La fin du CNRS

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par Louis » 12 Oct 2007, 18:51

Ou on reparle du démentellement du CNRS, depuis longtemps préconisé par les gouvernements de droite successifs (et repoussés aprés mobilisation des chercheurs)

petite revue de presse :

un article de libé

a écrit :Le CNRS soudé contre le gouvernement
Le plan stratégique de l’organisme reporté sine die par le gouvernementLes chercheurs dénoncent un possible changement de statut.
Par Sylvestre Huet
QUOTIDIEN : vendredi 12 octobre 2007

Un nouveau bras de fer s’annonce entre le gouvernement et les scientifiques. Mercredi, à peine couronné du Nobel de physique, Albert Fert poussait un coup de gueule dans Libération : «J’ai envie de dire à notre ministre, Valérie Pécresse, d’éviter une approche idéologique, qu’il faut absolument garder la capacité de coordination, d’élaboration d’une stratégie nationale du CNRS, capacité dont l’Agence nationale de la recherche n’est pas dotée.»
La raison de cette sortie surprenante est aujourd’hui connue. Lorsqu’il reçoit le coup de fil, Albert Fert participe à la réunion du conseil scientifique du CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Ordre du jour : avis sur le plan stratégique dont l’adoption est prévue au conseil d’administration du 18 octobre. Surprise : le directeur général du CNRS, Arnold Migus, explique aux participants que leur vote n’est plus requis. Tollé, demandes d’explications. Petit à petit, il avoue : le gouvernement a donné l’ordre de surseoir à tout vote sur le plan en attendant qu’il ait «précisé ses orientations ». Lesquelles ? On parle déjà de transformer le CNRS en simple agence, distribuant des crédits, privée de politique scientifique propre.
«Nos collègues étrangers en sont restés sur le cul.» Ce propos d’un membre éminent du conseil scientifique décrit l’ambiance provoquée par ce coup de théâtre. Ses membres adoptent illico une série de «recommandations» à la ministre, plutôt rudes. Ils y rappellent que le CNRS joue un rôle indispensable dans la structuration de la recherche. «Il va y avoir une hostilité totale des scientifiques, de droite ou de gauche, au projet gouvernemental, qui nie la nécessaire autonomie du scientifique par rapport au politique, estime le sociologue Dominique Wolton, signataire de ce texte. Le gouvernement doit comprendre qu’il fait une erreur en cédant à la tentation technocratique.»
Cette vive réaction du conseil scientifique sonne-t-elle le début d’une mobilisation ? Déjà, le président du Comité national du CNRS, Yves Langevin, vient d’envoyer à ses 1 000 membres un courrier les alertant des projets gouvernementaux. Pour lui, «le loup est sorti du bois, il faut en informer les collègues

Louis
 
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Message par Louis » 12 Oct 2007, 18:54

un article sur Agoravox

a écrit :Qui veut la peau du CNRS ?

Premier organisme de recherche français par le nombre de chercheurs et d’ingénieurs et techniciens, le CNRS est de nouveau aujourd’hui la cible de très nombreuses attaques. Celles-ci ne visent plus seulement à le déstabiliser, mais tout simplement à le faire disparaître du paysage de la recherche. Analyse des causes, conséquences et dissensions qui risquent de conduire à l’affaiblissement durable du système de recherche scientifique en France.

Le président de la République l’avait annoncé : la remise en cause du dispositif de recherche français est en route [1]. Elle avancerait même à grande vitesse, dans l’ambiance feutrée de bureaux ministériels. Au centre du projet, la remise en valeur des universités, et leur promotion ultra rapide au niveau du nec plus ultra de la recherche en France. Si l’on peut qu’apprécier de voir les universités jouer un plus grand rôle dans le dispositif de recherche, la disparition du CNRS et de l’Inserm pourrait conduire à l’effet inverse des buts affichés, à savoir l’affaiblissement de la recherche en France.

Le CNRS, opérateur de recherche majeur

Avant d’analyser les causes qui ont conduit à cette situation, rappelons simplement que la recherche en France était portée jusqu’à présent par les universités et par les organismes de recherche, tel l’Inserm, l’Inra ou le CNRS, chaque institut ayant des missions différentes [2]. Le CNRS, avec plus de 25 000 membres, dont plus de 11 000 chercheurs, reste le premier organisme français de recherche, et l’un des tout premiers organismes européens. Ce rang ne reflète pas seulement le nombre de ses membres, mais également la qualité du travail qui y est fait.

Une des premières missions du CNRS est de produire des connaissances et de les diffuser. Il le fait au travers d’articles dans des revues scientifiques, appelés publications. Une étude bibliographique assez récente montrait que le CNRS publiait à lui seul presque 70 % des articles français dans les domaines fondamentaux que sont la physique, la chimie, la biologie, les sciences pour l’ingénieur, les sciences de l’univers. Le CNRS publie en physique autant que l’ensemble des chercheurs britanniques réunis, et 15 % de l’ensemble des publications européennes en chimie sont le fait de laboratoires CNRS, proportions qui s’établit juste au-dessus de 10 %, toutes disciplines confondue [3]. L’impact moyen des publications, un facteur lié à la qualité de la revue que l’on estime refléter l’intérêt scientifique de la publication du CNRS (en d’autres termes un article dans Le Figaro vaut plus qu’un article dans un magazine « people ») est supérieur à l’impact moyen européen dans les domaines de la biologie, fondamentale et appliquée, et de l’écologie. Il est comparable à celui de nos compétiteurs britanniques et allemands dans le domaine des sciences pour l’ingénieur, ou de la chimie [3].

