"Grands soirs et petits matins" :

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par Louis » 05 Juin 2003, 19:52

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Mai 68 : les pavés parisiens sont aux mains des étudiants et des ouvriers. Derrière sa caméra, le célèbre photographe William Klein filme, et collectionne des dizaines d'heures de rushes pris sur le vif des événements. 1978 : Dix ans plus tard, à partir de ces rushes, William Klein monte un film qui reste à ce jour l'un des documents les plus précieux sur Mai 68. 2002 : La chaîne de télévision publique ARTE achète les droits du film de William Klein, l'édite immédiatement en DVD. Arte décide, naturellement, de programmer le film de Klein un an plus tard à l'antenne. La diffusion, prévue de longue date, est programmée pour Mai 2003, à l'occasion du 35ème anniversaire de Mai 68. Mai 2003 : face aux manifestations sociales et aux grèves qui se multiplient dans le pays, la chaîne reçoit l'ordre de ne pas diffuser le film. Celui-ci, en effet, pourrait donner bien des idées aux contestataires actuels. Le film, dont la chaîne culturelle possède les droits, est donc désormais interdit de diffusion !

Que contient donc ce film, pour être frappé in-extremis d'une censure aussi brutale ? Tout simplement l'esprit de Mai 68 : Quand le cinéma s'est mis en grève en Mai 68, les étudiants qui occupaient la Sorbonne ont demandé à William Klein de filmer les événements de leur point de vue. Dans un frémissement satirique, lucide et tonique, les images révèlent ce que furent les assemblées, les débats improvisés, les bagarres de rues, les palabres, le dévouement, l'utopie en marche, l'espoir irraisonné, l'amertume, la résignation, les malentendus, la poésie ou le confusionnisme. Le film s'ouvre sur un dialogue de rue (photo ci-contre), plus qu'évocateur : "La France de 1968 n'est pas le Petrograd de 1917. Le niveau politique est beaucoup plus élevé. Les moyens d'information de masse te permettent d'utiliser des courroies de transmission vers les masses. Et ça, c'est tout à fait nouveau. Lenine ne disposait pas de la radio, il ne disposait pas des reportages en direct (...) Aujourd'hui, les moyens de communication permettent la discussion permanente et l'affrontement des idées en direct. On a dans notre camp la masse des scientifiques de ce pays, ça veut dire quelque chose, nom de Dieu !" Bien entendu, ça veut dire quelque chose. D'autant plus aujourd'hui, où la présence d'Internet décuple ces fameuses courroies de transmission. A-t-on pour autant dans notre camp la masse des scientifiques de ce pays ? Peut-être pas, mais certains ingénieurs et développeurs informatiques ne chôment pas, afin que l'information citoyenne résiste aux médias dominants. Exemple : le logiciel Spip, solution gratuite (utilisée notamment par l'Arsène) et qui permet à tout un chacun de diffuser un magazine d'informations sur le Net. Autant enlever ça de la tête à ceux qui pourraient, en voyant le film de Wiliam Klein, en avoir l'idée. Problème N°1, solution N°1 : la censure.

Le film se poursuit. Dans la rue, on chante l'Internationale, et on scande un slogan : "le pouvoir est dans la rue !". Entre un G8 malmené par les altermondialistes et un premier ministre qui répète à l'envie que "ce n'est pas la rue qui gouverne", la scène fait plutôt mauvais effet. Problème N°2, solution N°2 : la censure.

Suite du film, retour dans la rue, nouveau dialogue improvisé : "ce qu'on se dit aujourd'hui, il fallait se le dire il y a 35 ans. Mais il y a 35 ans, les gens n'ont pas bougé. En ce moment les gens se posent les vraies questions. Vont-ils bouger ? Peut-être, ou peut-être pas. Mais si on laisse les choses en l'état, dans 35 ans on va se retrouver une fois de plus dans la rue, comme aujourd'hui." Le calcul est simple : 1968 + 35 ans = 2003. Problème N°3, solution N°3 : la censure.

Scène suivante, dans un amphi de la Sorbonne, un jeune militant prend la parole (photo ci-contre) : "Nous sommes en position de force. A partir de là, c'est vrai que les syndicats peuvent braver notre mouvement, c'est leur droit le plus strict. Il n'en reste pas moins qu'aujourd'hui, pour être réaliste, il existe une autre voie que la voie de la réforme, que la voie des discussions, que la voie parlementaire. Cette voie, c'est celle qui est dans la rue. (...) Dans la mesure où les couches les plus larges veulent se débarrasser de la bourgeoisie, il y a, à l'heure actuelle, une faille. (...) J'ai vu hier un patron discutant avec des grévistes : eh bien, je peux vous dire que les patrons ont une hantise, ils ont la frousse. Et quand une personne a la frousse, elle est prête à céder. Et quand une personne est prête à céder, il faut y aller franco !" Quelqu'un, aujourd'hui, aurait-il la frousse, au point de souhaiter que ces images soient interdites d'antenne ? Y aller franco ? "La bourgeoisie, jamais, et je dis bien jamais, ele ne cèdera un iota de son pouvoir". Constat sans appel, et problème N°4. Solution N°4 : la censure.

