En tant qu'auteur de cet exposé dont Llaima et d'autres camarades discutent sur ce fil, je voudrais intervenir. Llaima a imaginé - entre autres - que j'avais pu dire que "l'hypothèse des GES est juste car elle est en parfait accord avec le fait que le capitalisme est irresponsable et destructeur de la planète"
Alors Llaima, non seulement tu dors pendant mon exposé, mais en plus tu entends des voix ? :D
Je n'ai rien contre Llaima, et je suis ravi de voir que les nouvelles technologies de l'information ont permis de remplacer le bon vieux comptoir du café par des forums où on tisse du lien social, et que sur le zinc (virtuel) "y a pu d'saisons" est devenu "il y a des incertitudes très fortes sur le couplage CO2/T°". C'est chouette, et "carbocentriste" est tout de même plus sexy que le traditionnel "vieil abruti". En plus (et c'est là où le socialisme pointe son nez), cette nouvelle sociabilité est gratuite et évite l'alcoolisme.
Mais pour ceux qui se poseraient la question, voilà en détail l'argumentation que j'ai développée pendant mon exposé à la Fête de LO, et lors des discussions qui ont suivi. Ce n'est pas pour polémiquer, ce sera ma seule contribution sur le forum.
1) l'idée que les gaz à effet de serre produits par l'activité humaine (industrie, agriculture) pourraient apporter un réchauffement progressif du climat est fondée au départ sur une physique bien établie, qui date du XIXème siècle, où on a mesuré les propriétés de l'absorption infrarouge du CO2, de la vapeur d'eau, du méthane, etc. Les premiers calculs faits par Arrhenius dans les années 1890 montraient que le doublement de la quantité de CO2 pourrait amener un réchauffement moyen d'environ 5°C. Il y a eu ensuite une vision plus raffinée de l'effet de serre, fondée sur des modèles plus détaillés de l'atmosphère, mais sans qu'on remette en cause fondamentalement le calcul d'Arrhenius, et les modèles actuels, en 3D, avec bien des perfectionnements, incluant des paramètres multiples et une foule de couplages et de rétroactions, aboutissent à des résultats somme toute assez proches de celui d'Arrhenius.
2) Cependant, les idées dominantes sur la question du climat, jusque dans les années 50 au moins, sont restées que l’activité humaine était trop faible pour influencer le climat global, qu’on voyait comme quelque chose variant très lentement. Par ailleurs, concernant les phénomènes provoqués par l’activité humaine, les variations dues à la pollution ont longtemps été du même ordre que ceux des gaz à effet de serre, et allaient plutôt dans le sens du refroidissement. La thématique du réchauffement s’est donc imposée contre les idées reçues, sous l’influence de faits, qui sont venus donc imposer leur logique, et conduire aux modèles actuels. Ce qui montre au passage que les « sceptiques » ne seraient donc pas des gens inspirés par des idées nouvelles comme Wegener, mais plutôt des nostalgiques de « l’ordre ancien ».
3) Ces faits nouveaux ont été d’abord les mesures de CO2 à partir des années 50 montrant une élévation rapide de sa concentration dans l’atmosphère, alors qu’auparavant on avait dans l’idée qu’il serait absorbé, par la végétation, les océans. En fait environ 45% du CO2 émis s’accumule dans l’atmosphère. Puis les mesures de réchauffement, qui montrent une accélération depuis les années 60.
4) En parallèle, on a eu 5 décennies de développement de modèles numériques toujours plus sophistiqués, de l'atmosphère, des océans, du couplage entre les deux, etc (je rappelle que le développement de ces modèles est une œuvre qui implique des dizaines de labos, et pas seulement pour alimenter le GIEC, mais aussi la météo, la prévision à moyen terme, et donc il y a une pression sociale, ainsi que financière pour les faire progresser, indépendamment du problème du réchauffement). Concernant le climat, les conclusions qu’en ont tiré très logiquement les modélisateurs, et qui ont fini par créer un consensus dans les communautés scientifiques concernées par la question, sont que l’on ne peut pas expliquer le réchauffement intervenu dans la deuxième partie du XXème siècle jusqu’à aujourd’hui par les seuls facteurs naturels, mais que l’augmentation de la quantité de gaz à effet de serre induite par l’industrie et l’agriculture est aujourd’hui le principal facteur des évolutions du climat. Cette tendance observée ne peut (selon l'état actuel de la science) que se poursuivre dans les siècles à venir.
5) Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’autres facteurs qui influencent le climat. D'une part les modèles expliquent relativement bien les alternances de périodes glaciaires / interglaciaires (sur une période longue, de l'ordre de 800000 ans) par l'effet déclencheur des paramètres astronomiques (combinaison des variations de distance Terre-Soleil et des variations d'inclinaison de son axe, ce qu'on appelle les cycles de Milankovitch, c'est bien expliqué dans les rapports du GIEC !) qui s'articulent avec l'amplification due aux gaz à effet de serre et aux variations de surface de la calotte Arctique. J'en ai parlé longuement dans mon exposé. D'autre part, ils essaient aussi de rendre compte des climats des 1000 dernières années.
Si on s'en tient à l'évolution récente et future proche (1900-2100) qui nous intéresse ici, bien entendu la variabilité solaire, les rétroactions liées aux nuages, les éruptions explosives de grands volcans sont incluses dans les modèles, ainsi que d’autres paramètres. Mais aucun d’entre eux ne peut expliquer le réchauffement récent aussi bien que les gaz à effet de serre, et probablement aucun ne pourra empêcher d'ici 30 ou 100 ans que ce réchauffement ne s'accélère.
6) Cela ne veut pas dire non plus qu’il n’y a pas de grandes limites aux modèles actuels. J’ai expliqué en détails dans mon exposé les incertitudes importantes sur le degré de ce réchauffement à venir, ainsi que l’incapacité actuelle des modèles de climat de prévoir avec un degré suffisant de fiabilité l’augmentation des évènements extrêmes (cyclones, sécheresses, inondations, canicules…). Mais les incertitudes ne sont pas rassurantes car il est tout à fait possible que les choses soient nettement plus graves que ce que disent les rapports du GIEC (qui fonctionnent sur le consensus et auraient tendance à se limiter à ce qui est bien établi). Le glissement des glaces du Groenland notamment est un phénomène qui semble s’accélérer et inquiéter les spécialistes.
7) Divers travaux scientifiques ont tenté de proposer d’autres mécanismes que les gaz à effet de serre pour expliquer le réchauffement récent Par exemple, la variabilité solaire, ou des effets complexes, faisant intervenir les rayons cosmiques, le géomagnétisme, divers phénomènes touchant les nuages qui pourraient expliquer le réchauffement, ou bien venir réduire le réchauffement futur. D’autres travaux ont prétendu montrer qu’en fait les mesures par satellites ne montraient pas le même réchauffement que les mesures terrestres. Mais tous ces travaux n’ont pas convaincu la communauté scientifique. Pourquoi ? Soit ils ont été réfutés par d’autres articles montrant des erreurs grossières (voir comment Courtillot, pour ceux qui connaissent, s’est ridiculisé pour avoir oublié de tenir compte de la rotondité de la Terre dans ses articles), soit des erreurs plus subtiles (c’était le cas des premières analyses des données satellite par Christy, et Spencer par exemple), soit ils ont montré des incertitudes difficiles à évaluer, mais pas d’effet convaincant dans le sens prédit par leurs auteurs (c’est le cas notamment des travaux sur les nuages de Lindzen, ou de ceux sur l’effet des rayons cosmiques de Svensmark et autres). Rappelons que personne ne reproche à tous ces scientifiques d’avoir bataillé sur le plan scientifique, et ils ont parfois (pas toujours) aidé à faire progresser la recherche (et même ceux qui ont signalé certains problèmes dans le traitement statistique des températures du Moyen-Age de la fameuse courbe "en crosse de Hockey" de Mann : je crois qu’ils ont aidé à l’améliorer. Mais cela ne leur donne pas raison sur le fond, d'autant qu’ils ont utilisé cela ensuite pour véhiculer des gros mensonges).