Que reproche-t-on au CNRS

Les reproches objectifs que l’on peut faire au CNRS sont multiples. L’organisme souffre sans aucun doute du poids de son administration, sorte de « lobby d’intouchables », constitué le plus souvent de non-scientifiques qui pensent pour une part non négligeable que tout irait mieux dans cet organisme sans les chercheurs ! Il souffre aussi de son organisation des thématiques, groupées pour l’examen de l’activité des laboratoires et chercheurs au sein de sections. Cette organisation, extrêmement rigide, conduit à favoriser le développement d’axes de recherches bien identifiés, au détriment de recherches interdisciplinaires prometteuses, mais aux contours plus flous. On peut aussi reprocher une certaine passivité du CNRS vis-à-vis des profiteurs du système, les chercheurs qui ne publient pas ou qui bénéficient de placards dorés. Ceux qui connaissent bien cet organisme savent que la proportion de ces individus est très faible (autour de 0,5 % des chercheurs environ) surtout dans un environnement où il n’existe aucune « carotte ». Enfin dernier reproche, la taille de l’organisme le rend ingouvernable. Cet argument, qui ressemble à un propos d’après boire (Renault, Peugeot, tous les grands groupes industriels seraient alors aussi ingouvernables !) n’est pas récent. Georges Pompidou l’avait déjà évoqué dans les années 70 : «  [le CNRS] est un énorme organisme ingouvernable, une juxtaposition de coteries  ».

Alors quels sont les « véritables » reproches faits à cet organisme, ceux qui pèseront lors de la décision. Ceux-ci sont multiples et s’inscrivent dans le courant de pensée dit libéral. Certains d’entre eux sont aussi très anciens. Citons le même Georges Pompidou, qui disait du CNRS qu’il est « ... un rassemblement de chercheurs fonctionnarisés installés dans leur fromage jusqu’à la retraite, sans autre souci que de s’adonner à leurs marottes, qu’elles débouchent ou non sur des découvertes... Ces gens-là dépensent de l’argent public sans aucun scrupule ». Les connaisseurs du système admettront que ce n’est pas la façon dont le CNRS fonctionne ni celle dont ses personnels sont évalués à tous les niveaux, et dans presque toutes les phases de leurs activités [2]. Ils sauront aussi que ces attaques ciblent parfois toute la recherche française, et qu’elles sont incessantes, relayées régulièrement dans des journaux comme La Recherche [4], Le Monde [5], Capital [6], ou Les Echos [7] avec des chiffres souvent erronés et des présentations trompeuses.

Derrière la charge, on distingue cependant un deuxième argument : une bonne partie des recherches faites par le CNRS n’est pas finalisée, entendez par là qu’elles ne rapportent rien en termes financier. Parmi ces recherches souvent qualifiées d’« improductives », on trouvera une part non négligeable des travaux des sciences humaines et sociales, ou de certains branches des sciences biologiques ou physiques, telles la sociologie, la paléontologie, l’anthropologie, l’ethnologie, l’exobiologie, etc. C’est oublier que le nombre totaux des brevets CNRS a été multiplié par 3 en 10 ans (période 1992/2002) et que l’Inpi (Institut national de la protection industrielle) a classé en 2004 le CNRS en 6e position des « entreprises » déposant les plus de brevets [8], devant le CEA et l’IFP, alors même que le dépôt de brevet n’est pas une mission première du CNRS !

Semble aussi remis en cause le fonctionnement collégial et partiellement « autogéré » du CNRS, avec des systèmes d’évaluation internes (les premiers à avoir fonctionné dans des organismes de recherches), à la fois paritaire et ouvert sur le monde extérieur, incluant des représentant du personnel, des universitaires, des membres d’autres instituts de recherches, bref nombre de personnalités extérieures au CNRS.

Enfin dernier point, incontournable, le bilan financier. Comme tout organisme de recherche, le CNRS est un centre de dépense. On constate que des doublons existent avec d’autres organismes (Inserm, universités, IRA, IRD) et qu’il est donc simple de faire des économies d’échelle en supprimant tous ces doublons. On peut donc en toute légitimité (financière) fusionner les sciences du vivant du CNRS avec l’Inserm et l’Inra, les sciences physiques avec le CEA, etc. Il suffit d’oublier que les logiques et les rôles des organismes divergent.

Qui sont les acteurs, qui sont les commanditaires ?

Depuis des années, des politiques conservateurs appellent à la disparition du CNRS que certains considèrent toujours comme un repère de dangereux gauchistes. Parmi ces personnalités, on trouve au premier rang Nicolas Sarkozy. Un fin connaisseur de la situation, le biologiste A. Trautmann, fondateur de « sauvons la recherche » expliquait voilà peu : «  [Nicolas Sarkozy] ne supporte pas que les chercheurs aient une trop grande indépendance de pensée et d’organisation. Une structure comme le CNRS y était favorable, il a donc décidé de la casser. La suppression du CNRS est dans les cartons de Nicolas Sarkozy. Il l’a annoncé ».

On trouve derrière le président ses collaborateurs, F. Fillion et V. Pecresse chargés d’organiser l’opération. Comment s’y prennent-ils ? En ôtant au CNRS ses moyens de fonctionner. Ainsi, l’évaluation des chercheurs et unités du CNRS a-t-elle été retirée au CNRS et transférés à une « agence », l’AERES, dans une opacité certaine. La composition de l’agence regroupe uniquement des « nommés ». Les chercheurs du CNRS s’en sont émus, et on relevé dans un communiqué «  qu’au mépris des principes [de transparence et de représentativité], la loi de programme [met] en place une agence d’évaluation dirigiste, entièrement constituée de nommés. Ses avis et notations concernant les unités de recherche seront d’autant moins légitimes que le dispositif ne tient aucun compte de la diversité de la communauté scientifique  ». En vain ! Deuxième façon de déposséder le CNRS de ses moyens, lui ôter des crédits. Elle interdit au CNRS d’agir de façon incitative en accord avec sa prospective scientifique, incapacité qui justifie que le ministère de la Recherche se substitue à l’organisme. Cette stratégie est une stratégie de longue haleine. Dès 2004, Pierre Tambourin (directeur de Genopole, membre du conseil supérieur de la recherche et de la technologie) avait publié une tribune intitulé "La mort lente et programmée du CNRS" dans laquelle il affirmait [9] «  Depuis près de quinze ans, maintenant, constatant que le CNRS et l’Inserm n’étaient plus en mesure de lancer de nouvelles politiques ambitieuses (et pour cause ! ) Le ministère de la Recherche s’est progressivement transformé en véritable agence de programmes. C’est ainsi que sont nés et se sont développés, au nom de l’intérêt général et au cours du temps [des systèmes de financement de la recherche] qui finissent par arriver, bien entendu, dans les laboratoires ou les entreprises, mais très tardivement et sur des actions parfois discutables sur le fond comme dans la forme. »

