Informations Ouvrières N° 830 - L'éditorial du 31 janvier 2008
Le rêve de M.Noblecourt
Monsieur Michel Noblecourt est journaliste au Monde. A ce poste, il s’est fait, depuis des décennies, le champion de l’intégration des syndicats à l’Etat. M. Michel Noblecourt est — faut-il le préciser — un adepte inconditionnel de l’Union européenne.
M. Michel Noblecourt est content. Dans les colonnes du Monde (25 janvier 2008), il se félicite de la signature de l’accord du 11 janvier sur la « modernisation du contrat de travail », sur lequel nous nous sommes exprimés à plusieurs reprises dans ce journal (1).
M. Noblecourt se félicite de ce qu’il appelle « la rupture » et « le saut stratégique » effectués, selon lui, par les confédérations syndicales qui aujourd’hui signent ou approuvent sans signer (selon Noblecourt, un proche de Bernard Thibault aurait déclaré : « Nous avons rendu le texte signable par les autres »). Pour lui : « Cet accord qui ouvre l’année 2008 traduit un changement considérable dans les relations sociales (…). 2008 est le match revanche de 1984. » (2)
Pour Noblecourt, la messe est dite : cette signature ouvre une ère nouvelle, où la négociation sur la représentativité des syndicats devra les contraindre à justifier « leur légitimité par les preuves ». Comment ? Noblecourt répond : seront légitimes les syndicats « prêts à adopter les réformes du droit du travail, et non à camper sur la défense d’acquis sociaux ». C’est là une définition on ne peut plus explicite du corporatisme : l’Europe de Bruxelles (au compte des multinationales américaines et des spéculateurs) exige « des réformes du droit du travail », le gouvernement relaie ces exigences, les syndicats s’y intègrent docilement.
C’est le droit de M. Noblecourt de rêver ce schéma corporatiste. Mais s’il croit qu’il n’y aura plus désormais, dans ce pays, de syndicats prêts à défendre les acquis sociaux, s’il croit que l’accord du 11 janvier dissout une fois pour toutes les confédérations syndicales dans la « société civile » corporatiste et pro-Union européenne, il risque fort de déchanter. La lutte de classe n’a pas dit son dernier mot. Par leur action séculaire, les travailleurs ont édifié et renforcé les syndicats confédérés. Ils ont su, en maintes circonstances, préserver leur indépendance. Et ils n’en auraient plus aujourd’hui ni la capacité ni la volonté ?
On signalera au passage que M. Noblecourt apporta en son temps son soutien à Ségolène Royal. Mais le plus frappant dans la tentative en cours de marche forcée vers le corporatisme, c’est la curieuse convergence avec le parti « anti-capitaliste » d’Olivier Besancenot. Dans un document public présentant son projet — document d’où le mot « Union européenne » est absent —, la LCR se prononce pour « des cadres militants unitaires, regroupant partis, associations, syndicats », à l’instar des « réseaux Education sans frontières » (3). C’est ce que la LCR appelle le « front alternatif » (4), qu’elle oppose aux confédérations syndicales pour émietter le mouvement ouvrier et le dissoudre dans la société civile !
Il est vrai que pour l’organisation de Besancenot « la difficulté (est) de faire émerger du mouvement ouvrier une force anticapitaliste indépendante » (5).
Qu’est-ce donc que cet « anticapitalisme » qui émergerait d’ailleurs que du mouvement ouvrier ? Un « anticapitalisme » sociétal, de société civile, mêlant bras dessus, bras dessous toutes les composantes de la société ? Une variante « radicale » du corporatisme bruxellois, en somme… On comprend qu’un tel « anticapitalisme », les médias aux ordres de l’Union européenne et de l’Etat en redemandent (6).
Répétons-le : la classe ouvrière n’a pas dit son dernier mot. Pour leur part, les délégués au XVIe Congrès national du Parti des travailleurs, au vu des résultats enregistrés, ont fixé le cap : garantir le succès du congrès de fondation d’un authentique parti ouvrier indépendant en juin 2008. Un parti de lutte de classe, pour la rupture avec l’Union européenne, un parti de défense et de reconquête de la démocratie (qui inclut la défense des confédérations syndicales et de leur indépendance), un parti de reconquête des lois de 1884 et de 1905, un parti pour la renationalisation des secteurs clés de l’industrie.
Pour tous les travailleurs et militants qui entendent préserver les principes d’indépendance de classe et l’existence des organisations, un tel parti sera le point d’appui nécessaire.
Daniel Gluckstein
(1) Voir page 10 de ce numéro, ainsi qu’Informations ouvrières, nos 828 et 829.
(2) En 1984, les confédérations avaient refusé de signer un accord interprofessionnel sur la flexibilité.
(3) Quatre-pages de la LCR « L’heure est à la riposte ! ».
(4) Rouge, 24 janvier 2008.
(5) Inprecor, 16 juillet 2007.
(6) Pour la seule période du 21 au 30 janvier, Besancenot s’est vu consacrer dix émissions grand format et grande écoute sur les chaînes nationales de télévision et les grandes stations de radio, à quoi s’ajoutent des centaines de passages dans les journaux télévisés, les flashs infos, la presse écrite (lire p 7).