(Matrok @ lundi 26 mai 2008 à 14:59 a écrit : Le jazz et son cousin le blues sont nés au début du vingtième siècle chez les ouvriers et les ouvriers agricoles noirs du Sud des Etats-Unis (ex-esclaves), et toute l'histoire du jazz nous montre qu'il s'est d'abord diffusé en suivant les mouvements de cette population vers les centres industriels du Nord, Chicago notamment... c'est d'ailleurs là qu'apparaissent les premiers musiciens de jazz blancs, issus eux aussi de la classe ouvrière (cf. "Really the Blues" de Milton Mezz Mezrow).
Qu'une forme d'expression artistique trouve naissance dans les classes populaires ne permet pas de dire qu'il s'agit d'un "art prolétarien". De même que les écrivains d'origine populaire, meme quand ils parlent du peuple et du prolétariat, ne sont pas pour autant des auteurs de "littérature prolétarienne".
Pourquoi ? Tout simplement parce que, pour commencer, le prolétariat est soumis à l'idéologie, aux goûts et canons artistiques dominants. Dans tous les domaines. Tu remarqueras par exemple que, dans les meetings, manifs etc du 19èpme siècle et même plus tard, on voit par exemple toujours des ouvriers en costume-cravate, c'est à dire habillés "en bourgeois".
Quand un prolétaire prend sa guitare ou sa plume pour écrire une chanson, il est généralement influencé par l'idéologie dominante, meme quand il veut exprimer sa souffrance, son désespoir, sa révolte etc. S'il écrit un livre pour parler de sa vie ou meme de ses luttes, il va utiliser les techniques littéraires de son époque, qui n'ont pas elles-mêmes un caractère de classe, mais se sont développées dans l'intelligentsia bourgeoise etc. Et il existe aussi des sentiments qui n'appartiennent à aucune classe sociale : l'amour, la douleur, la nostalgie, les sensations suscitées par des sons, des couleurs, des formes harmonieuses etc.
De toute manière, l'art, par nature dépasse et transcende la conditions immédiate de l'artiste. C'est pour cela qu'il est universel et peut souvent être compris et apprécié par des catégories, classes sociales, nationalités différentes. Pas toujours, car un certain degré de sophistication peut aussi parfois en barrer l'accès aux non initiés. Mais cette sophistication n'est pas non plus une barrière de classe, une caractéristique "élitiste" bourgeoisie : le tango et le flamenco qui se sont eux aussi dévelopés dans des milieux populaires étaient déjà très sophistiqués, avec leurs propres règles très complexes, avant de gagner les salons de la bourgeoisie.
Bref, il faut complètement laisser de côté ces théories staliniennes stupides d'art prolétarien et d'art bourgeois. (Ce qui ne veut pas dire évidemment que toute idéologie est absente des oeuvres artistiques.)