par Front Unique » 10 Jan 2008, 22:40
Informations Ouvrières N° 827 - L'éditorial du 10 janvier 2008
Un spectre hante l’Europe
Connaissez-vous M. Janez Jansa ? Il est Premier ministre de Slovénie. Depuis le 1er janvier, il est également président en exercice de l’Union européenne.
A peine en fonction, il s’est empressé, par la bouche de son ministre de l’Economie, « d’appeler la France à respecter ses engagements en matière de réduction des déficits » (1).
M. Sarkozy n’a plus qu’à se le tenir pour dit : du démantèlement de la Sécurité sociale à la privatisation des administrations de l’Etat, de la casse du Code du travail à la disparition des départements, il a le devoir de tailler à la hache dans les dépenses publiques.
Faut-il s’en étonner ? M. Janez Jansa ne fait que tenir le langage de ceux qui l’ont précédé : M. Socrates, Mme Merkel, et avant eux… M. Prodi, etc.
Tous parlent d’une seule voix : celle de Bruxelles, de la Banque centrale européenne, avec ceux tirant les ficelles par derrière, leurs maîtres de Washington.
M. Janez Jansa ne s’en tient pas là. « La nouvelle présidence slovène de l’Union européenne a mis en garde mardi le Portugal contre la convocation d’un référendum sur le nouveau traité européen » (2). Certes, M. Janez Jansa est certain que « s’il devait y avoir un référendum au Portugal, il serait positif ». Il reconnaît même que « c’est certainement le droit des citoyens portugais, du gouvernement et du Parlement portugais de choisir le mode de ratification ». Seulement voilà, c’est le risque de contamination qui inquiète M. Janez Jansa : « L’Europe est très imbriquée, et nous devons nous demander comment les événements dans un pays peuvent influencer les événements dans un autre pays. »
L’AFP met les points sur les « i » : « Les responsables européens craignent que la décision d’un seul pays d’organiser un référendum pousse d’autres à faire de même, faisant courir le risque d’un rejet de ce nouveau texte, qui doit être ratifié par tous les Etats membres pour entrer en vigueur » (3).
Il y a cent soixante ans, Karl Marx et Friedrich Engels débutaient leur célèbre Manifeste du Parti communiste par cette phrase : « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme. »
A ce spectre toujours présent s’ajoute désormais cet autre spectre, celui du référendum permettant le « rejet » du traité de Lisbonne, et, derrière lui, de toutes les institutions réactionnaires de l’Union européenne.
Au bout du compte, c’est la démocratie qui les terrorise. D’ailleurs, le meilleur moyen d’éviter que les peuples expriment un vote de rejet n’est-il pas… de leur interdire de voter ? N’est-ce pas pour cela que, dans le seul pays où le référendum est incontournable, tout est fait pour le différer (4) ?
Voudrait-on prouver que l’Union européenne est contradictoire à toute démocratie qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et cela ne concerne pas seulement la forme de la ratification du traité de Lisbonne (5). Comme toujours, forme et contenu se rejoignent. C’est ainsi que, le 18 décembre dernier, la Cour de justice des communautés européennes a condamné comme « illégal le blocus imposé en 2004 par les syndicats suédois de la construction et de l’électricité à l’entreprise lettone Laval, dont le siège est à Riga, qui entendait faire travailler 35 ouvriers lettons sur un chantier de construction en Suède sans adhérer à la convention collective du bâtiment suédois » (6).
Vous avez bien lu : il est désormais « illégal » pour un syndicat suédois d’exiger le respect de la convention collective ! En application de ce jugement, la Suède est sommée de changer son droit du travail !
Ce jugement a soulevé une protestation unanime parmi les dirigeants des syndicats et des partis de gauche suédois.
L’un d’eux, Lars Ohly, président du « Parti de gauche » (ex-Parti communiste), s’est exclamé : « La Suède doit quitter l’Union européenne » (7).
Je ne connais pas Lars Ohly. Il est probable que, sur plusieurs questions, son parti développe des positions bien différentes de celles du Parti des travailleurs.
Cela ne peut m’empêcher de dire que Lars Ohly a raison. A moins de renoncer aux droits acquis par sa classe ouvrière, la Suède doit quitter l’Union européenne. Cela ne vaut-il que pour la Suède ? A moins de renoncer à tout l’édifice des droits ouvriers, démocratiques, et à la République, la France doit, elle aussi, quitter l’Union européenne.
N’est-ce pas là la seule voie pour empêcher que tout ne soit détruit ? N’est-ce pas la seule voie pour que la démocratie soit reconquise ?
Le plus tôt sera le mieux.
Maintenant, tout de suite, référendum pour que le peuple puisse dire non au traité de Lisbonne, non à l’Union européenne et oui à l’union libre et fraternelle des travailleurs et des peuples de toute l’Europe.
Daniel Gluckstein
(1) Le Figaro, 8 janvier 2008.
(2) AFP, 8 janvier 2008.
(3) Ibidem.
(4) Lire page 12.
(5) Au passage, le « risque » d’un référendum au Portugal découle de ce qu’« un référendum sur l’Union européenne fait partie du programme électoral du PS et du gouvernement » (journal Publico, 7 janvier 2008). Donc, au nom des intérêts bien compris de l’Europe, la présidence slovène appelle le Premier ministre portugais à violer le programme de son gouvernement et de son parti ! Démocratie ? Vous avez dit démocratie ?
(6) Le Monde, 20 décembre 2007.
(7) Ibidem.