Face à ces efforts, et à cette disparition programmée, on ne peut que s’étonner de l’assourdissant silence de la direction actuelle du CNRS. La présidente, Catherine Bréchignac et le directeur général Arnold Migus, n’ont jamais répondu aux attaques dont le CNRS a été victime, laissant ce soin à quelques directeurs scientifiques courageux [7]. Ils ont également accepté la création de l’AERES. Pire, ils ont parfois alimenté la polémique. Ainsi Catherine Bréchignac déclarait elle en 2006 «  Dans les sciences de la vie, je suis bien décidée à faire des choix. (...) Si on continue à faire croître le budget des sciences de la vie (...) tout le budget du CNRS ira à cette discipline (...) et ce serait une grave erreur. Avec tout l’argent que nous avons injecté dans les sciences de la vie, je trouve que le rapport qualité/prix n’est pas terrible  ». Tout faux au vu des résultats des biologistes du CNRS, en rien honteux (voir plus haut). Réaction rapide de SLR : «  La dénonciation publique d’une discipline scientifique - la biologie - par un responsable d’organisme qui a pour charge de la développer, est peu acceptable. Elle l’est d’autant moins qu’elle se fonderait sur une évaluation des valeurs relatives des différents champs disciplinaires, qui ne répond pas aux critères normaux d’une évaluation (transparente, collégiale, contradictoire) ». Mais le mal était fait.

Et aujourd’hui ?

Le CNRS subit donc les pires attaques de son existence, en dépit de ses résultats plus qu’honorables. Ainsi, la dernière réunion du conseil scientifique du CNRS, marquée par l’annonce du prix Nobel de physique à l’un de ses membres, le physicien Albert Fert, a vu le représentant du ministère de la Recherche demander au CNRS de différer la remise de son projet stratégique, un document que le ministère réclame aux organismes de recherche d’ailleurs ! Jacques Fossey, membre du conseil d’administration du CNRS et membre du syndicat SNCS affirme : « Par une lettre de la Direction générale de la recherche et de l’innovation (DGRI) au directeur général du CNRS, le ministère de la Recherche vient de faire savoir que le schéma stratégique du CNRS n’est plus d’actualité, [...] La mise à sac du CNRS continue. Après lui avoir enlevé ses moyens propres d’intervention en créant l’ANR (Agence nationale de la recherche), l’évaluation des laboratoires par la création de l’AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et la gestion des UMR, le gouvernement veut l’empêcher maintenant de définir sa propre politique scientifique et placer son personnel sous l’autorité administrative des présidents d’université » [10]. Du jamais vu jusqu’a présent !

Autre groupe de pression pas fâché de l’affaiblissement du CNRS : certains présidents d’universités qui ont appelé pendant des années au rattachement du CNRS à leurs organismes avec l’idée qu’on pourrait habiller Paul en déshabillant Pierre. Tous ces présidents ne sont pas sur la même longueur d’onde heureusement. Les plus intelligents ont compris qu’un tel afflux de chercheurs serait pour le moment catastrophique pour l’université. Un d’entre eux avoue en privé qu’il ne « souhaite pas le rattachement des personnels CNRS à l’université » car dit il «  cela poserait des problèmes de gestion » qu’il ne pourrait résoudre. Il ajoute « l’université n’a pas la culture CNRS ... l’évaluation y est moins transparente ». Il conclut que sa crainte principale est que « la disparition programmée du CNRS et de l’Inserm ne conduisent à l’effet inverse de buts affichés, à savoir l’affaiblissement de la recherche en France ». Néanmoins, cette disparition obéissant en grande partie à des motifs idéologiques, il y a fort à craindre que cette considération en pèsera pas bien lourd au moments des choix décisifs.

Références

[1] P. Le Hir. Nicolas Sarkozy veut de « profondes réformes  » du système de recherche. Le Monde - 7 Juin 2007. Extraits : « Je mènerai à bien les profondes réformes que nous avons trop tardé à engager, comme l’autonomie de nos universités ou la rénovation des modes de financement de notre effort de recherche »

[2] http://www.agoravox.fr/article.php3 ?id_article=23790

[3] http://www.sg.cnrs.fr/ipam/publications/bi...rie/bib2004.pdf

[4] http://recherche-en-danger.apinc.org/spip.php ?article5&var_recherche=audier

[5] http://recherche-en-danger.apinc.org/spip.php ?article1536

[6] http://www.agoravox.fr/article.php3 ?id_article=25508

[7] http://www.lesechos.fr/info/analyses/4617678.htm

[8] http://www.dr3.cnrs.fr/lettre/2005/lettre-43/brevets.htm

[9] http://recherche-en-danger.apinc.org/spip.php ?article267

[10] http://www.sncs.fr/article.php3 ?id_article=1022

Louis
 
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Message par Louis » 12 Oct 2007, 18:56

La lettre de Yves Langevin :

a écrit :Yves  Langevin vient d'adresser la lettre suivante aux directeurs de recherche des équipes CNRS:


Le Président de la Conférence des présidents du Comité national


Le 10 octobre 2007

Chers collègues


Des événements très récents nous conduisent à vous communiquer l’ensemble des
éléments factuels qui sont à notre disposition aujourd’hui. Ils démontrent à notre avis
qu’une mutation profonde de la gestion de la recherche en France se prépare dans
l’opacité la plus totale, et ce à trés court terme.

