Jorge Semprun est mort

Message par Ottokar » 08 Juin 2011, 06:54

L'article du monde est reproduit ci-dessous.

Comme dit l'auteur dans son style, il "a été le témoin des grandes déchirures politiques du XXe siècle". Traduction en clair : espagnol vivant à l'étranger, adolescent durant la révolution, il devient communiste à la guerre et se fond naturellement dans le mouvement stalinien, participe à la Résistance, est déporté. Il rentre en Espagne militer, connaît la clandestinité des années 50, des années de dures répression sous Franco (ce qu'il a raconté dans "autobiographie de Federico Sanchez" avec des pages et des pages sur Dolores Ibarrui, la "passionaria"). Le mouvement stalinien est une bien mauvaise école. Il suit l'évolution des intellectuels de ce mouvement : après les "révélations" de la période Khrouchtchev, il critique dans les années 60 le manque de démocratie dans les PC, est exclu et se rapproche alors de la social-démocratie dont il finira ministre (de la culture).

Une belle figure, une belle voix, on peut garder de lui le scénario du film Z et de l'Aveu, mais déplorer que, comme tous ces intellectuels révoltés par la misère du monde, attiré par le communisme, il n'ait rencontré que le stalinisme et malgré son intelligence, n'ait pas trouvé les moyens de le critiquer en retrouvant les idéaux communistes, tombant alors dans pire, l'admiration de la démocratie (ou de la social-démocratie), masque agréable de nos sociétés qui continuent à reproduire ce qui l'avait révolté du temps de sa jeunesse.


a écrit :L'écrivain et homme politique espagnol Jorge Semprun est mort à Paris à l'âge de 87 ans, a-t-on appris auprès de son petit-fils Thomas Landman.

Résistant, déporté, dirigeant clandestin du Parti communiste espagnol (PCE), écrivain, ministre, Jorge Semprun a été le témoin des grandes déchirures politiques du XXe siècle, dont il a tiré une œuvre marquante en littérature et au cinéma.

Jorge Semprun naît le 10 décembre 1923 à Madrid dans une famille de la haute bourgeoisie castillane aux valeurs républicaines profondément ancrées. De sa mère, morte quand il avait neuf ans, il évoquait l'image d'une femme brandissant le drapeau républicain à sa fenêtre en 1931, à l'abdication du roi.

Son père, avocat et diplomate républicain, restera pour lui un "exemple moral", qui "a choisi l'exil pour être fidèle à ses idées". Il quitte précipitamment l'Espagne avec ses sept enfants en 1936, quand éclate la guerre civile. D'abord pour les Pays-Bas, puis pour la France en 1939.

"ROUGE ESPAGNOL"

A Paris, Jorge Semprun, brillant étudiant, plonge dans "l'histoire, un continent confus où s'engager corps et âme, quitte à s'y fondre". Le communisme d'abord. En mars 1939, la chute de Madrid tombée aux mains des franquistes lui insuffle la conviction d'être à tout jamais "rouge espagnol".

Avec la seconde guerre mondiale, il s'engage dans un réseau de résistance dépendant de Londres. Mais, en septembre 1943, il est arrêté par la Gestapo, à l'âge de 19 ans, et déporté à Buchenwald. Les communistes se sont infiltrés dans l'administration interne du camp et Semprun s'y voit confier la répartition des détenus dans les différents commandos de travail.

A la libération du camp, en avril 1945, il choisit "l'amnésie délibérée pour survivre". Il rompra ce silence en 1963 avec son premier récit, Le Grand Voyage, et reviendra notamment sur cette expérience douloureuse en 1994, dans L'Ecriture ou la vie.

Après quelques années comme traducteur à l'Unesco, il repart pour l'Espagne, où il coordonne l'action clandestine du Parti communiste espagnol sous le pseudonyme de Federico Sanchez. En 1964, le chef du PCE Santiago Carillo l'exclut du parti pour "déviationnisme".

"ENTRER EN LITTÉRATURE"

Contraint une nouvelle fois à l'exil, coupé de l'activisme politique qu'il considère comme "la création la plus pure", Jorge Semprun choisit alors d'"entrer en littérature", compagne de ses années de jeunesse parisienne et de Buchenwald, où il fuyait la promiscuité en se plongeant dans la poésie.

Ses œuvres sont une réflexion sur sa vie "remplie par le bruit et la fureur du siècle", comme La Deuxième Mort de Ramon Mercader, prix Femina en 1969.
Semprun se fait aussi connaître comme scénariste et dialoguiste de films comme La Guerre est finie (1966) ou Stavisky (1974) d'Alain Resnais. Il est surtout le complice d'Yves Montand et du réalisateur Costa Gavras, qui donne un nouveau souffle au cinéma politique avec Z (1968), sur la dictature des colonels grecs, ou L'Aveu (1970), sur les procès staliniens.

