("LE MONDE % 03.09.07 % 13h48" a écrit :
Le Venezuela en voie de militarisation,
par Paulo A. Paranagua
Fragilisé par l'affaire Radio Caracas Television (RCTV), la chaîne d'opposition écartée des ondes hertziennes, et par des scandales de corruption, le président vénézuélien, le lieutenant-colonel Hugo Chavez, tente de rebondir. Sur la scène internationale, il redore son blason en jouant les médiateurs dans un dossier sensible, celui des otages des FARCcolombiennes. Sur la scène nationale, il impose tambour battant une réforme constitutionnelle qui aggraverait la militarisation du Venezuela. Présenté le 15 août, le texte a déjà été approuvé, en première lecture, par le Parlement.
Comment se fait-il que la Constitution actuelle, inspirée par M. Chavez lui-même, adoptée en 1999 et présentée comme "la meilleure du monde", ait besoin d'une modification profonde ? Aussi bien l'opposition vénézuélienne que la presse internationale ont concentré leurs critiques sur le fait que M. Chavez souhaite désormais que la fonction de président de la République échappe à toute limitation du nombre de mandats.
Le 26 août, le chef de l'Etat a raillé le "cynisme" de l'Europe, où cette possibilité existe dans plusieurs pays - dont la France, où, à ce jour, le nombre de mandats n'est pas limité -, sans parler des monarchies constitutionnelles, dans lesquelles toutefois les souverains disposent de pouvoirs limités.
La réforme proposée supprime l'autonomie de la banque centrale et conforte les nationalisations de secteurs tels que le pétrole, l'électricité et les télécommunications. Le projet inclut un volet social, avec la réduction de la journée de travail à 6 heures, et la semaine de 36 heures (34 heures pour le travail de nuit), une matière qui ne relève pas d'une réforme constitutionnelle.
Mais les dispositions les plus inquiétantes du texte concernent les attributions élargies du président de la République, les modifications apportées à l'architecture institutionnelle et la place envahissante prise par les militaires. Les nouvelles "forces armées bolivariennes" - un "corps essentiellement patriotique, populaire et anti-impérialiste" - sont renforcées par une "milice populaire" placée sous l'autorité directe du chef de l'Etat. Les réservistes s'intégreront aux milices. Les militaires pourront effectuer des missions dévolues normalement à la police. "Le président de la République pourra décréter des régions spéciales militaires à des fins stratégiques ou défensives dans toute portion du territoire", précise le projet.
Le chef de l'Etat pourra créer ou gérer des provinces, territoires ou villes mis sous tutelle fédérale. La concentration des pouvoirs remet ainsi en cause les progrès de la décentralisation. M. Chavez refuse d'ailleurs aux gouverneurs et aux maires la réélection illimitée qu'il s'octroie lui-même. Le "pouvoir populaire", formé par des conseils communaux, sera inscrit dans la Constitution à côté des pouvoirs déjà existants, l'exécutif, le législatif, le judiciaire et l'électoral.
La "doctrine militaire bolivarienne", basée sur les principes de la "guerre populaire de résistance" et la "participation permanente à des tâches de maintien de la sécurité citoyenne et de maintien de l'ordre interne", figurera désormais dans la Constitution. Cette nouvelle doctrine militaire, mise au point par des idéologues tels que le général Alberto Müller Rojas, ancien chef de l'état-major présidentiel, repose sur l'hypothèse d'une invasion étrangère. L'ennemi est désigné, puisque M. Chavez ne cesse de dénoncer l'imminence d'une intervention militaire des Etats-Unis. Face à cette éventualité, la doctrine prône la "guerre asymétrique", ou guerre de guérilla. La confrontation ne respecterait pas les frontières existantes et entraînerait dans le conflit des forces basées dans d'autres pays de la région. D'ores et déjà, la frontière avec la Colombie est une passoire.
La doctrine militaire "chaviste" est en partie à usage interne, car elle permet à la fois de diaboliser les opposants, assimilés à une "cinquième colonne", et d'embrigader ses propres partisans, imposant une discipline et une forme de commandement typiquement militaires. Alors que les militaires latino-américains abandonnent la "doctrine de sécurité nationale" qui a servi à justifier les dictatures des années 1960 et 1970, au profit d'une stratégie de défense face aux défis de l'après-guerre froide et de participation aux missions de paix, voilà que leurs homologues vénézuéliens prennent le contre-pied de cette tendance. L'adoption du mot d'ordre d'origine cubaine "La patrie, le socialisme ou la mort", en guise de salut militaire, illustre la politisation des forces armées "bolivariennes".
L'ÉQUILIBRE RÉGIONAL EN QUESTION
Outre la dérive autoritaire au Venezuela, le discours belliqueux de M. Chavez n'est guère rassurant pour ses voisins d'Amérique du Sud, d'autant qu'il s'accompagne d'un important programme de réarmement financé par les revenus du pétrole. On pourrait s'interroger sur la pertinence pour une guerre de guérilla des 24 avions Soukhoï Su-30MK achetés et des cinq sous-marins commandés à la Russie, sans oublier l'achat de 55 hélicoptères MI 26 T, MI-17V5 et MI 35M, de 100 000 fusils d'assaut kalachnikov AK 103-104 et de 5 000 fusils SVD (Snaiperskaya Vintovka Dragunova) destinés à armer des snipers. L'équipement dont disposeront les militaires vénézuéliens modifie l'équilibre régional et suscitera une réaction de leurs homologues sud-américains.
Alors que la plupart des forces armées de la région sont dans un état de sous-équipement notoire, à l'exception de la Colombie et du Chili, il serait sans doute prématuré de parler d'une course aux armements en Amérique latine. Pour les états-majors, les intentions ne comptent pas, seul entre en ligne de compte le potentiel des armes alignées par l'autre camp. Avec leur portée de 3 000 kilomètres, les Soukhoï ne menacent pas uniquement Miami, Bogotá, le canal de Panama ou Manaus, mais aussi, avec un ravitaillement en vol, Brasília et Mexico. Alliée des Etats-Unis, la Colombie est concernée au premier chef, même si Bogotá et Caracas entretiennent des relations cordiales qui favorisent des échanges fructueux. Les deux voisins s'accordent d'ailleurs à oublier leur vieux litige frontalier à propos du golfe du Venezuela.
Souci supplémentaire : les arsenaux de Caracas pourraient alimenter des trafics d'armes. Les kalachnikovs achetées dépassent les effectifs de l'armée de terre, et les dragunovs à vision nocturne, précis à 800 mètres de distance, supposent une qualification dont les militaires vénézuéliens sont dépourvus. Un expert vénézuélien, Orlando Ochoa Teran, se demande si M. Chavez ne songerait pas à recourir à l'Iran qui fabrique une variante de ce dragunov pour la formation de ses snipers.
Paulo A. Paranagua
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