Les nouvelles orientations gouvernementales indiquent une volonté de mettre les
universités au centre du dispositif de recherche, et la question du transfert total des UMR aux universités est posée. Ces orientations apparaissaient dans la lettre de mission envoyée le 5 juillet par le président de la République à la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, madame Valérie Pécresse, qui comporte en particulier le passage suivant :

« S’agissant de la recherche, vous ferez évoluer nos grands organismes de recherche vers un modèle davantage fondé sur celui d’agences de moyens finançant des projets. Vous placerez les universités au centre de l’effort de recherche, en confortant notamment leur responsabilité dans les laboratoires mixtes de recherche ».

Cette formulation laissait des marges d’interprétation, en particulier en terme de
calendrier, et les insistantes rumeurs du mois de juin sur une désassociation massive et rapide des UMR avaient été qualifiés d’infondées par madame Bréchignac. Cependant, le « démenti » de madame Pécresse était pour le moins ambigu : « les chercheurs du CNRS resteront gérés par leur organisme ». De plus, les deux nouvelles structures présentées par la direction du CNRS au Conseil scientifique de juin (« Laboratoire de Recherche Commun », entièrement géré par le CNRS et « Equipe de Recherche Labellisée ») pouvaient être interprétées l’une comme un prédécoupage de la petite fraction d’unités qui resteraient sous le contrôle du CNRS, l’autre comme le vecteur par lequel un CNRS « agence de moyens » soutiendrait ponctuellement telle ou telle équipe dans des laboratoires universitaires.

Les épisodes récents concernant le plan stratégique du CNRS, qui aurait dû être examiné pour avis au Conseil scientifique des 9 et 10 octobre, apportent des éléments
extrêmement inquiétants sur les intentions de nos dirigeants. Le corps de ce document, préparé avec le concours des différents niveaux du Comité national (sections, CSD, CS), présentait une vision complète des grands enjeux scientifiques et des missions de l’organisme CNRS à l’horizon 2020. Il avait été approuvé en juin par le Conseil scientifique. Depuis cette date, la DGRI (Direction Générale de la Recherche et de l’Innovation) était intervenue sur plusieurs points du texte et avait piloté une refonte complète de l’introduction, rendue disponible fin septembre, qui définissait en quelques pages les grandes orientations stratégiques de l’organisme pour les prochaines années.

Toutes les modifications effectuées allaient dans le sens d’une restriction de l’autonomie du CNRS dans sa capacité à développer des partenariats. Le rôle fondamental de l’ANR était souligné (« L’ANR offre aux acteurs de la recherche des opportunités de soutien sans précédent et le système français de recherche s’appuie de plus en plus sur cette dynamique »). En ce qui concerne l’évaluation, la formulation retenue était la suivante :

« A l’échelle des équipes de recherche, le CNRS utilisera l’évaluation faite par l’AERES
pour proposer des modalités de partenariat en accord avec les objectifs stratégiques de l’organisme ».

Il est intéressant de noter que la notion même d’unité de recherche (mixte ou non)
disparaissait du vocabulaire utilisé, la structuration nationale de la recherche s’effectuant par la relation directe du porteur de projet et de son équipe avec l’ANR.

Cette version largement remaniée du plan stratégique, via une procédure qui révèle le niveau réel d’autonomie du CNRS dans le contexte politique actuel, était déjà
extrêmement inquiétante. Lors de l’ouverture de ses débats, lundi 9 octobre, le Conseil scientifique a été informé que son vote sur le texte définitif était reporté sine die, car ce point avait été retiré de l’ordre du jour du Conseil d’Administration suivant. Suite aux questions des membres du CS, certains éléments de la lettre de G. Bloch (directeur de la DGRI) exigeant ce retrait ont été rendus publics. Par cette lettre, G. Bloch considère qu’un délai est nécessaire pour « prendre en compte dans ce texte fondateur les orientations du gouvernement qui seront précisées dans les prochains mois ». Certains points sont extrêmement précis :
- partenariat avec l’enseignement supérieur : « préciser les principes sur le pilotage
des unités aujourd’hui mixtes »
- « recrutement et gestion du personnel face à des universités autonomes, principes
de gestion des personnels dans les unités rattachées aux universités » - degré de globalisation des dotations d’un CNRS « agence de moyens » aux université dans un contrat unique sous la tutelle de l’Etat. La même lettre « incite à la prudence dans la mise en place des nouvelles structures », en clair les LRC et les ERL qui ne doivent plus être à l’ordre du jour.

Il nous semble que la seule interprétation possible de ces points spécifiques est une
volonté de transférer aux universités la gestion de l’ensemble des unités de recherche « aujourd’hui mixtes », ce qui impose bien évidemment de « réfléchir au recrutement et à la gestion des personnels CNRS » dans ces unités nouvellement rattachées aux universités. Ces décisions sont envisagées « dans les prochains mois », ce que confirme le retrait à la dernière minute d’un point capital de l’ordre du jour du Conseil d’administration du CNRS.
Plus grave encore, le principe même d’un plan stratégique du CNRS est remis en cause, car il devra « s’intégrer à un plan stratégique national » (défini cela va sans dire exclusivement par le ministère).

Les événements récents à l’IRD, qui s’inscrivent pleinement dans cette logique, peuvent présager de ce qui pourrait se passer dans les prochains mois au CNRS ou dans les autres EPST. Toutes les unités mixtes IRD - Université sont aujourd’hui sous la seule tutelle des universités partenaires.