Membre du jury Goncourt à partir de 1996, Jorge Semprun est l'auteur d'Autobiographie de Federico Sanchez (1978), sur son parcours de militant déçu, Netchaiev est de retour (1987) ou Vingt ans et un jour (2004). En 1988, le chef du gouvernement espagnol Felipe Gonzalez lui offre le ministère de la culture, mais l'ancien militant joue les trouble-fêtes, critique certains membres du gouvernement et quitte ses fonctions en 1991.
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Message par artza » 08 Juin 2011, 07:51

(Ottokar @ mercredi 8 juin 2011 à 07:54 a écrit :
Une belle figure, une belle voix, on peut garder de lui le scénario du film Z et de l'Aveu, mais déplorer ...la démocratie (ou de la social-démocratie), masque agréable de nos sociétés

La voix charmeuse d'une figure torve.

Semprun ne fut pas un compagnon de route abusé par le stalinisme pas plus qu'il ne fut un supporter naïf du PS.

Quand au masque agréable de la social-démocratie, parlons pour ceux qui en ont tâté de Luxemburg et des spartakistes à Iveton (et tous les algériens torturés, abattus, guillotinés) et les basques qui rencontrèrent un tueur du GAL sur le pas de leur porte :(
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Message par Ottokar » 08 Juin 2011, 09:55

Merci Professeur Artza, j'étais au courant... je parlais de sa belle gueule, pas de sa figure morale. Cela dit, sur le côté "agréable" de la démocratie, on peut reconnaître sans trahir notre cause que c'est plus vivable sous la movida que sous Franco, sous la démocratie que sous la dictature.

Mais sans illusions. Et les mêmes qui encensent la démocratie aujourd'hui assassineront les Rosa Luxemburg et les Fernand Iveton de demain.

Quant à l'évolution de Semprun, elle est semblable à celle de tous ces intellos qui avaient les moyens de comprendre et ne l'ont pas fait. Un choix individuel et un choix de classe bien évidemment.
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Message par artza » 08 Juin 2011, 16:27

(Ottokar @ mercredi 8 juin 2011 à 10:55 a écrit :

Quant à l'évolution de Semprun, elle est semblable à celle de tous ces intellos qui avaient les moyens de comprendre et ne l'ont pas fait. Un choix individuel et un choix de classe bien évidemment.

Je suis bien d'accord avec ça, tout en sachant qu'il y a plus d'une marche entre la signature de l'Appel de Stockholm ou la gâce des Rosenberg et participer au Bureau politique d'un parti stalinien, comme il y en a plus d'une entre appeler à voter Mitterrand dès le premier tour et être un de ses ministres.

Je ne parlais que des crimes de la social-démocratie, et pour ce qui est des crimes de la démocratie, juin 1848, la commune de Paris, tous les morts ouvriers et paysans toutes les conquêtes coloniales, le massacre des amérindiens du nord etc. alors là le stalinisme n'est qu'un élève zélé dont je ne suis pas sur qu'il ait réussi à dépasser le maître.

C'est un plaisir pour le vieux professeur que je suis d'avoir un élève tel qu'Ottokar :smile: :love:

Pour finir là-dessus je dirais que des films comme Z et Section spéciale ce dernier pas assez connu sont à (re)voir et faire voir.
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Message par Puig Antich » 08 Juin 2011, 20:22

Ce que je retiens de Semprun, c'est le film Z, qui peut être à la fois interprété comme l'aveu de l'impuissance des intellectuels et des démocrates sincères, mais aussi qui ne montre pas qu'il existe une alternative à cela, la révolution socialiste. Un spectateur non convaincu par nos idées, au-delà du grandiose de l'oeuvre, retiendra surtout une idée fataliste.

Et aussi la préface au bouquin de Elisabeth Poretsky, " Les Nôtres ", qui parle surtout de Ignace Reiss, et où je me suis dit : " On tue deux fois les camarades ", d'abord éliminés physiquement par les staliniens, ensuite leurs cadavres récupérés pour servir de faire-valoir à la " démocratie " par les " anti-staliniens ". Bilan globalement négatif du personnage.
Puig Antich
 
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Message par satanas » 10 Juin 2011, 00:45

Quitte à être très banal et pas très respectueux de cette belle et grande figure de la démocratie bourgeoise "éclairée", il faut quand même dire que pendant les derniéres décennies de sa vie, Semprun est resté très militant : contre toute perspective révolutionnaire, contre toute idée d'émancipation des travailleurs, contre tous ceux qui veulent démolir ce monde pourri, il a su utiliser les micros, les cameras, les piedestals, les tribunes ouvertes pour défendre le capitalisme et dénoncer par avance ceux qui osent penserqu'il faut le combattre et l'abattre...

Pas un regret, pas un respect pour l'ancien dirigeant stalinien, l'ancien ministre réac de Gonzalez ou l'infatigable anticommuniste qu'a été Semprun...!
satanas
 
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Message par artza » 10 Juin 2011, 06:38

(satanas @ vendredi 10 juin 2011 à 01:45 a écrit : l'ancien ministre réac de Gonzalez

Un gouvernement qui flatta tout l'appareil d'Etat issu du franquisme et d'abord l'armée, la police, la guardia civil qu'il utilisa contre les nationalistes basques et la classe ouvrière et pour accomplir des missions "illégales" que ces forces ne pouvaient guère accomplir officiellement il promut une sous-traitance le GAL, des truands bordelais recrutés et protégés par des flics français qui assassinèrent en France et un peu en Espagne.
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