8) Résultat, aujourd’hui il y a bien sûr de nombreuses discussions et débats scientifiques sur les questions de climatologie, mais rien qui ressemble à tout ce que véhicule le courant dit « climatosceptique » qu’on pourrait d’ailleurs rebaptiser « climatofalsificateur », car à l’heure actuelle ce serait une caractérisation plus précise. Pourquoi une affirmation aussi cinglante ? C'est que nous avons affaire à des gens qui, quelque soit leur qualité scientifique au départ, n’ayant pas réussi à convaincre en publiant des articles sérieux et convaincants dans les journaux scientifiques, vont participer à des documentaires grand public (style « La Grande Escroquerie du Changement Climatique »), écrire des bouquins, ou s’exprimer sur des sites internet animés par des ingénieurs des mines à la retraite pour dire tout le mal qu’ils pensent du GIEC. Mais même si vous retirez le GIEC, il restera que ces gens n’ont rien de scientifique à proposer. Et la manière dont ils s’adressent au grand public est une escroquerie, une falsification de la science, effectivement, car la plupart des gens n’ont pas les moyens de juger.
9) Pourquoi alors tous ces gens-là s’acharnent à attaquer le GIEC ? Il faut être sacrément aveugle politiquement ou très mal informé pour ne pas voir que le courant climatosceptique, dans son fond politique, a un objectif diamétralement opposé au nôtre : nous voulons plus de contrôle de la population sur les industries (notamment pétrolières), alors qu’eux, veulent au contraire, moins de contraintes et un business prospérant en toute liberté. Si vous n’êtes pas convaincus, faites la liste des principaux scientifiques leaders du climatoscepticisme depuis 30 ans aux USA (allez, je vous aide : Seitz, Singer, Lindzen, Spencer, Michaels, Soon, Balliunas...), prenez les un par un, et enquêtez sur leurs « réseaux sociaux », réfléchissez à ce qu'ils sont, et vous verrez que vous trouverez, pour tous ces gens sans exception, soit les financements pétroliers, soit les lobbys conservateurs antirégulation, soit les créationnistes, soit les 3 à la fois. Dans cette affaire il n’y a que nos braves français Allègre et Courtillot qui font ça gratuitement ! (non, je rigole !). Tout ce monde-là a de l’argent, un accès aux médias énorme, fait beaucoup de bruit. Leur slogan (établi initialement par l’industrie du tabac) c’est : fabriquer de l’incertitude. Ils ne peuvent pas prouver que brûler du pétrole n’influence pas le climat, ni que fumer est bon pour la santé, mais ils peuvent créer un climat de doute qui fait gagner du temps aux pétroliers comme aux industriels du tabac. C’est aussi bête que ça. Et ça marche ! Jusqu'à perturber certains sur ce forum. Mais parmi tous ceux qui ont lu le bouquin d’Allègre, combien ont ne serait-ce que parcouru un seul rapport du GIEC ?
10) D'un autre côté, les résultats et les modèles des climatologues, à la base sérieux et crédibles, ont été utilisés, et déformés, par des courants écologistes ou décroissants pour défendre une politique que nous combattons, et utilisés jusqu’à l’écœurement par les politiciens sur la thématique du « développement durable », depuis Al Gore jusqu’à Sarkozy. Par ailleurs, évidemment, les dirigeants du système capitaliste, déjà incapables par exemple d’empêcher leurs banquiers et traders de s’attaquer à l’euro, ne feront bien sûr rien de sérieux par rapport au réchauffement. Mais cela ne remet pas en cause la science exposée dans les rapports du GIEC. (Au passage, le fait que les climatologues aillent pleurnicher au ministre pour se plaindre des calomnies d'Allègre montre peut-être qu'ils sont des petits bourgeois naïfs et pleurnichards, mais certainement pas que leur science est mauvaise).