Le nouveau paysage de la recherche tel qu’il se dessine s’oppose de front à l’ensemble des principes défendus par le Comité national :
- disparition de toute notion de collégialité et de repreéentativité dans l’évaluation
avec l’AERES
- remise en cause de la logique « opérateurs de recherche – unités – équipes » au profit d’une relation directe entre les porteurs de projet et agences de moyens (avec une position dominante de l’ANR), alors que le financement sur projet ne devrait avoir qu’un rôle complémentaire. Les premières victimes : la pluridisciplinarité et la prise de risques, principaux vecteurs d’émergence de nouvelles thématiques et plus généalement l’objectif de progression des connaissances dans tous les domaines
- dirigisme en terme de dotations via une ANR sous le contrôle étroit du gouvernement, sans équivalent dans les autres pays développés.


Il est important de noter que les deuxième et troisième points concernent tout autant les universités que les EPST, le pilotage de la politique de recherche par le gouvernement sur des bases sociétales ne leur laissant qu’une autonomie de façade (sauf bien entendu pourles charges).


Lorsque des faits graves étayent les intentions, il ne s’agit plus de faire partager des
inquiétudes, mais de diffuser un message d’alerte. Nous vous suggérons de le relayer au sein de votre unité et de votre thématique. Il n’est pas admissible que les 26000 agents CNRS puissent être confrontés dans quelques mois à un changement de tutelle sans la moindre concertation préalable. L’écran de fumée sur les intentions gouvernementales
doit impérativement être dissipé. Si ces intentions se confirment, le Comité national ne pourra assister en spectateur passif au démantèlement de fait des organismes de
recherche publique et prendra toutes les mesures qui relèvent de ses compétences pour s’y opposer.

Au nom du bureau de la Conférence des présidents du Comité national,


Yves Langevin
Louis
 
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Message par Matrok » 12 Oct 2007, 19:18

(Louis @ vendredi 12 octobre 2007 à 18:56 a écrit :La lettre de Pierre Langevin : 

a écrit :Paul Langevin vient d'adresser la lettre suivante aux directeurs de recherche des équipes CNRS:


(...)

Au nom du bureau de la Conférence des présidents du Comité national,


Yves Langevin

Je n'ai pas encore pris le temps de lire, mais il a combien de prénoms, Jacques Langevin ? :hinhin:
Matrok
 
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Message par Louis » 12 Oct 2007, 19:25

:altharion: Faudrait jamais faire des copier coller avant de bouffer !

voila j'ai rendu à yves ce qui appartient à yves (et pas à Pierre, Paul ou Jacques)
Louis
 
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Message par Jenlain » 12 Oct 2007, 19:42

pourquoi c'est dans la rubrique sciences ce topic? il devrait pluôt etre dans la rubrique politique française je pense.
Jenlain
 
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Message par Louis » 12 Oct 2007, 19:46

Peut etre ! Mais il me semblait que le cnrs s'occupait un peu de science, non ? Enfin, je n'insisterait pas si "on" en juge autrement. Evidemment, ç'est politique (mais beaucoup de chose sont politiques dans ce fil)
Louis
 
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Message par Louis » 13 Oct 2007, 10:18

reaction de "sauvons la recherche" :

a écrit :
Vers la mise à mort de notre système de recherche ?
Par Henri Audier, le 11 octobre 2007

"Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés" (La Fontaine)

"Il faut des années pour créer un bon système de recherche, quelques mois pour le dilapider" (N. Sarkozy, Mutualité le 4 octobre 2006)

Que vous ayez gagné, ou pas, des contrats ANR la politique mise en place par N. Sarkozy vous toucheras tous par ses conséquences : la perte de liberté d'initiative des scientifiques, le tarissement du flux de jeunes et le changement de la nature de nos métiers. Le "Pacte pour la recherche" de 2006 avait déjà chamboulé les finalités et les structures de la recherche. Mais il laissait encore un minimum de protection aux scientifiques par le maintien des EPST, fussent-ils fortement affaiblis. La suppression du CNRS est à l'ordre du jour , avec le reversement dans les universités des UMR et de leurs personnels. Ce texte fait le bilan de la situation d'ensemble. Voir le seul § III pour les informations sur le CNRS.
I- L'un des pires budgets depuis un demi-siècle
Un budget fantastiquement gonflé et "pré-régulé"

C'est une grande opération médiatique que ce budget de l'enseignement supérieur et de la recherche en croissance de 1,8 milliards d'euros soit + 7,8 % ! Exactement les promesses de Sarkozy. Mais ce budget est cosmétique et artificiellement gonflé. Il ne se distingue essentiellement de la programmation du Pacte que par (i) la forte croissance des dégrèvement fiscaux + 455 M€ dont 390 de Crédit d'impôt, (ii) par les 330 millions de plus pour les constructions universitaires, dont les 3/4 sont un rattrapage du financement de trois chantiers (Jussieu, Muhlouse Collège de France) et surtout (iii) 470 M€ représentant une simple régularisation de sommes (pour les salaires et les retraites) que la même majorité n'avait pas versés l'an dernier, conduisant à une "croissance" de 5 % des EPST. S'il est bien de payer ses dettes, on ne peut assimiler cela à des mesures d'expansion.

