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Le colonel Kadhafi vient sceller à Paris sa réhabilitation diplomatique
LE MONDE | 08.12.07 | 14h25 • Mis à jour le 08.12.07 | 14h25
Le colonel Kadhafi, "Guide de la révolution libyenne", devait commencer, lundi 10 décembre, sa première visite en France depuis 1973, pour une durée de cinq jours. L'événement fait suite à l'invitation lancée par Nicolas Sarkozy au moment où celui-ci s'était rendu à Tripoli, au lendemain de la libération des infirmières bulgares, le 25 juillet.
Le séjour du dirigeant libyen semble relever d'un certain casse-tête pour l'Elysée, en raison des nombreuses incertitudes entourant les intentions de M. Kadhafi, amateur de sorties et de gestuelle théâtrale, avec lequel Paris espère pouvoir conclure des contrats, notamment dans l'armement et le nucléaire civil.
Les déclarations du colonel Kadhafi, vendredi 7 décembre à Lisbonne, où il s'apprêtait à participer au sommet Union européenne-Afrique, n'ont sans doute rien fait pour lever ces appréhensions face à l'imprévisibilité du personnage. Devant une assemblée d'étudiants, le "Guide" libyen a réclamé des "compensations" financières pour les pays qui ont été colonisés, et il a jugé "normal que les faibles aient recours au terrorisme" face aux "superpuissances".
Le porte-parole de l'Elysée, David Martinon, s'est employé, vendredi, devant les journalistes, à minimiser la spécificité de la France dans la relation avec la Libye. Il a décrit la venue du colonel comme "une étape décisive du retour progressif de la Libye au sein de la communauté internationale". Il a cité comme étapes précédentes le renoncement de la Libye aux armes de destruction massive, en 2003, et un certain nombre de voyages de dirigeants européens en Libye, dont celui de Jacques Chirac en 2004.
A propos des perspectives de contrats d'armement, le porte-parole a souligné que cela impliquait des sociétés "franco-allemandes" et "franco-italiennes-allemandes". Il n'y a plus de "tabou" ni de limitations sur les exportations "sensibles" vers la Libye, a-t-il observé.
Le "Guide" de la "Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste", nom officiel de la Libye, sera reçu à deux reprises, lundi et mercredi, par Nicolas Sarkozy. Les deux hommes avaient fait connaissance en 2005, lorsque M. Sarkozy s'était rendu en Libye en tant que ministre de l'intérieur, illustrant ce que l'Elysée décrit aujourd'hui comme "le combat commun" de la "lutte antiterroriste".
Selon un communiqué libyen transmis au Monde, la visite en France de Mouammar Kadhafi "fait partie d'une tournée auprès d'alliés clefs sur le continent européen". Avec M. Sarkozy, ajoute ce texte, il sera question du "partenariat stratégique libyo-français en Afrique", du "dialogue entre l'Union européenne et l'Afrique", et d'"énergie nucléaire à des fins non militaires".
Selon un connaisseur du régime libyen, le colonel Kadhafi s'attachera à "mettre en scène" autant que possible son séjour en France car il est "dans un processus de reconnaissance" sur la scène internationale. "En s'invitant à Paris ainsi" - en y restant cinq jours au lieu des trois jours initialement annoncés - M. Kadhafi cherche, selon cet expert, à "prendre une revanche" après les années de sanctions internationales contre son régime, "qu'il a ressenties comme une humiliation".
La France, en accueillant Mouammar Kadhafi, se démarque d'autres pays occidentaux comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni, qui n'ont pas encore donné de feu vert à sa venue, notamment parce que le contentieux autour de l'attentat de Lockerbie (270 morts en 1988) reste un sujet sensible.
A Paris, des familles de victimes de l'attentat contre le DC10 d'UTA (170 morts en 1989) ont rappelé, vendredi, que six hauts responsables libyens font toujours l'objet de mandats d'arrêt internationaux après avoir été condamnés par contumace par la justice française. La Libye, pays pétrolier où la répression politique repose sur l'idéologie du Livre vert mise au point dans les années 1970 par M. Kadhafi, fait cependant figure d'eldorado potentiel pour les investisseurs.
Conseiller du régime libyen pour les réformes économiques, un représentant du groupe américain Monitor, Rajeev Singh-Morales, nous déclare que le voyage en France de M. Kadhafi "est un signal extrêmement important : le retour à la normale, au business". La Libye, dont les revenus en devises ont explosé ces dernières années, prévoit d'investir 100 milliards de dollars dans des infrastructures (aéroports, routes, hôtels etc.). "Les projets d'équipements sont massifs", dit ce conseiller. La part qu'y aura la France est l'un des enjeux aujourd'hui.
Natalie Nougayrède
Plus de 3 milliards d'euros de contrats, selon Saïf Kadhafi
"Nous allons acheter pour plus de 3 milliards d'euros d'Airbus, un réacteur nucléaire, et nous voulons aussi acheter de nombreux équipements militaires", indique Saïf Kadhafi dans Le Figaro daté du samedi 8 décembre. Le fils du Guide libyen affirme, sans plus de précision, que son pays négocie aussi l'achat de Rafale, le chasseur du groupe Dassault.
Au cours de l'entretien, Saïf Kadhafi, qui se présente comme un "catalyseur", invite les entreprises françaises à s'intéresser davantage à la Libye. "C'est le moment d'investir (...) dans l'immobilier, le gaz, le pétrole, le tourisme", assure-t-il, d'autant que, selon lui, la Libye est appelée à devenir "le pont entre l'Europe et l'Afrique", et "un pays fort, heureux, riche et moderne".
Article paru dans l'édition du 09.12.07