Par ailleurs, ce qui fait une grosse différence entre certains écologistes et nous, personne n’a dit parmi les intervenants de la fête de LO que le réchauffement était la menace la plus grave à laquelle était confrontée l’humanité. Aucun camarade ne le pense, j'espère, et par exemple c’est un énorme mensonge que de laisser entendre comme Al Gore que les dégâts de Katrina sont dus au réchauffement. Non, fondamentalement, ils sont dus au système capitaliste et plus précisément à la politique menée par les gouvernements américains qui ont négligé les digues, etc. Pourquoi arrive-t-on à une situation où Cuba, un des pays les plus pauvres du monde, arrive à mieux protéger sa population des cyclones que le pays le plus riche ?
Mais relativiser l'impact du réchauffement et montrer qu'il ne fait qu'ajouter un problème à une société déjà malade du capitalisme, cela ne fait pas de nous des "climatosceptiques" ni des gens qui hurlent avec eux contre le GIEC.
11) J’ai essayé de dire systématiquement dans mon exposé qu’on n’échappera pas au changement climatique. Il est en route, et il est peu probable que l’on puisse l’arrêter. Ce serait par contre souhaitable de le limiter, et l’humanité aurait les moyens de s’y adapter. A condition bien sûr qu’on le comprenne et qu’on s’y prépare, au lieu de le nier stupidement. La conclusion de mon exposé était que malgré tout, il faut plutôt se réjouir de voir que des scientifiques se préoccupent de l’avenir de l’humanité, de l’environnement, et essaient de développer des outils de prévision, qui nous seront bien utiles demain, quand nous serons débarrassés du système capitaliste (mais pas du réchauffement !).
12) J’ajouterai à ma conclusion, en cadeau pour ceux qui ont eu le courage de lire jusque là, que la morale de cette histoire, au-delà du réchauffement, est que ceux qui ont pu se réjouir dans notre milieu qu’Allègre ou Courtillot « brisent le consensus » en « allant dans notre sens » (attaquant la décroissance) se sont lourdement trompés. D’abord parce qu’on ne fonde jamais une politique juste sur une science fausse voire sur des mensonges (car il n’y a pas besoin d’être très calé en climatologie pour voir comment Allègre traite la vérité). Deuxièmement nos idées politiques (et ce qu’on pense de la décroissance, par exemple) sont fondées sur bien d’autres raisonnements que de savoir si l’activité humaine réchauffe la planète ou pas.
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PS1 : je précise que je ne suis pas climatologue, donc pas spécialiste, mais que j'ai essayé de faire un travail sérieux pour étudier ce que disent ces spécialistes et le mettre à disposition du public de la Fête (qui le mérite bien !).
PS2 : je conseille à tous ceux qui veulent un peu sérieusement se faire un avis sur la question de commencer par lire le rapport de synthèse du GIEC de 2007 (ça date un peu mais c’est le dernier), qui est à l’adresse suivante :
http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/a.../ar4_syr_fr.pdfC’est extrêmement bien fait et fort clair. Même si on ne lit pas les 100 pages, et même si on n'a pas fait trop d'études scientifiques, on peut y comprendre pas mal de choses. Il vaut toujours mieux connaître ce dont on parle avant d’écrire des bêtises dessus (c’est pareil pour le marxisme, non ?).
PS3 : bien sûr ici je m’exprime en mon nom propre, comme à la Fête, et pas au nom de LO. Mon camarade Pelon avait raison de dire cela mais il me soutient comme la corde soutient le pendu quand il laisse entendre implicitement qu’un autre camarade pourrait défendre sérieusement un point de vue « climatosceptique ». Ce n’est pas un hasard si les points de vue de la brochure éditée pour le carrousel 2007 et celui que j'ai défendu se ressemblent, car même si on le tentait, on ne pourrait rien présenter de sérieux à partir du salmigondis climatosceptique.