Dans ce budget est "initial" et les "coupes" de printemps y sont déjà prévues. Ainsi au budget du CNRS que les régularisations font progresser artificiellement de 4,9 %, la coupe prévue est de 5 %.
L'emploi, l'attractivité et l'avenir délibérément sacrifiés

Il n'y a aucun emploi statutaire créé au budget et cela durera 5 ans (V. Pécresse à Toulouse). La recherche étant une activité de matière grise, sa croissance est d'abord celle de son potentiel humain. En augmentant encore le nombre de CDD sans débouchés sur des emplois stables, ce choix renforcera celui des étudiants qui fuient les masters recherche. Avec toutes les conséquences que cela aura sur la qualité du recrutement, y compris dans la recherche privée. Ce budget ne permettra pas non plus d'allègements de service des enseignants-chercheurs en faveur de la recherche, ni d'effort pour mieux encadrer les premiers cycles afin de limiter l'échec. Les mesures en faveur des doctorants (1000 moniteurs de plus) sont très loin du signe fort qu'il fallait donner. Quant aux carrières c'est en moyenne 7 euros par mois de plus pour chacun des personnels de recherche.
Les moyens des laboratoires en stagnation

A l'exception de quelques investissements en amont de problématiques industrielles, il reste 6,4 M€ (moins que l'inflation) pour la recherche universitaire et rien sur les crédits de base des organismes. Et s'il y a "coupes"

budgétaires au printemps, c'est en moyenne de 15 % que diminueront les crédits distribués par les EPST. La seule croissance sera donc orientée et sur projet, éventuellement par les 13,5 M de "financement de projets ciblés des organismes de recherche" (c'est quoi ?), par les contrats avec le privé et surtout par l'ANR (130 M€). Mais elle restera faible sachant que 30 % des contrats ANR iront au privé et que, dans le public, la moitié sera dépensée en CDD vu l'absence de créations de postes. En moyenne, ANR comprise, les moyens des labos progresseront d'environ de au mieux de 65 M€ courants, à peine plus que le PIB. Moins que lui s'il y a régulation budgétaire.
Un Etat-providence pour les entreprises
Au total, les dégrèvements fiscaux ( + 455 M€, soit + 50,6 %) augmentent 10 fois plus vite que les crédits budgétaires (+ 5,6 % augmentation montrée plus haut comme fictive) ; l'ANR de 130 M€ (+15,8) et l'Oseo de 60 M€ (37,5 %). Sachant que pour 30 % le budget de l'ANR ira au privé, plus de 55 % des financements de l'Etat pour la recherche iront au privé et moins de 45 % au public.

Le gouvernement a choisi de porter le Crédit d'impôt pour les sociétés à 2,7 milliards en 2012, soit pratiquement de le décupler en 10 ans. Or entre 2002 et 2006, il a déjà été multiplié par trois, sans qu'on détecte un décollage de l'effort de recherche des grands groupes, qui en profitent pour 90 % (avec leurs PME-filiales). L'Etat, pour le moins, devrait s'assurer de l'évaluation de l'efficacité de ces aides comme le demande la Cours des comptes

Ce budget rend démagogique l'objectif de "deux établissements classés dans les 20 premiers et 10 parmi les 100 premiers mondiaux" ou de "porter l'effort de recherche à 3 % du PIB". La France a déjà eu, depuis 50 ans, de mauvais budgets d'enseignement supérieur (1970-80) ou de mauvais budgets recherche (1993-95, 2003). Mais jamais, à ce point, les deux à la fois.
II- Une conception autoritaire et utilitariste de la recherche

Un volontarisme prétexte à l'autoritarisme

Chef-d'œuvre de la littérature militaire, la lettre de mission de Sarkozy à V. Pécresse reprend le programme du candidat Sarkozy, les généreuses promesses financières en moins : « Ce gouvernement, auquel vous appartenez, n'a désormais qu'un seul devoir : celui de mettre en œuvre le programme présidentiel […] ; des engagements ont été pris dans le champ de vos compétences ministérielles. II va de soi que nous attendons de vous que vous les teniez. » En ce début de la lettre de mission de V. Pécresse, Sarkozy annonce la couleur : son élection a pour conséquence l'application intégrale de son programme, servant ainsi de prétexte à l'affaiblissement du rôle du Parlement et limitant la négociation à des modifications à la marge de ses projets.

Une vue étroitement utilitariste de la recherche

Plus encore que le "Pacte sur la recherche", qu'il a initié, Sarkozy a une vision très utilitariste du rôle de la recherche. Partant du principe que "dans un environnement économique où l'essentiel de la rente est captée par celui qui trouve le premier", tous les textes de Sarkozy s'intéressent, avant tout, à la valorisation économique de la recherche, vue au travers du seul intérêt des entreprises. D'où la part considérable du budget qui va au privé, mais aussi la volonté affichée que les équipes se tournent beaucoup plus vers le privé pour obtenir de l'argent sous forme de contrats, en diminuant les crédits de base et en cassant les structures qui y font obstacle, tels les EPST.

Certes, cette vue économiste est englobée dans des thèmes sociétaux comme l'environnement et la santé. Et nombre de déclarations de notre ministre incitent les chercheurs à répondre à ces enjeux, sous-entendant qu'en ayant une vue à terme de leur recherche, ils en oublient la société. C'est à ce besoin de la société que prétend répondre l'ANR qui, hors programmes blancs, affiche quelques créneaux thématiques. Il y aura encore des recherches fondamentales, mais seulement en amont des champs d'application économiques ou de quelques champs sociétaux.

Une méconnaissance totale de la "temporalité de la recherche"