Cut. Et on passe à la scène suivante. Là, c'est le "Comité de liaison écrivains-étudiants" que filme William Klein. On aperçoit Marguerite Duras. On discute pour trouver des slogans. Les idées fusent : "ne bradez pas la grève contre un bulletin de vote". Puis "la radio intoxique, la grève désintoxique", auquel on finira par préférer : "les médias empoisonnent, la grève purifie". Quelle drôle d'idée de permettre à la France d'en bas d'écouter de telles élucubrations, alors qu'aujourd'hui, chacun sait que c'est la grève qui empoisonne, et les médias qui purifient ! Pas de problème, a priori, mais tout de même une solution, la N°5, sait-on jamais : la censure.

Suite du film : puisque la France est "bloquée", des milliers de bénévoles s'organisent. Des crèches sont créées pour la garde des enfants (photo ci-contre). Klein filme, objectivement. Les images parlent d'elles-mêmes : les enfants sont plutôt contents d'être là, entourés de pédagogues attentifs. Ils ont l'air de tout ce que vous voudrez, mais certainement pas d'être "pris en otage". Problème N°6 : s'il est démontré que "révolte" ne rime pas avec "prise d'otage", appliquer la solution N°6 : la censure.

Puis, c'est un meeting, dans le grand amphi de la Sorbonne. Chacun s'exprime, des citoyen(nes) de tous âges, de tous milieux sociaux débattent. Un jeune étudiant prend la parole : "Hier, en faisant du stop, j'étais avec un couple dans une voiture. La femme pressait son mari d'accélerer en lui disant : on va être en retard pour voir "Belle & Sébatien". Alors, il appuie sur l'accélérateur. J'avais envie de lui hurler : "tu peux pas pu dire à ta bonne femme qu'on en a rien à foutre de Belle & Sébastien ?" Mais non, ils étaient prêts à crever dans un accident pour pas rater le début de Belle et Sébastien ! C'est ça qu'on nous inocule, tous les jours : des trucs pour nous abrutir complètement, on veut faire de nous des robots !". Problème N°7 : sait-on jamais, si les gentils petits robots venaient à avoir, en entendant ça, un éclair de lucidité... appliquons de facto la solution N°7 : la censure. Mais attention : ne censurons pas n'importe quoi, censurons tout ce qui pourrait donner des idées à la grande masse démocratique.

La démocratie, c'est bien ce qu'il s'agit de sauver, au prix même de la liberté. La censure avait son despote, à l'époque : le général de Gaulle. Qui, aujourd'hui, a décidé de censurer la diffusion du film de William Klein ? On ne le sait pas. Sûrement quelqu'un qui a peur. Sûrement quelqu'un qui en sait plus sur ce que la masse a dans les tripes que la masse elle-même. Peu importe, laissons donc la parole à de Gaulle, dont l'intervention télévisée clôt le film de William Klein : "Eh bien oui, en effet, une explosion s'est produite. Et elle s'est produite, bien sur, dans le milieu où ça devait se produire : c'est-à-dire dans le milieu universitaire. Alors là, cette explosion a été provoquée par quelques groupes, qui se délectent de négation, de destruction, de violence, d'Anarchie et qui arborent le drapeau noir ! Par contagion, à partir de là, il s'est produit la même chose, dans certaines usines ; et naturellement, là aussi, parmi les jeunes. Mais alors, l'entreprise communiste totalitaire (ndlr : la CGT) inquiétée et furieuse de voir cette fraction libertaire se dresser en dehors d'elle, et contre elle, a décidé tout à coup de noyer le tout dans la grève généralisée. Et ça a été la paralysie ruineuse de notre pays. L'entreprise totalitaire en question a voulu néanmoins obtenir que je m'en aille ! et ainsi, prendre le pouvoir. Et c'est alors que j'en ai appelé au peuple. Pour le moment présent, ce qui compte, c'est les élections. Et voilà pourquoi j'appelle tous les françaises et les français à s'unir, par le vote, dans la république".

Certes, certes, de Gaulle, le général de la censure n'est plus. Et comme chacun sait, le grand acquis de Mai 68, ce fut surtout la fin de la censure. Nous n'avons donc plus aucune raison, aujourd'hui, de chanter le bon vieux slogan anarchiste "élections, piège à cons". La décision subite de ne pas diffuser sur Arte le film de William Klein est sans doute l'exception qui confirme la règle. 'Pouvez donc circuler, ya rien à voir, et puis vous allez manquer le début de Belle & Sébastien. Allez, circulez !
Louis
 
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Message par conformistepote » 06 Juin 2003, 09:41

Quelle est la source s'il te plaît ?
conformistepote
 
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Message par Louis » 06 Juin 2003, 16:49

oups !

c'est dans ce fanzine la



et l'url est Là !
Louis
 
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Message par conformistepote » 06 Juin 2003, 17:10

Merci
conformistepote
 
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