Engels et les mathématiques

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par NazimH » 02 Juil 2011, 12:57

Erreur désolé
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Message par Wapi » 02 Juil 2011, 13:07

(Jacquemart @ samedi 2 juillet 2011 à 10:22 a écrit : Sur les maths, "invention ou découverte", j'imagine que c'est un sujet qui est une bouteille à l'encre depuis toujours, non ? Il y a du nouveau ? Des textes relativement abordables par un non spécialiste ?

Du nouveau ? Mais pour quoi faire ? :-P

A mon avis, il vaut mieux commencer par le commencement si on se pose la question de ce que sont devenues les mathématiques depuis leur origine, donc regarder de près ce qui a animé ses fondateurs. Matrok a raison de rappeler le caractère encore platonicien des mathématiciens, mais lui-même est l'héritier de Pythagore et de toute une tradition encore plus ancienne qui voit une harmonie dans la nature dont les mathématiques rendent compte.

Les premiers mathématiciens se sont vécus comme des "révélateurs" des secrets de la beauté du monde, plus que comme des découvreurs (les géographes) ou des inventeurs (archimède et héron d'alexandrie). Ce n'est pas seulement pour jouer sur les mots, c'est que cette opposition invention vs découverte n'est pas toujours pertinente.


En plus de tout ce qu'on peut trouver autour des article de Wikipedia sur ce sujet, il y a cet article sur les mathématiques dans le Timée :

http://www.clevislauzon.qc.ca/professeurs/...RS%5CPLATON.PDF

Celui-ci sur la musique chez Pythagore, qui est l'argument le plus sonnant des mathématiciens en faveur de leur idée d'harmonie pré-établie :

http://www.kulturica.com/pymusique.htm
Wapi
 
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Message par Matrok » 02 Juil 2011, 13:25

(shadoko @ samedi 2 juillet 2011 à 12:15 a écrit : Je ne connais pas cette interview de Serre, si tu peux me la retrouver, ça m'intéresse.
Le portrait de Jean-Pierre Serre est ici. Mais en fait on n'y trouve pas vraiment d'affirmation 100% idéaliste. J'avais confondu avec une interview d'Alain Connes, beaucoup plus explicite : elle est ici et ici (deux parties). Je cite le passage résolument platonicien :

a écrit :Vous présentez souvent cette recherche comme une exploration géographique, à l’image de celle de la Terre. Est-ce plus qu’une métaphore?
Deux points de vue extrêmes s’opposent sur l’activité mathématique. Le premier, dans lequel je m’inscris volontiers, est d’inspiration platonicienne : il postule qu’il existe une réalité mathématique, brute, primitive, qui préexiste à sa découverte. Un monde dont l’exploration passe par la création d’outils, comme il a fallu inventer les navires pour passer les océans. Le mathématicien va donc inventer, créer des théories dont le but est de lever un coin du voile sur cette réalité préexistante.
Le second point de vue est celui des formalistes ; il nie toute préexistence aux mathématiques, estimant qu’elles sont un jeu formel, fondé sur les axiomes et les déductions logiques, donc une pure création humaine. Ce point de vue paraît plus naturel au non-mathématicien, qui renâcle à postuler un monde inconnu dont il n’a aucune perception. Les gens comprennent que les mathématiques sont un langage, mais pas qu’elles constituent une réalité extérieure à l’esprit humain. Les grandes découvertes du XXe siècle, en particulier les travaux de Gödel (2), ont pourtant montré que le point de vue formaliste n’est pas tenable. Quel que soit le moyen exploratoire,le système formel utilisé, il y aura toujours des vérités mathématiques qui lui échapperont, et l’on ne peut réduire la réalité mathématique aux conséquences logiques d’un système formel.

Je dois dire au passage que l'argument qu'il donne contre le point de vue qu'il désigne comme "celui des formalistes" me paraît très insuffisant. Le fait que certains énoncés soient indécidables me semble au contraire aller dans le sens de l'affirmation que les mathématiques sont au moins en partie une création humaine...
Matrok
 
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Message par shadoko » 02 Juil 2011, 14:32

Merci pour les références.

On s'éloigne un peu du sujet initial. Mais note que dans la phrase qui décrit le point de vue dont il semble se réclamer, Connes ne dit pas vraiment où réside cette "mathématique brute, pritmitive, etc.". Dans un monde éthéré des idées? Dans les lois de l'univers dont elle est l'expression directe? Le prétendu "platonisme" qu'il décrit n'est pas forcément si idéaliste que ça. Le passage est trop ambigu à plusieurs endroits pour que j'arrive à me faire une idée de ce qu'il veut vraiment dire, et le reste de l'article ne l'éclaire pas beaucoup.
shadoko
 
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Message par pouchtaxi » 03 Juil 2011, 08:28

Le texte de Van Heij : « Engels et les mathématiques » n’a pas pour seul but de pointer l’incompétence d’ Engels en mathématiques.
« Engels and maths » date de 1948. La même année Van Heij publiait dans « Partisan Review » l’article : « A century balance sheet » qui débute comme un bilan du « Manifeste du parti communiste » un siècle après sa parution.

