Informations Ouvrières N° 819 - L'éditorial du 8 novembre 2007
Courage politique ?
Poussant la logique du bonapartisme jusqu’à la caricature, le président est sur tous les fronts. Un jour face aux cheminots, peu après au Tchad, le lendemain au Guilvinec… Ajoutez à cela quelques fortes paroles où l’élégance le dispute à la bravoure (1), l’effet télévisuel est garanti.
L’arrogance médiatique est une chose. Le courage politique en est une autre.
Aux marins-pêcheurs ruinés par la flambée du prix du gasoil et qui criaient : « Du concret, du concret », Sarkozy a répondu par… l’exonération des cotisations sociales pendant six mois !
Quel courage, monsieur le Président !
Le prix du gasoil flambe en conséquence directe de l’augmentation du prix du pétrole brut. Celui-ci est passé de moins de 10 dollars le baril à la fin de 1998 à 95 dollars aujourd’hui : + 850 % en moins de neuf années.
Qui organise cette flambée ? Les fonds de pension et autres grands groupes financiers qui spéculent sur le pétrole.
Qui profite de cette spéculation ? Les multinationales du pétrole, dont les profits ne cessent de croître.
Et que fait le président ?
S’attaque-t-il aux multinationales responsables de cette situation ? Non… il s’en prend à la Sécurité sociale.
C’est la Sécurité sociale qui va devoir payer plusieurs millions d’euros d’exonérations !
Comme le font remarquer les marins-pêcheurs eux-mêmes (lire notre reportage pages 2 et 3), ces mesures sont aussi injustes qu’inefficaces.
Reposons la question : qui fait « crever » les marins-pêcheurs, comme ils le disent eux-mêmes ?
La Sécurité sociale ou les multinationales du pétrole ? Poser la question, c’est y répondre.
La solution ne s’impose-t-elle pas d’elle-même ?
Le groupe pétrolier français Total-Elf réalise 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires.?Ses profits, en 2006, ont atteint 12,5 milliards d’euros ! Total et Elf, deux groupes autrefois publics, ont commencé à être privatisés en 1992… l’année de la signature du traité de Maastricht.
Alors ? Que l’on renationalise, maintenant, tout de suite, Total-Elf ! Et les prix du gasoil pourront être ajustés, quitte à mordre sur les profits des spéculateurs !
Renationalisation de Total-Elf, et les marins-pêcheurs vivront.
Oui mais voilà : la renationalisation est interdite par le traité de Maastricht (2) (et le futur traité de Lisbonne). Comme il l’a lui-même reconnu devant les marins-pêcheurs, la bravoure du président s’arrête là où commence le domaine réservé de l’Union européenne et des intérêts des grandes multinationales, principalement américaines. Et c’est pourquoi Nicolas Sarkozy se refuse, par crainte de voir une nouvelle fois le peuple imposer un non majoritaire, à convoquer un référendum sur le traité européen.
Et c’est pourquoi ausssi, quittant le port du Guilvinec, le président s’est envolé pour Washington, où, selon un long éditorial du quotidien américain International Herald Tribune publié le matin même, il va chercher un soutien nécessaire face aux grèves en France (3).
Pour notre part, nous estimons que les marins-pêcheurs ont le droit de vivre de leur travail.
Le courage politique, c’est la renationalisation de Total-Elf.
Le courage politique, c’est de ne pas craindre de rompre avec les diktats de Bruxelles.
Pour les nécessaires (re)nationalisations.
Pour le rejet du traité de Lisbonne.
Pour l’abrogation du traité de Maastricht.
Toutes et tous à la Mutualité, le 16 novembre !
Daniel Gluckstein
(1) Au Guilvinec, face à des marins-pêcheurs qui criaient « 15 jours de mer et
300 euros, c’est pas normal » et exprimaient leur colère, Sarkozy a lancé : « Toi, si tu as quelque chose à dire, tu n’as qu’à venir ici » (dépêche AP).
(2) Article 87 du traité de Maastricht qui interdit toute aide de l’Etat susceptible de fausser la concurrence et repris intégralement dans le traité de Lisbonne sous un autre numéro.
(3) « Dans les grèves, un test direct du courage de Sarkozy » : c’est le titre de l’éditorial de l’International Herald Tribune (6 novembre 2007).