(Ouest%France du 03/03 a écrit :
Hélène Defrance, groupons-nous et demain...
Dans les quartiers, sur les marchés, au porte-à-porte : nous avons suivi les sept candidats aux municipales. Troisième carnet de campagne avec la leader de Lutte ouvrière.
Dans sa Clio grise, un gros pot de colle, des affiches en veux-tu en voilà, des journaux du parti où Nicolas Sarkozy est habillé pour l'hiver. Hélène Defrance, « levée à 6 h », mitaines et anorak-capuche, arrive d'un troquet du quartier Pirmil. Pas de local de campagne, « trop cher », donc des réunions dans les bistrots, chaque matin, avec la poignée de militants pour se répartir le boulot.
Ce matin, Lidl, boulevard Victor-Hugo, le foyer des jeunes travailleurs de l'île Beaulieu. La trotskiste cible. Elle va là où les comptes bancaires ne connaissent même pas le répit des débuts de mois. Où le libéralisme, « ce système de dingue », n'est a priori pas en odeur de sainteté. Où Lutte ouvrière peut butiner des voix, autour de 4 600 en 2001, ce qui lui a valu d'être conseillère municipale.
« C'est moi, Hélène Defrance, je suis candidate. » Presque toujours, en face, un petit coup d'oeil sur la photo du tract, et un regard appuyé sur son visage. Oui, c'est bien elle. « Hélène » n'est pas « Arlette », la grande prêcheuse d'en haut, mais, parfois, on la reconnaît. De plus en plus grâce aux télés locales, glisse-t-elle. « Les idées doivent s'incarner dans des personnes, dit-elle au milieu des chariots de Lidl. Un mouvement politique a besoin d'un nom, d'un visage. »
Pour un pouvoir autocratique ? « J'ai toujours été opposée au régime stalinien. La société était contrôlée par une poignée, pour des intérêts privés. Cette révolution a été une tentative. Mais il faut aller dans ce sens. »
« Les grosses angoisses »
Ah, la révolution, celle qu'elle attend tant, celle qui va finir, elle en est sûre, par pointer le bout de ses drapeaux rouges en France. Un seul point d'interrogation pour cette prof d'arts plastiques, « le jour et l'heure ». Elle souffle, sur le ton d'historienne des luttes : « La révolution, c'est jamais les révolutionnaires qui la déclenchent. Mais les gens, la base qui réagit à une situation intolérable. »
Les gens, ces gens de peu, « leurs grosses angoisses », elle les écoute. « Redonne de l'espoir à ceux qui n'en ont plus. » Leur parle, calmement, de la vie qui ne va pas, des « 500 SDF à Nantes, une situation hallucinante », du pouvoir d'achat, des logements HLM dont les loyers, « vous vous rendez compte », grimpent de 3 %... Ne « dézingue » pas ses adversaires, ni Sophie Jozan, ni Jean-Marc Ayrault, ni ses deux adversaires trotskystes qui pourraient bien l'empêcher d'être réélu, ni personne d'ailleurs, hormis Nicolas Sarkozy.
Devant le foyer des jeunes travailleurs, sous le crachin, elle l'avoue à un homme : « Nantes, ce n'est pas la pire des villes, loin de là. » Elle affirme à un autre : « Je ne suis pas copine avec Jean-Marc Ayrault, mais on a beaucoup exagéré nos différends. Au conseil municipal, quand ça va dans le bon sens, je vote. » Traduction : qu'on se le dise, je ne suis pas une opposante systématique, mais le poil-à-gratter nécessaire face à une gauche « mollassonne ».
Hélène Defrance, fille d'un chercheur-militaire à poigne, sept frères et soeurs, dont trois... à Lutte ouvrière (l'une est candidate à Toulon) ¯ « engagement par réaction », analyse-t-elle ¯ semble imperméable à la pression. Au café « Le Churchill », à Bellevue, elle rigole, parle du poète Antonin Artaud, du peintre Turner, des Roses d'Atacama de l'écrivain chilien Sepulveda... On la quitte et on s'étonne de ne pas l'avoir entendu dire travailleuse et travailleur, elle répond : « Comme quoi, vous voyez, on n'est pas des clones d'Arlette »...
Jean-François MARTIN.