopérative locale de maçonnerie qui, avec une clinique, un supermarché coopératif, une école et une maison de quartier, forme ce qui est appelé un « noyau de développement endogène ». Ces noyaux sont au coeur du projet national de développement économique égalitaire.



Les médias des États-Unis ont tendance à se focaliser sur le pétrole vénézuélien et sur la joute verbale - non sans rapport avec le pétrole - qui oppose le président Hugo Chávez à la Maison Blanche. Chávez, ainsi, aime à appeler George W. Bush « Mister Danger », en référence au personnage d'un étranger mal dégrossi d'un classique de la littérature vénézuélienne. De manière moins subtile, le ministre américain de la défense Donald Rumsfeld a récemment comparé Chávez à Hitler. Bien que cela donne matière à des articles distrayants, les journalistes sont passés à côté d'un phénomène de première importance au Venezuela, l'existence de coopératives dont la croissance sans précédent a transfiguré l'horizon économique de centaines de milliers de Vénézuéliens comme Zaida Rosas. Lors d'un récent séjour à Caracas, nous nous sommes entretenus avec des membres de coopératives et avec d'autres personnes prenant part à cette nouvelle expérience qui consiste à ouvrir l'économie du Venezuéla par le bas.



Une explosion de coopératives

Le premier représentant du mouvement coopératif vénézuélien que nous avons rencontré est Luis Guacarán, chauffeur de taxi et membre d'une coopérative, qui nous a conduits dans la banlieue de Caracas. Pendant le trajet en voiture, par ce jour pluvieux, nous avons demandé à Luis quelle influence les changements mis en place par le gouvernement Chávez avaient eu sur sa vie personnelle. Luis nous répondit que désormais il pensait qu'en sa qualité de citoyen il avait droit à une part de cette richesse pétrolière vénézuélienne qui, traditionnellement, avait toujours profité à une « oligarchie ». Le peuple avait besoin de soins, d'éducation, et d'un travail valorisant ; ces besoins justifiaient pleinement que Chávez pioche dans les revenus pétroliers afin de les satisfaire. Deux des cinq fils de Luis sont dans l'armée, une de ses filles étudie l'ingénierie pétrolière, une autre a un cabinet d'esthéticienne. Tous ont suivi des études techniques ou professionnelles.



Pratiquement tous les gens que nous avons rencontrés au cours de notre séjour faisaient partie d'une coopérative. La constitution de 1999 fait obligation à l'état de « favoriser la création des coopératives et de leur apporter son soutien ». Cependant, ce n'est qu'après le vote de la Loi Spéciale sur les Associations Coopératives en 2001 qu'elles ont vraiment commencé à pulluler. Lors de l'élection de Chávez en 1998, il existait 762 coopératives, qui totalisaient environ 20.000 membres. En 2001, il y en avait presque un millier. Le nombre doubla en 2002, pour atteindre 8.000 en 2003. Au premier semestre 2006, la Surintendance Nationale des Coopératives ( SUNACOOP) faisait état de plus de 108.000 coops, représentant plus d'un million et demi de membres. En 2003, le MINEP s'est mis à proposer des formations gratuites en commerce et gestion, aidant les travailleurs à transformer en coopératives des entreprises classiques en difficulté et à faciliter l'obtention de prêts pour la création des nouvelles entreprises et le rachat des anciennes. Le mouvement qui en résulte est un élément clé de la « Révolution bolivarienne », nom que donne Chávez à ses efforts de remaniement des structures économiques et politiques du Venezuela.



Aujourd'hui, le MINEP s'efforce de ne pas se laisser dépasser par l'explosion à laquelle il a donné naissance. Alors que presque toutes les coops d'avant Chávez étaient des organismes de crédit, les coops « bolivariennes » sont bien plus diversifiées : la moitié s'occupe de prestation de services, le tiers de production, le restant étant composé de sociétés d'épargne, de logement etc. Les coopératives opèrent principalement dans quatre secteurs : 31 pourcent dans le commerce, la restauration et l'hôtellerie, 29 pourcent dans les transports, le stockage et les communications, 18 pourcent dans l'agriculture, la chasse et la pêche et 8,3 pourcent dans l'industrie. Le coopératisme va de l'avant au Venezuela à une échelle et une vitesse inouïes.