En fait, à compter de l’année 1948, Van Heij abandonnera d’un même mouvement le trotskysme et le marxisme, « a century balance sheet » en est l’expression publique.

En 1948 Van Heij règle ses comptes avec son passé militant et il se trouve que sa formation de mathématicien (interrompue en 1932, reprise en 1945) l’entraîne à justifier, pour partie, ce rejet du marxisme à l’aide d’un éreintement du pauvre Engels lequel a effectivement commis quelques incursions malheureuses dans le domaine mathématique.

Laurent Schwartz, dans son autobiographie : « Un mathématicien aux prises avec son siècle » tout en confondant « Engels and mathematics » et « a century balance sheet » ne s’y trompe pas. En résumant ce qu’il nomme « la prise de distance avec le trotskysme » de Van Heij il écrit :

a écrit :« Passant au crible les manuscrits mathématiques de Marx, il n’y trouvait guère plus que les connaissances d’un étudiant alerte de notre premier cycle, et s’étonnait qu’il eût pu sérieusement se prendre pour un mathématicien. Face à tant de suffisance, comment,  se demandait  Van Heij, se fier au jugement de Marx sur d’autres sujets ? »


Quelques citations prises dans « Engels and maths » montreront que le souci de Van Heij en rédigeant cet article ne relève pas uniquement de la volonté d’évaluer les connaissances mathématiques d’Engels mais constitue bien une remise en cause de la totalité de l’œuvre d’Engels.


a écrit :« A complete answer to this question would lead us into an examination of Engels' ways of thinking, writing and polemizing. We would have to show by many other examples how he often disregards facts when they do not suit him, how he fads to mention and refute possible objections to his blunt statements, how he answers an opponent by a joke or by calling him names. .......»



« ......Mathematics is undoubtedly the field in which Engels is at his weakest. His views on mathematics, however, are too deeply ingrained in his general conceptions to be dismissed lightly. They form a frame of reference that can never be forgotten in a general examination of his ideas. .......»



« .......only socio-political events, not its intrinsic value, can explain why so mediocre a book as the Anti-Dühring could become the philosophical Bible......... »



«...... This puts the finishing touch to our picture. Engels now stands as a man full of prejudices, unable to freely enter the competition of ideas. .......»





En résumé, je pense qu’on ne peut comprendre la fonction de l’article sur Engels qu’en l’accompagnant de la lecture de « A century balance sheet », que cet article n’est pas le premier article d’histoire des mathématiques d’une carrière brillante dans le domaine de la logique et de l’histoire des fondements mais forme avec "a century ....." le dernier ensemble d'articles politiques de Van Heij.

J'en profite pour signaler une bio de Van Heij par Anita Burdman Feferman : "From Trotsky To Godel. The life of Jean van Heijenoort ".
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Message par Jacquemart » 03 Juil 2011, 08:50

Je ne connaissais pas l'autre texte dont tu parles, mais il est clair à la seule lecture de son article sur les maths que le but de la manœuvre est de disqualifier Engels sur bien d'autres sujets - il ne s'en cache d'ailleurs pas.

Cela dit, si j'en crois les intervenants de ce fil, Engels s'est bel et bien fourvoyé dans le domaine des maths, et son manque de prudence sur un sujet qu'il ne maîtrisait visiblement pas paraît tout de même assez surprenant.
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Message par Ottokar » 03 Juil 2011, 09:13

j'avoue mon incompétence (bien connue d'un certain nombre d'intervenants) en maths et mon ignorance (inexcusable) du texte de Van Heijenoort. Cela dit, Cedric Viviani, la médaille Fields de maths venu à la fête de LO cette année a fait référence à un texte de Marx sur le calcul intégral sans avoir l'air de dire que c'était nul.

Et puis, l'Anti Dühring est un texte essentiellement politique, contre un charlatan nullissime qui avait quelques succès au moment où le parti social démocrate prenait son essor, dans les années 1870 ou 80. Et puis, les staliniens ont tout ossifié, et la moindre parole des maîtres est devenue sacrée et répétée sans comprendre... et puis si je comprends bien (mais il faut que je lise Van Heij.) le texte que vous citez ne discute pas de maths, mais de l'abandon du marxisme, en prenant prétexte des maths.

Bref, j'aurais tendance pour ma part à essayer de sauver le vieil Engels, en comprenant sa démarche, ce qu'il savait et ne savait pas, ce qu'il cherchait à faire passer comme idées, même si ses exemples peuvent paraître aujourd'hui dépassés ou faux, comme ils le peuvent l'être en ethnologie par exemple sur la famille.
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Message par shadoko » 03 Juil 2011, 09:39

Non, le texte cité parle quasi-exclusivement de maths, même s'il est effectivement une sorte de prétexte pour Van Heijenoort de jeter le bébé avec l'eau du bain, et de prendre par la suite ses distances par rapport au marxisme. Schwartz a suivi à peu près le même chemin.