Ce que ne veut comprendre Sarkozy, ou son entourage, c'est que non seulement la recherche a une dimension culturelle au travers de l'enseignement, mais qu'une partie de la science (le progrès des connaissances) a sa dynamique propre et sa temporalité. Quand la DGRST a dynamisé la biologie moléculaire ou la génétique, de grands instituts ont été aussi créés pour développer sur des décennies ces disciplines. Quand, vers 1960, on interprétait avec succès le spectre de Résonance magnétique de l'éthanol, qui pouvait prévoir qu'après un long travail des physiciens et des chimistes, puis des chimistes et des biologistes, puis des biologistes, des physiciens et des informaticiens, on en viendrait à mettre un individu entier dans l'appareil (IRM). Dans le développement foisonnant, imprévisible, presque anarchique de la recherche, nul ne peut prévoir de quelles disciplines seront utiles dans dix ans, y compris pour répondre aux défis économiques, environnementaux ou de santé. Il ne s'agit pas de nier la nécessité de réformes mais de contester l'idée que toute la recherche pourrait être programmée, pourrait fonctionner toujours plus sur des contrats à court terme sans visibilité de l'avenir, sans liberté pour le scientifique de développer son programme dans le temps avec ses échecs et ses avancées souvent imprévues. Le tout récent prix Nobel de physique décerné à Albert Fert, directeur d'une unité mixte CNRS-Thalès et médaille d'or du CNRS en 2003, est un exemple magnifique d'une invention née en 1988 dans un contexte de recherche fondamentale et suivie par son auteur jusqu'à l'application industrielle. Il n'est pas évident que la liberté créatrice dont il a heureusement bénéficié, serait encore possible aujourd'hui.
III- Les organismes cassés et les structures parcellisés
Une aggravation qualitative du Pacte pour la recherche

La loi de 2006 a été un chamboulement total des finalités et du financement de la recherche  : développement du financement de projets de courte durée, prise en main totale par l'Etat sur les orientations scientifiques via l'ANR, subordination des laboratoires aux entreprises au niveau territorial, suppression de toute évaluation sérieuse suivie d'effet : l'AERES donne aux formations une "note" destinée aux établissements qui n'ont pas de moyens de financer les recherches, l'ANR sélectionne et finance les projets, mais n'en évalue pas les résultats.

Sarkozy avait annoncé la couleur : il irait plus loin en détruisant tout ce qui permet un laboratoire d'inscrire son travail dans la durée en " finançant la recherche publique sur la base d'appels à projets et non sur la base de structures. La loi de 2006 a constitué un premier sursaut, en introduisant deux éléments : une évaluation indépendante (AERES) et un financement selon une logique de projet (ANR)". "L'ANR ne concerne que 6% des crédits publics de la recherche. Je transformerai donc nos grands organismes de recherche en agences de moyens, chargées de sélectionner et financer des équipes de recherche pour des projets à durée déterminée".
L'université, "milieu ouvert"

Il n'a pas été assez souligné que la loi sur les universités, votée à la hussarde en juillet, vise à "associer directement l'entreprise à la gouvernance et au financement des universités". C'est en faisant des universités un milieu "ouvert", un maillon faible ayant perdu ses références publiques et nationales, que Sarkozy veut assujettir au privé l'ensemble de la recherche publique : "J'ai créé les pôles de compétitivité pour intensifier les liens entre recherche et économie par le biais de la proximité régionale. Pour aller plus loin il nous faut rapprocher la recherche des organismes de celle de l'université, qui est un milieu plus ouvert".

N'en déplaise à la CPU, cette autonomie-là donnera encore moins de rôle aux universités dans la politique scientifique, comme le montre le budget 2008 : leurs unités dépendront toujours plus des financements extérieurs sur projet. D'autant plus que la fin annoncée du CNRS laisse sans protection les UMR qui sont parmi leurs meilleurs laboratoires.
La fin annoncée du CNRS

La lettre de mission de V. Pécresse reprend (en plus "soft" sur la forme) le programme de Sarkozy : "vous ferez évoluer les organismes de recherche vers un modèle davantage fondée sur celui d'agence de moyens finançant des projets. Vous placerez les universités au centre de l'effort de recherche, en confortant notamment leur responsabilité dans les laboratoires mixtes de recherche". On se souvient aussi que lors de la préparation de la loi sur l'autonomie, le SNCS avait dénoncé la première rédaction de la loi qui assimilait les chercheurs à des personnels de statut universitaire, ainsi que le projet visant à basculer toutes les UMR et les chercheurs des EPST sous la seule responsabilité des universités pendant l'été. Si cela a été démenti, la rédaction des paragraphes incriminés a été changée pour éviter les vagues avant le vote de la loi.

Dans le même temps le CNRS achevait son Plan stratégique. Obligé de s'inscrire dans le programme de Sarkozy, harcelée par les interventions autoritaires du ministère*, la direction du CNRS est allée de recul en recul, conduisant, dans la dernière version de ce Plan, à proposer un CNRS rabougri, tout comme Larrouturou un an avant :

- Le CNRS garderait comme rôle "propre" les grands équipements, les recherches dites "à risque" et les programmes pluridisciplinaires à long terme. Mais il ne reste que 80 "laboratoires propres".

- Sa mission principale sera de "faire effectuer des recherches selon deux voies : le développement de partenariats et la mise en réseau des acteurs de la recherche". Bien entendu, sur projets.

- Pour la première fois, un texte du CNRS accepte l'idée que l'usine à gaz qu'est l'AERES supplante

l'évaluation collective et contradictoire des laboratoires faite par le Comité national. Celui-ci gardera la conjoncture et la prospective, mais sans connaître les laboratoires, ce qui n'a aucun sens.

Lors du Conseil scientifique du CNRS (9/10/07), le ministère lui a intimé l'ordre de ne pas discuter du Plan stratégique présenté par la direction, la discussion étant remise à six mois. D'après nos informations, le ministère considère que ce Plan est contraire à sa volonté de reverser toutes les UMR du CNRS sous la responsabilité scientifique et financière des universités. Il a aussi indiqué que " Le Plan Stratégique est incomplet car le CNRS doit mener une réflexion qui prenne en compte un nouveau mode de gestion des personnels du CNRS dans les UMR".
D'autres EPST dans la tourmente.

C'est l'IRD qui a ouvert le bal, son directeur acceptant (devançant ?) de verser dans l'université toutes les UMR de l'IRD. Il aura fallu la dure bataille des Commissions scientifiques spécialisées pour que celles-ci conservent un rôle dans le recrutement qu'on voulait même leur enlever.