La plupart des coopératives sont de petite taille. Depuis janvier 2005, cependant, moment où le gouvernement a adopté une politique d'expropriations des usines à l'abandon, le MINEP s'est tenu à la disposition des travailleurs désireux de reprendre des usines de taille importante menacées de faillite. Si l'usine inutilisée est considérée comme « bien d'utilité publique », la procédure d'expropriation conduit souvent à négocier une somme compensatoire avec les propriétaires. À une occasion, les propriétaires d'une usine inutilisée de produits Heinz à base de tomate proposèrent au gouvernement de la lui vendre 600 000 dollars. Après que les salaires impayés, les taxes, et une hypothèque eurent été pris en considération, les deux parties se mirent d'accord pour que l'usine soit vendue 260 000 dollars aux travailleurs, qui bénéficièrent de prêts gouvernementaux à taux préférentiel. Dans un autre cas, plus représentatif de ce qui se passe habituellement, de négociations conflictuelles, les travailleurs qui avaient été mis à la porte d'une raffinerie de sucre de Cumanacoa l'occupèrent et la remirent en activité. Le gouvernement fédéral appliqua une procédure d'expropriation et remit l'usine aux coopératives de travailleurs. Les droits des propriétaires furent respectés dans le sens où le gouvernement prêta aux travailleurs la somme nécessaire au rachat, bien que le prix ait été considérablement inférieur à la somme réclamée. Après expropriation, ces usines sont souvent dirigées conjointement par un comité élu composé de travailleurs et par des représentants nommés par le gouvernement.



Les coopératives ont aussi des devoirs. « Nous n'avons pas exproprié Cumanacoa et Sideroca simplement pour que leurs travailleurs puissent s'en mettre plein les poches le moment venu, » a déclaré Chávez. « Ce n'est pas uniquement pour eux que nous l'avons fait, mais pour que tout le monde puisse devenir riche ». Examinons le cas de Cacao Sucre, une autre raffinerie de sucre que ses propriétaires privés avaient laissée fermée huit ans, laissant ses 120 travailleurs sans emploi dans une zone misérable. Le gouverneur de l'état appela les travailleurs à former une coopérative. Après avoir reçu une formation en autogestion, la coopérative de la raffinerie fusionna avec celle des producteurs de canne à sucre, qui comptait 3.665 membres. En juillet 2005, cette grande coopérative devint la première « Entreprise de Production Sociale ». Ce nouveau statut signifie que la coop doit réserver une partie de ses bénéfices pour financer les services de santé, d'éducation et de logement destinés à la population locale et également donner à cette dernière accès à sa cantine.



Étant donné que seulement 700 usines fermées ou en faillite sont sur la liste gouvernementale de candidats à l'expropriation, la transformation en coopératives d'importants moyens de production existants est limitée et jusqu'à présent, un peu lente. Les syndicats signalent les entreprises qui tournent au ralenti, mais beaucoup reste encore à accomplir.



Les coopératives sont au coeur du nouveau modèle économique du Venezuela. Elles ont la capacité de réaliser les buts de la révolution bolivarienne : lutter contre le chômage, instaurer un développement économique durable, faire paisiblement concurrence aux entreprises capitalistes conventionnelles et faire progresser le modèle socialiste, qui se précise au fur et à mesure, de Chávez.



C'est pas l'New Deal de grand-papa

Le capitalisme génère le chômage. Le néo-libéralisme a aggravé cette tendance au Venezuela, produisant une large catégorie d'individus négligés par le système, exclus des emplois valorisants et de la consommation. Lorsqu'ils ne sombraient pas totalement dans l'oubli, ils se voyaient accusés d'être la cause de leur propre malheur, on leur faisait sentir qu'ils étaient de trop. La révolution bolivarienne, en revanche, tient compte des exigences de reconnaissance du peuple. En mars 2004 Chávez annonça aux Vénézuéliens qu'ils étaient désormais chargés d'une nouvelle « mission » avec le plan Misión Vuelvan Caras, Mission Volte-Face. Agissant « entre eux et comptant sur leurs propres forces » pour créer des coopératives, les gens du peuple devaient « lutter contre le chômage et l'exclusion » en « changeant » réellement « les rapports de production ».



