(Reuters - Jeudi 14 février a écrit :Le Pr Montagnier témoigne à charge au procès de l'hormone
PARIS (Reuters) - Le professeur Luc Montagnier a expliqué au tribunal correctionnel de Paris avoir alerté dès 1980 contre les possibles risques sanitaires de l'hormone de croissance, particulièrement la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
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Le témoignage était gênant pour les sept prévenus qui répondent de 110 homicides involontaires, même si le découvreur du virus du sida en 1983, grand spécialiste mondial de la virologie, n'a accusé aucun des autres grands noms de la médecine présents sur les bancs des prévenus. Il a plutôt incriminé un système.
"Le problème de cette catastrophe, c'est qu'il y a eu une dilution des responsabilités. Il aurait été nécessaire à l'époque qu'il y ait une sorte de directeur, de chef, qui suive toutes les étapes", a-t-il dit.
Le professeur Montagnier s'est expliqué sur l'alerte très claire qu'il avait lancée dès janvier 1980 sur les risques de l'hormone fabriquée alors à partir d'hypophyses prélevées sur des cadavres, alerte qui semble n'avoir eu aucune suite.
Le tribunal lui a fait relire à la barre une note réalisée à la demande du professeur Fernand Dray, aujourd'hui âgé de 85 ans, qui s'occupait à l'époque des faits de la fabrication de l'hormone et qui est aujourd'hui parmi les prévenus.
Luc Montagnier expliquait qu'une "attention particulière" devait être portée à l'agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, particulièrement résistant. Il recommandait d'importantes mesures d'hygiène lors des prélèvements d'hypophyses, une sélection stricte des donneurs et des irradiations des hormones pour tenter d'inactiver les agents pathogènes.
Le dossier judiciaire montre que, loin de ces recommandations, les collectes des hypophyses étaient faites sans comptes-rendus par des personnels non médicaux, parfois sur les corps de personnes mortes dans des services de neurologie ou de gériatrie, sans stérilisation d'instruments, parfois même au moyen de tringles à rideau ou de tuyaux.
"C'est tout-à-fait contraire à mes recommandations. Je pourrais dire que c'est un effet de la dilution des responsabilités (...) Ce genre de fabrication ne serait plus acceptable et accepté aujourd'hui", a souligné Luc Montagnier.
"Il aurait été nécessaire de tracer les hypophyses, de connaitre la raison de la mort des personnes sur lesquelles on les prélevait, et cela supposait un travail médical en amont", a-t-il ajouté.
Une tentative d'irradiation a été menée mais elle ne fonctionnait pas. Pourtant, l'hormone de croissance fabriquée à partir d'hypophyses humaines a été distribuée jusqu'en 1988. Le professeur Montagnier ne s'est pas étendu sur ces années.
"Je pense qu'une fois que j'ai donné l'information à M. Dray, il en a tenu compte", a-t-il dit. Dans des médias, Luc Montagnier a expliqué qu'il regrettait aujourd'hui ne pas être allé plus loin dans ses avertissements à l'époque.
Les sept prévenus, médecins, pharmaciens et professionnels de santé âgés de 59 à 85 ans encourent des sanctions allant, selon les cas, de trois ans à dix ans de prison pour "tromperie aggravée, homicides et blessures involontaires" et dans un cas "corruption et prise illégale d'intérêt".
Le procès doit durer jusqu'à la fin mai.
Thierry Lévêque