La Question Humaine, film de Nicolas Klotz

Message par Matrok » 13 Sep 2007, 08:42

Est-ce que quelqu'un a vu ce film, ou lu le roman de François Emmanuel dont il est tiré ? Je n'en aurais pas l'occasion vu qu'il ne va certainement pas sortir de mon côté de la Manche, mais la critique qu'en fait Télérama m'interpelle... Voici le dernier paragraphe de la critique "contre" signée Pierre Murat :

a écrit :Soyons clairs et précis : qu’un psychologue en ressources humaines soit, peu à peu, bouleversé à l’idée d’avoir mis à la rue mille salariés d’un complexe pétrochimique qui l’a grassement payé pour le dégraisser, bravo ! Mais qu’un scénario extravagant l’incite fortement à se considérer complice de monstres qui, il y a un demi-siècle, parquaient leurs victimes dans des wagons à bestiaux pour mieux les gazer, est irrecevable. Irresponsable. Car enfin, aussi charitable soit-il, cet amalgame banalise l’horreur à l’état pur : celle de la Shoah. Dans une moindre mesure, il accentue la confusion philosophique et morale de notre époque qui manie, gaillardement mais n’importe comment, l’indignation en confondant, de plus en plus, le remords et le repentir, la compassion et le compassionnel. Bref, il est des horreurs à ne comparer jamais. Et des générosités qui se révèlent, parfois, aussi maladroites qu’ont pu l’être, jadis, le silence et l’oubli.


J'ai l'impression que ce journaliste veut ne surtout pas faire face à une réalité flagrante : c'est que l'"horreur absolue" du nazisme, celle qu'il ne faudrait pas "banaliser", a bien eu lieu sinon à la demande, du moins avec le concours et aux profits de quelques industriels allemands dont certains gros groupes encore existants (IG Farben notamment, auquel le film fait presque directement référence puisque l'entreprise fictive du film s'appelle "SC Farb"), et réalisée techniquement par des méthodes industrielles "modernes". Est-ce donc un scénario tellement "extravagant", ou alors le journaliste a juste eu une réaction de vierge effarouché ?
Matrok
 
Message(s) : 177
Inscription : 12 Mars 2003, 21:43

Message par Louis » 13 Sep 2007, 08:52

C'est une réaction assez courante a ce film. Mais comme à Télérama, ce n'est pas d'ex catho pour rien, ce genre de film "polémique" est traité avec "un pou/un contre"

voila la réaction "pour", qui m'a donné l'envie d'allez voir le film

a écrit :La voix est métallique, le phrasé précis. Simon détaille ses fonctions. Il est psychologue, spécialisé dans cette matière première qu’on appelle les « ressources humaines ». Un technicien zélé, au service d’une grande entreprise franco-allemande, un rouage efficace dans la machine à contrôler, galvaniser, voire dégraisser les troupes. Manipulation, mode d’emploi. Tandis qu’il explique, de jeunes cadres hantent l’image, silhouettes noires et blêmes dans un décor d’une blancheur clinique, tels des corbeaux dans un laboratoire.
Dès cette première scène, l’intention de Nicolas Klotz et de sa complice, la scénariste Elisabeth Perceval, apparaît clairement. Il s’agit, en adaptant assez fidèlement le récit de François Emmanuel (1), de dénoncer la broyeuse libérale, comme il avait été question de la condition des SDF dans Parias, et du sort réservé aux sans-papiers dans La Blessure, les deux premiers volets d’un triptyque sur la société contemporaine, fictions nourries d’enquêtes documentaires. Mais si ce film singulier est ouvertement politique, il creuse son sujet bien au-delà du pamphlet.

Simon, donc, excelle à repérer les maillons faibles de la chaîne de production, et à faciliter leur élimination. On lui confie une mission « délicate » : enquêter sur l’un des dirigeants, Mathias Jüst, dont le comportement dépressif devient préoccupant. C’est le début, pour le psychologue, d’une déchirante découverte de ses responsabilités, et, partant, de sa propre humanité. Car Mathias Jüst, comme Karl Rose, le directeur qui a commandé l’enquête, est, à proprement parler, un enfant du nazisme. C’est la pierre angulaire du film, le pivot d’une réflexion complexe sur les rapports entre le contexte socio-économique d’aujourd’hui et les aspects les plus sombres de l’histoire occidentale. En effet, au cours de son investigation, Simon reçoit d’un mystérieux correspondant une note de 1942 qui décrit avec une froide précision comment améliorer le rendement de l’extermination. Des mots vidés de leur effroyable substance, pour permettre l’obéissance et l’efficacité. Des mots qui font un troublant écho au langage « managérial » d’aujourd’hui, et au travail quotidien de Simon.

Il ne s’agit pourtant pas ici de confondre le libéralisme avec l’horreur nationale-socialiste, mais bien de donner à voir et à penser la manière glaçante dont l’idéologie d’aujourd’hui s’inscrit dans une continuité historique, et ce que nos sociétés portent en elles de violence organisée et anonyme.

Etude du langage en tant que puissante arme idéologique et siège suprême du pouvoir, dans lequel l’homme n’est plus qu’une « unité », une « pièce », le film est le fascinant portrait d’un milieu. Mathieu Amal­ric, regard insondable, endosse avec intensité les tourments de ce cadre au départ si semblable aux autres, rivaux implacables partagés entre conformisme étroit et animalité viscérale. Michael Lonsdale et Jean-Pierre Kalfon, eux, incarnent les grands patrons avec une opacité jubilatoire.

Dans ce puzzle intrigant, thriller politique et psychologique fait de longues séquences tout en clairs-obscurs, chaque gros plan sur un corps, sur les éclats tranchants d’une « rave » ou la grisaille ouatée d’un bureau suggère un glissement du réel, à la limite de l’étrange. Une formidable expérience.
Louis
 
Message(s) : 0
Inscription : 15 Oct 2002, 09:33

Message par clavez » 15 Sep 2007, 13:33

Le film est sciant, d'autant plus qu'il ne se passe rien. Ou pas grand chose. On nous montre effectivement qu'il y a continuité des politiques de gestion du personnel depuis que le capitalisme existe, et, accessoirement, que le racisme et le génocide sont aussi des politiques sociales.
De ce point de vue on n'est pas loin des considérations des bienvillantes.
Mais j'ai été surtout frapé par la (ré)émergeance du vieu thème qui veut qu'au fond de chaque tirroir, dans les arcanes de toutes les sociétés, en allemagne, sommeil un nazi, de la mêm façon que chaque français de 70 ans est potentiellement un tortionnaire d'algeriens.
clavez
 
Message(s) : 12
Inscription : 21 Déc 2002, 23:26


Retour vers Livres, films, musique, télévision, peinture, théâtre...

Qui est en ligne ?

Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 2 invité(s)