Au Venezuela, « vuelvan caras » évoque l'ordre qu'un général insurgé avait donné à ses soldats alors qu'ils étaient encerclés par les Espagnols pendant la Guerre d'Indépendance. Volte face ! Arrêtez de jouer le rôle du gibier, retournez-vous et attaquez l'ennemi de front. Le nouvel ennemi est le chômage, et le but du plein emploi doit être atteint par des groupes - en particulier constitués de chômeurs - qui font cause commune et se mettent à travailler de concert. Vuelvan caras (Volte Face) enseigne la gestion, la comptabilité et les valeurs du travail en coopérative à des centaines de milliers de boursiers. Les diplômés sont libres de chercher ensuite un travail traditionnel ou de créer une micro-entreprise à l'aide des prêts proposés ; néanmoins les coopératives sont prioritaires en ce qui concerne l'assistance technique, les crédits et les contrats. Cependant, l'impulsion de départ - l'esprit d'entreprise collectif nécessaire à la création d'une coopérative - doit venir des gens. Plus de 70 pourcent des diplômés de la promotion 2005 ont créé de nouvelles coopératives, 7.592 en tout.



La Mission Volte Face semble porter des fruits. Le chômage avait atteint un record de 18 pourcent en 2003 pour tomber à 14,5 pourcent en 2004 puis à 11,5 pourcent en 2005. Le MINEP a l'intention d'organiser un Vuelvan Caras II afin de toucher 700.000 chômeurs supplémentaires. Malgré tout, avec sa population de 26 millions, la lutte du Venezuela contre les causes structurelles de chômage ne fait que commencer.



Le développement économique endogène

Les coopératives contribuent également à rapprocher le Venezuela de l'objectif plus vaste de l'administration Chávez, le « développement endogène ». Les investissements étrangers directs continuent d'affluer au Venezuela, mais le gouvernement cherche à éviter la dépendance aux capitaux étrangers, qui rend un pays vulnérable au chantage habituel du capitalisme. Le développement endogène signifie « être capable de produire le grain que nous semons, la nourriture que nous mangeons, les vêtements que nous portons, les biens et services dont nous avons besoin, de manière à sortir de cet état de dépendance économique, culturelle et technologique qui a freiné notre développement, en commençant par nous-mêmes ». Les coopératives constituent l'outil idéal pour bâtir ce projet. Grâce aux coopératives, le développement reste ancré au territoire vénézuélien : elles sont dirigées par des travailleurs-propriétaires autochtones, et par conséquent le risque de fuite des capitaux inhérent aux entreprises capitalistes ne se pose pas. La Démocratie : Économique et Politique.



Parallèlement au mouvement coopératif, les Vénézuéliens sont en train d'élaborer une nouvelle forme de démocratie politique locale, qui passe par la création de Conseils Communaux. À l'instar du processus innovant de participation au budget mis au point au Brésil, ces Conseils sont issus des Comités du Territoire que Chávez avait créés afin de donner des titres d'occupation du sol aux nombreux squatters des barrios de Caracas. Si 100 à 200 familles s'organisent et lui soumettent un projet de développement local, le gouvernement leur accorde des titres d'occupation. Résultat : les gens obtiennent des logements, et la communauté se retrouve dotée d'une assemblée constituée d'habitants du cru.



Les conseils disposent de budgets et prennent des décisions concernant les questions locales. Ils délèguent des porte-paroles auprès du barrio et de la municipalité. Aujourd'hui, il n'existe que quelques milliers de Conseils Communaux, mais le gouvernement espère que d'ici quelques années tous les Vénézuéliens feront partie d'un conseil local. Parallèlement à la coopérativisation de l'économie, la création de ces Conseils communautaires pourrait favoriser la création d'une nouvelle politique décentralisée et démocratique.



Les Vénézuéliens ont pris conscience de la nécessité du développement endogène pendant la grève du pétrole de 2002, orchestrée par les opposants de Chávez. Les grands réseaux de distribution de produits alimentaires du pays, qui importe un fort pourcentage de ses denrées, avaient soutenu la grève, interrompant les livraisons, ce qui avait mis au jour une vulnérabilité criante. Le gouvernement a riposté par la mise en place de sa propre chaîne parallèle de supermarchés. En l'espace de tout juste trois ans, Mercal disposait de 14,000 points de vente, presque tous situés dans les quartiers pauvres, où l'on peut acheter des produits de base de 20 à 50 pourcent moins chers qu'ailleurs. C'est désormais la principale chaîne de supermarchés du pays et son entreprise n°2. Les supermarchés Mercal attirent des clients de tous horizons politiques grâce à leurs bas prix et à l'excellente qualité de leurs marchandises. Pour promouvoir la « souveraineté alimentaire », Mercal réalise plus de 40 pourcent de ses achats auprès de fournisseurs vénézuéliens, en privilégiant les coopératives lorsque c'est possible. Le Venezuela importe encore 64 pourcent des produits alimentaires qu'il consomme, cependant cette proportion était de 72 pourcent en 1998. En réduisant les importations, les frais de transport et les intermédiaires tout en se fournissant auprès des producteurs locaux, Mercal espère pouvoir renoncer, à terme, à l'aide gouvernementale, qui s'élève à 21 millions de dollars par mois.



