DURRITO ET UN HISTOIRE DE TRAINS ET DE PIÉTONS

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par Louis » 14 Juil 2003, 21:35

3 juillet 2003
Durito (qui a été un temps cheminot) dit que la politique du Pouvoir dans le néolibéralisme (« écrivez-le en entier – me dit-il et m’ordonne-t-il – parce que ce n’est pas une vérité éternelle mais quelque chose pour maintenant ») est comme un train.

Durito dit que dans le train de la politique néo-libérale, les wagons de tête font l’objet de sottes disputes de la part de ceux qui pensent qu’ils peuvent conduire le mieux, oubliant que c’est la locomotive qui tire les wagons et non l’inverse.

Durito dit que les politiciens ignorent également que c’est quelqu’un d’autre qui conduit la locomotive (celui qui parle la langue de l’argent) et que, lors du déraillement à venir, les wagons de luxe, ceux de tête, sont les premiers, c’est sûr, mais à dérailler.

Durito dit que les gens de peu voyagent à pied.

Durito dit que la majorité des gens à pied regarde avec indifférence le passage de cette machine qui se vante de décider de sa vitesse, et qu’elle oublie qu’elle ne peut pas sortir des rails que les règles de la politique lui imposent.

Durito dit que les gens de peu ne veulent non seulement pas conduire le train mais que, dans certains cas, ils osent douter de la destination du voyage (qui, de plus, se fait en leur nom, « pour les représenter »).

Durito dit que, parmi les gens à pied, il y en a qui sont rebelles. Ceux-là ne critiquent pas seulement la destination du voyage et la ridicule répartition discrétionnaire des billets. Ils mettent en question y compris l’existence même du train, et ils se demandent si les trains sont réellement nécessaires. Car, c’est vrai, on arrive plus rapidement et on voyage plus confortablement, mais on arrive là où on ne voulait pas arriver.

Durito dit que les Zapatistes, nous faisons partie de ces piétons rebelles ( les « za-piétons »), et que nous sommes l’objet de railleries de la part de ceux qui critiquent le fait que nous ne voulions pas acheter de billet, et qui voyagent à toute vitesse… à la catastrophe.

Durito dit que les Zapatistes, nous sommes des piétons vraiment pas comme les autres. Parce qu’au lieu de regarder avec indifférence le passage orgueilleux du train, un Zapatiste s’approche en souriant de la voie et met son pied. Il pense sûrement, le naïf, qu’il fera ainsi trébucher la puissante machine et qu’elle déraillera sans remède.

Durito dit que dans les wagons, auparavant lieu de lutte féroce (et mesquine) pour un Pouvoir qui n’est pas là, ils s’unissent maintenant pour, en se penchant aux vitres, se moquer du Zapatiste qui, avec son pied brun, essaie d’arrêter le train du Pouvoir.

Durito dit qu’à l’aube du 1er Janvier 1994 (il pleuvait, il faisait froid et un épais brouillard recouvrait la ville), un indigène zapatiste a mis son pied pour faire dérailler le train du PRI.

Durito dit que six ans après, le PRI gît dans le ravin, et les restes en sont disputés par ceux qui se moquaient hier de cet indigène qui, maintenant, bande soigneusement son pied, pas parce qu’il a mal, mais parce que, là-bas, on voit venir un autre train, et un autre, et un autre…

Durito dit que ce que les Zapatistes ont à revendre, ce sont les pieds, parce qu’ils les font grandir à force de marcher tout au long de la nuit, de la douleur à l’espoir.

Durito dit que les zapatistes n’arrêteront pas de marcher la nuit jusqu’à ce que tous ceux qui vont à pied puissent décider, non seulement de l’existence et de la vitesse du train, mais aussi, et surtout, quand tout au long de la marche des piétons de l’histoire, il y aura des chaises sous un pommier chargé de fruits – pour tous.

Parce que c’est de ça qu’il s’agit, de tout ça, de pommes, de chaises et de trains », dit Durito en voyant avec satisfaction que la graine qu’il a semée il y a longtemps sort de la terre qui l’a gardée, complice et solidaire.

Sous-commandant insurgé Marcos

A pied, et déjà entrés dans la dixième année de la guerre contre l’oubli.
Louis
 
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