Resurgit aussi le projet d'un grand Institut des Sciences du Vivant, qui participerait au démantèlement du CNRS en lui enlevant son rôle pluridisciplinaire, mais concernerait également l'INSERM. Sous cet aspect, on peut se demander si les raisons avancées pour la démission de Bréchot sont les seules, et si cette démission heureuse ne cache pas la mise en place d'autre chose.
IV- La dévalorisation des conditions d'exercice des métiers
Une vision erronée de la recherche

Cela commence déjà par là : Sarkozy n'a comme vision de la recherche internationale que la compétition et ses objectifs ne se posent qu'en termes de classements. Si la compétition est normale dans le domaine économique et la recherche militaire, la dominante internationale est la coopération, la mutualisation des efforts et des résultats, pour tous les grands domaines sociétaux ou fondamentaux. Sarkozy reproduit à tous les niveaux ce même schéma "compétitif". Au lieu des coopérations souhaitables, la concurrence entre universités, ne serait-ce qu'au travers des salaires, sera systématisée en misant sur quelques "universités d'élite" et quelques grandes écoles. L'objectif n'est pas de tirer l'ensemble du système vers le haut, mais de renforcer sa hiérarchisation :

" Il faut permettre à nos universités de se battre à armes égales avec les grandes écoles, en donnant à celles qui le souhaitent la possibilité de se doter d'une stratégie d'établissement. Quant au rapprochement entre universités et grandes écoles, l'autonomie des universités est le meilleur gage de réussite".

La destruction du laboratoire

Mais cette conception descend beaucoup plus bas. Elle vise à éliminer tout ce qui est porteur d'un programme, d'une thématique, à long terme. Tout ce qui pourrait s'opposer à un pilotage, à vision utilitariste de la recherche. Les organismes d'abord, bien sûr, mais aussi le laboratoire, dont les plus avisés feraient bien d'en faire un lieu de solidarité scientifique et humaine, un lieu de mutualisation des ressources et de résistance aux pressions. Le taux constamment croissant du financement sur contrat (l'ANR n'a fait que se sur-ajouter à une panoplie de possibilités) conduit les laboratoires à l'éclatement, chaque équipe gérant son contrat personnel de trois ans, ses post-docs souvent sans avenir, en priant pour gagner encore au loto le prochain coup. D'ores et déjà, on a vu des équipes d'un même labo déposer, en concurrence, le même projet à l'ANR. D'ores et déjà, les plates-formes et appareillages communs manquent d'entretien ou de renouvellement dans nombre d'endroit. D'ores et déjà se dessine une carte où la moitié des équipes sont financièrement plus qu'à l'aise, tan disque l'autre moitié est dans la difficulté, sans qu'il y ait nécessairement de corrélation avec leurs valeurs scientifiques. Mais courage ! Ce sera peut-être l'inverse le prochain coup.

La disparition des instances élues

Pendant longtemps, la politique scientifique s'élaborait dans des instances consultatives où siégeait une majorité de scientifiques élus. Il en était de même pour l'évaluation des laboratoires qui était collective et contradictoire. C'est fini. La recherche n'ayant plus comme mission importante, le progrès des connaissances, plus n'est besoin de scientifiques élus par les pairs. C'est au gouvernement, directement ou au travers de nominations, de tout faire. Le Haut Conseil à la science et à la technologie est entièrement nommé. Le CA de l'ANR est entièrement nommé. Les comités scientifiques de l'ANR sont entièrement nommés. L'AERES est (pratiquement) entièrement nommée. Le jury choisissant les RTRA est entièrement nommé. De même que celui pour les Instituts Carnot, etc., etc. Certes, il y aura des Conseils scientifiques d'universités mais, avec leur budget, ils seront comme des vaches regardant passer les trains.

Vers un métier mutilé

Entrer dans la recherche, ce fut pour beaucoup se donner totalement pour faire progresser les connaissances, participer au progrès de la société, travailler pour le bien de l'humanité. Et on le faisait d'autant mieux, on s'y donnait avec d'autant plus de forces qu'on avait choisi son thème, son idée, souvent ses collaborateurs. Conception désuète, ringarde, ridicule, aujourd'hui. Le chercheur devra passer plus de temps encore à la recherche de contrats, à regarder plus ses "indices" que la beauté du travail qu'il fait. Il suivra moins ses goûts ou intuitions que les "thèmes porteurs" (d'argent). Il prendra moins de risques et traitera plus les sujets à la mode : c'est plus rentable pour la bibliométrie et ça donne plus de chance d'avoir des contrats. Il verra plus dans ses collègues des compétiteurs que des partenaires, car les salaires et primes seront individualisées. Sans parler de ceux, toujours plus nombreux, qui seront sur CDD ou CDI et n'auront même plus de statut garantissant, au moins formellement leur liberté de scientifique. Le tout pour gagner trois fois moins qu'un cadre moyen sorti d'une école de commerce de marketing ou de manag'ment.

Certes de nombreuses réformes sont nécessaires et nombreuses sont propositions qui ont été faites par les Etats généraux, les instances scientifiques, SLR ou les syndicats. Mais AUCUNE n'a été prise en compte. Un système de recherche est entrain de mourir, celui mis en place par De Gaulle, système développé, diversifié et adapté aux temps présents par ses successeurs. Ce que De Gaulle a fait, Sarkozy le défait.

Aujourd'hui c'est bien au travers du CNRS (73 % des publications française hors SHS et médecine) et des EPST, c'est toute la recherche française qui est assassinée. Par quelques technocrates ou politiques dont le rapport à la recherche est, très généralement, plus que ténu. Mais il est une contradiction que ne peut surmonter le gouvernement : ce sont encore les scientifiques qui font la recherche, ce qui leur donne une force dont il est temps qu'ils prennent conscience.

D'ici peu, il sera trop tard.

Henri Audier
Louis
 
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Inscription : 15 Oct 2002, 09:33


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