L'expulsion des capitalistes et la construction du socialisme

Les architectes de la « Révolution Bolivarienne » ont une autre raison de vouloir voir s'imposer le modèle coopératiste : ils pensent que les coopératives sont plus à même de répondre aux besoins des gens que les entreprises capitalistes conventionnelles. Libérées du fardeau que constitue l'entretien de directeurs coûteux et d'investisseurs absentéistes que seul le profit intéresse, les coopératives ont, au plan financier, une capacité de surnager qui permet à l'innovation technique de réduire le temps de travail. « les coopératives sont les entreprises de l'avenir », affirme l'ancien ministre du Plan et du Développement Felipe Pérez-Martí. Non seulement elles ne sont pas basées sur l'exploitation des travailleurs, mais elles produisent plus que les entreprises capitalistes puisque, pense-t-il, les travailleurs-gestionnaires ont tout intérêt à ce que leur entreprise soit efficace. Une telle affirmation provoque des haussements d'épaules aux États-Unis, cependant de plus en plus d'études montrent qu'en effet, les coopératives ont la capacité de battre les entreprises conventionnelles en ce qui concerne la productivité et la rentabilité.



Afin de vérifier la capacité des coopératives à battre les entreprises capitalistes à leur propre jeu, il faut construire un secteur coopératiste ou solidaire viable parallèle au secteur capitaliste dominant déjà établi. Aujourd'hui, le Vénézuéla se prépare à tenter cette expérience. Plus de 5 pourcent des personnes actives travaillent désormais dans des coops, selon le MINEP. Bien que ce pourcentage soit bien supérieur à celui de la plupart des autres pays, il est encore trop faible pour permettre au secteur coopératiste d'essayer de surpasser le secteur capitaliste vénézuélien. Les partisans de Chávez espèrent qu'une fois le processus engagé, le coopératisme s'étendra en cercle vertueux : les travailleurs des entreprises conventionnelles, observant les coopératives, exigeront de pouvoir exercer un contrôle similaire sur leur propre travail. Elias Jaua, le premier titulaire du portefeuille de ministre de l'Économie Populaire, déclare : « Soit le secteur privé comprend le processus et s'intègre à la nouvelle dynamique sociale, soit il est voué à être simplement remplacé par les nouvelles forces productives qui produisent de la meilleure qualité, et qui sont basées davantage sur la solidarité que sur la consommation ». On pourrait argumenter que les crédits, les formations et la priorité en matière de contrats sont le MINEP fait bénéficier les coopératives fait pencher la balance en faveur de ces dernières. Cependant, les diplômés de Vuelvan Caras sont libres d'offrir leurs services au secteur capitaliste. En outre, lorsque le MINEP décide de favoriser les entreprises autogérées, le processus est un peu le même que celui qui fait qu'aux États-Unis, ce sont les entreprises appartenant aux investisseurs qui sont favorisées au niveau de la législation, des subventions et des impôts.



Enfin, en plaçant les moyens de production entre les mains des travailleurs, le mouvement coopératiste construit directement le socialisme. La transformation des entreprises en coopératives, en particulier lorsque les travailleurs occupent les usines inutilisées, favorise « le but que nous avons toujours voulu atteindre : que les travailleurs contrôlent la production et les gouvernements, » selon la ministre du Travail Maria Cristina Iglesias. Ainsi les coops ne sont pas simplement une étape sur le chemin de ce que Chávez nomme le socialisme du XXOIe siècle, elles en sont déjà des réalisations partielles.