Il n'en reste pas moins que ses critiques, qui sont dans ce texte concentrées sur le plan mathématique, sont à mon avis parfaitement fondées. Puisqu'on s'oriente dans cette direction (je ne crois pas que c'était vraiment l'objet du fil), il va sans dire que je ne partage ni l'opinion de Schwarz, ni celle de Van Heijenoort, sur l'ensemble de l'oeuvre d'Engels. Sur l'anti-Dühring, je suis bien d'accord avec ta description.

a écrit :
Bref, j'aurais tendance pour ma part à essayer de sauver le vieil Engels, en comprenant sa démarche, ce qu'il savait et ne savait pas, ce qu'il cherchait à faire passer comme idées, même si ses exemples peuvent paraître aujourd'hui dépassés ou faux, comme ils le peuvent l'être en ethnologie par exemple sur la famille.

Malheureusement, ça n'est pas du tout du même niveau. Dans un cas, il connaît ce qui se fait à l'époque et même s'il faut remettre à jour ou modifier au vu des connaissances ethnologiques accumulées depuis, la démarche est la bonne. Dans l'autre il parle sans avoir la moindre idée des connaissances de son époque même et dit des énormités. Bon courage pour sauver quoi que ce soit là-dedans.

A mon avis, de toutes manières, l'examen des opinions sur les mathématiques d'Engels n'est pas d'un intérêt faramineux. Il a dit des conneries, c'est pas central dans son oeuvre, ça ne remet pas tout en question, restons calmes, et passons au chapitre suivant (je ne dis pas ça pour couper la discussion, mais simplement pour remettre les choses au niveau où elles sont).
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Message par NazimH » 03 Juil 2011, 09:54

Bon je vais quand même rapidement dire ce que je pense du sujet.

Les maths ne sont pas une science mais un outil de formalisation. Quand Engels en parle la plupart du temps il en considère l’application ( le fait qu'elles se sont développées en nécessité de si vous préférez) en physique (ou dans un autre domaine plus rarement).
L'objet des articles d'Engels étant d'expliquer le fonctionnement dialectique (évolutionniste) du monde réel.
Mais évidemment les maths étant un outil de formalisation leur forme propre fait que si on prend au pied de la lettre mathématique les axiomes puis les théorèmes qui les composent on n'arrive on peut très bien écrire qu'Engels délire.

C'est à mon avis ce que fait Van Heijenoort en profitant de sa supériorité en culture mathématique pour embrouiller les raisonnements généraux d'Engels.

Par exemple ce qui est notable c'est qu'Engels souligne l'importance du calcul différentiel. Je serai incapable de dire si c'est toujours exact aujourd’hui.
Par contre si on laisse de côté les remarques de Van Heijenoort sur le vocabulaire formellement faux d'Engels sur le plan des maths reste ce qu'il veut souligner : le fait qu'une branche importante des maths s'est préoccupée de fournir une formalisation du mouvement, de l'évolution et que pour cela elle a du introduire des outils révolutionnaires -au moins par rapport aux premières façons de modéliser le monde où les premiers mathématiciens se fixèrent des limites, des interdits car ils pensaient que l'infiniment petit ou l'infiniment grand appartenaient seuls aux dieux.

Van Heijneoort se moque du fait qu'Engels ignorerait -ou presque car son raisonnement est totalement in absentia- les géométries non euclidiennes. Il aurait fait peut-être œuvre plus utile en expliquant que dans le domaine de la géométrie il est arrivé le même phénomène que dans celui de du mouvement avec les différentielles : les mathématiciens ont introduit des concepts qui peuvent sembler ahurissants, "irréalistes", pour mieux décrire le monde. Pour reprendre un langage "engelsien", il faut nier le monde pour mieux y retourner (bon là je sais que j'abuse).
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Message par Matrok » 03 Juil 2011, 11:55

Une remarque en passant : van Heijenoort écrit :
a écrit :Suffice it to say that the fate of Engels' writings has been determined by social considerations rather than by a rational examination of their contents; only socio-political events, not its intrinsic value, can explain why so mediocre a book as the Anti-Dühring could become the philosophical Bible (if we may use these two words together) of so many men.

(traduction a écrit :Il suffit de dire que le destin des écrits d'Engels a été déterminé par des considérations sociales plutôt que par un examen rationnel de leurs contenu ; ce sont seulement des évènements socio-politiques, et non sa valeur intrinsèque, qui a fait qu'un livre aussi médiocre que l'Anti-Dühring a pu devenir la Bible philosophique (si ces deux mots peuvent être utilisés ensemble) de si nombreux hommes.

Le jugement est sévère... mais dans le fond, même si je trouve assez ridicule de qualifier l'Anti-Dühring de "médiocre", je suis assez d'accord sur un point : c'est que de considérer ce livre ou d'autres, quelle que soit leur qualité, comme une Bible, est une facilité dans le fond assez dangereuse. Comme le disait ironiquement Daniel Bensaïd, "une faute d'orthographe dans le Talmud et le monde s'écroule"...
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