Gestion des risques

La coopérativisation est essentielle à la réalisation des buts de la Révolution Bolivarienne. Cependant les dirigeants révolutionnaires reconnaissent qu'une longue et dure partie reste encore à jouer. L'économie du Vénézuéla est encore dominée par les entreprises capitalistes traditionnelles. En admettant que tous les programmes de transformation des entreprises en coopératives du Venezuela aboutissent, cette lutte - et elle sera difficile - conduira-t-elle au socialisme ? Michael Albert de Z Magazine veut bien reconnaître la supériorité des coopératives sur le plan de la productivité, et il est très en faveur de l'expérience vénézuélienne. Mais en l'absence d'un projet de retrait de l'économie de marché, il doute que l'on puisse arriver au socialisme. Étant donné qu'à son avis les « tentatives de surpasser les anciennes entreprises selon les règles du marché risquent d'enliser [les coopératives elles-mêmes] dans une bureaucratie entrepreneuriale et de leur donner une orientation plus compétitive que sociale », ce qui conduirait à un socialisme de marché « où continue d'exister une classe dominante dont le rôle est de diriger ou de coordonner le travail ». Les inquiétudes d'Albert sont bel et bien fondées : l'histoire des coopératives, des colonies Amana d'Iowa à la Corporation Coopérative de Mondragon au Pays Basque le montre : même lorsqu'elles commencent en tant que services communautaires, les coops individuelles et même les réseaux de coopératives ont tendance, de manière défensive, à retomber dans l'égoïsme capitaliste jusqu'à ce qu'il devienne impossible de les distinguer des autres, lorsqu'il leur faut concurrencer à elles seules tout un ensemble d'entreprises capitalistes dans une économie capitaliste.



De façon désarmante, les membres de l'administration Chávez reconnaissent l'existence de ces risques. Juan Carlos Loyo, vice-ministre de l'Économie populaire, soulignant que le service de la communauté est une des bases du mouvement coopératiste depuis ses débuts, exhorte à la patience. « Nous avons conscience que nous venons à peine d'émerger d'un mode de vie capitaliste profondément individualiste et égocentrique. » Marcela Maspero, coordinatrice nationale de l'UNT, la nouvelle fédération syndicale cháviste, reconnait la réalité d'un « risque de transformer nos camarades en capitalistes néo-libéraux ». Le Venezuela, cependant, est unique en ce que son gouvernement, qui dispose de ressources considérables, s'efforce de construire un secteur coopératiste viable, de plus son but socialiste est également un projet national populaire. Au Venezuela, la réussite de ce projet est donc plausible. On peut établir une comparaison avec Mai 68 : imaginons que le gouvernement de De Gaulle et le Parti communiste français aient tous deux prêté une oreille complaisante aux revendications du mouvement étudiant et travailleur réclamant l'autogestion.



Des risques, bien entendu, existent. Des « coopératives fantômes » ont la possibilité de s'inscrire, de toucher les primes à la création d'entreprise, puis de disparaître dans la nature. D'autre part, étant donné que les coopératives sont favorisées en ce qui concerne l'obtention de contrats avec l'État, il se produit pas mal de tricherie. « Certaines entreprises sont inscrites en tant que coopératives, » raconte Jaua, l'ancien chef du MINEP, « mais ont en réalité un patron qui touche plus que les autres, des salariés et une répartition inégalitaire du travail et des revenus. » Le SUNACOOP reconnaît que certains passent entre les mailles du filet. Plusieurs des nouvelles coopératives subissent également les conséquences d'une formation insuffisante en matière d'autogestion. Les autorités tentent de résoudre le problème en multipliant les inspections auprès des coopératives locales, en améliorant les services de formation et de soutien, et en transférant leurs compétences aux conseils locaux.



En dépit des obstacles, les nouvelles coopératives, avec le soutien du gouvernement, sont en train de construire un mouvement national décentralisé avec sa dynamique et ses institutions propres. En mai dernier, le CENCOOP ( Conseil Exécutif National des Coopératives) a été créé. Cet organisme est représentatif des 25 états du Venezuéla dont chacun délègue cinq représentants des coopératives, ces personnes étant élues par le Conseil Coopératif de leur état, conseil lui-même élu par les Conseils Municipaux composés de membres des coopératives locales. Le CENCOOP représentera le Venezuela à l'Alliance Coopérative Internationale, l'organisation mondiale qui regroupe les 700 millions de membres des centaines de milliers de coopératives de 95 pays.



Au début, le mouvement coopératiste pré-bolivarien s'est senti exclu et a critiqué la création hâtive de coopératives. Cependant, comme l'on a sollicité son avis à chaque stade de la création du CENCOOP, ses membres ont fini par se joindre au Conseil, faisant ainsi profiter le nouveau mouvement de leur précieuse expérience. Les nouveaux conseils de coopératives font partie d'un projet de décentralisation des activités du MINEP. Après avoir participé à l'organisation de CENCOOP, le directeur du MINEP Carlos Molina déclare que ses services adopteront une attitude de non-ingérence, afin que le mouvement coopératiste acquière de plus en plus d'autonomie. Cependant, aujourd'hui, un pourcentage important des nouvelles coopératives restent dépendantes de l'aide du MINEP.



Les opposants au mouvement

Le mouvement coopératiste, quelles que soient les victoires qu'il remporte, comporte des risques spécifiques, à la fois endogènes et exogènes. Jusqu'à présent, le gouvernement Chávez a versé des compensations aux capitalistes lors des expropriations et n'a tenté de transformer en coopératives que les entreprises en difficulté. Mais à un certain stade, il se pourrait que les travailleurs d'entreprises prospères, constatant que leurs homologues des coops jouissent d'un nouveau pouvoir dans l'entreprise et d'une répartition plus égalitaire des revenus, désirent aussi transformer leurs entreprises en coopératives. Étant donné que pendant des années, on leur a pris, sous forme de bénéfices, une importante partie de la valeur créée par leur travail - souvent, des sommes suffisantes pour couvrir plusieurs fois la valeur de leur entreprise sur le marché -, n'auront-ils pas des raisons pour demander sa conversion sans compensation ? En résumé, si elle veut étendre et renforcer la solidarité révolutionnaire avant l'implantation de nouvelles tendances contre-révolutionnaires, la révolution bolivarienne ne devra-t-elle pas entamer une réelle redistribution des biens de production, et transformer les entreprises en coopératives directement aux frais des capitalistes vénézuéliens ? Tôt au tard, l'expérience coopérative du Venezuela se retrouvera confrontée à cette question.



Après avoir participé au Forum Social Mondial de Caracas en janvier dernier, nous avons eu quelques aperçus de la révolution bolivarienne en train de progresser à toute vitesse, et nous la suivons depuis lors. Nous avons la conviction que, pour tous les gens qui, dans le monde entier, pensent qu' « un autre monde est possible, » les enjeux de cette expérience sont énormes. De ce fait, fatalement, elle se trouve confrontée à des menaces extérieures. Le coup d'état éphémère d'avril 2002 et la grève délétère organisée par l'industrie pétrolière en décembre de la même année étaient le fait de privilégiés, en colère d'avoir été éjectés, et soutenus en tout par les États-Unis. Et ce n'est pas fini : des groupes proches du Département d'État des États-Unis donnent 5 millions de dollars par an aux organisations d'opposition qui étaient derrière le coup d'état. Ce qui n'empêche pas la démocratisation des lieux de travail de se poursuivre sans relâche, intégrant chaque jour davantage de Vénézuéliens au processus révolutionnaire. Cette inclusion est en elle-même un moyen de défense en tant qu'elle accroît, unit, et renforce la résistance que les Vénézuéliens opposeraient à quiconque tenterait de mettre un terme à leur révolution ou la détourner de ses buts.



Betsy Bowman et Bob Stone sont membres du collectif de rédaction de GEO. Ils font partie des co-fondateurs du Centre Bilingue pour la Justice Globale de San Miguel de Allende au Mexique, où ils sont chargés de recherche ; ils ont co-signé de nombreux articles sur Jena-Paul Sartre. Ils remercient Steve Ellner pour ses commentaires et vous invitent à dialoguer avec eux sur le site http://www.globaljusticecenter.org. : Les auteurs ont utilisé de nombreux et précieux articles de http://www.Venezuelanalysis.com, dont : C. Harnecker, "The New Cooperative Movement in Venezuela's Bolivarian Process" (from Monthly Review Zine) 5/05; S. Wagner, "Vuelvan Caras: Venezuela's Mission for Building Socialism of the 21st Century," 7/05; "Poverty and Unemployment Down Significantly in 2005," 10/05; F. Perez-Marti, "The Venezuelan Model of Development: The Path of Solidarity," 6/04; "Venezuela: Expropriations, cooperatives and co-management," Green Left Weekly, 10/05; M. Albert, "Venezuela's Path," Z-Net, 11/05; O. Sunkel, Development from Within: Toward a Neostructuralist Approach for Latin America (L. Rienner Publ., 1993); H. Thomas, "Performance of the Mondragón Cooperatives in Spain," in Participatory and Self-Managed Firms, eds. D. C. Jones and J. Svejnar (Lexington Books, 1982); D. Levine and L. D'A. Tyson, "Participation, Productivity and the Firm's Environment," in Paying for Productivity: A Look at the Evidence, ed. A. Blinder (Brookings Inst., 1990); D. Schweickart, After Capitalism (Rowman & Littlefield, 2002); M. Lebowitz, "Constructing Co-management in Venezuela: Contradictions along the Path," Monthly Review Zine 10/05; Z. Centeno, "Cooperativas: una vision para impulsar el Desarrollo Endogeno," à http://www.mci.gob.ve/.

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