Langue et marxisme

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par canardos » 07 Avr 2012, 12:20

l’hypothèse de chomsky avait été vigoureusement critiquée par Daniel Dennet dans son livre Darwin's Dangerous Idea" avec un chapitre "Chomsky Contra Darwin: Four Episodes".

le livre est paru en français mais épuisé

suite à ce livre Chomsky avait répondu. voila sa réponse avec la réplique à sa réponse par le biologiste évolutionniste de John Maynard Smith, mort en 2004 auteur notamment de On Evolution, The Evolution of Sex, Evolution and the Theory of Games, et, avec Eörs Szathmáry, de The Major Transitions in Evolution. (Decembre 2000). John Maynard Smith est l'un des concepteur de la théorie synthétique de l'évolution et sur le sujet du langage il a également écrit en 2003, un an avant sa mort Animals Signals (avec David Harper) consacré à la communication entre les êtres vivants.

a écrit :

Language and Evolution
February 1, 1996
Noam Chomsky, reply by John Maynard Smith
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In response to:

Genes, Memes, & Minds from the November 30, 1995 issue                                                 

To the Editors:

John Maynard Smith [NYR, November 30, 1995] quotes a phrase of mine that he finds “completely baffling” though “typical of” what I say about evolution. It is mere truism, as is clear when we restore the context, which he virtually repeats.

Smith is referring to 1986 lectures of mine which (as often before) begin with the assumption that language is part of “shared biological endowment” and can be studied in the manner of other biological systems. I pointed out that “evolutionary theory…has little to say, as of now,” about such matters as language, and progress may require better understanding of “what kinds of physical systems can develop under the conditions of life on earth,” exactly as in the study of evolution of the visual system, for example. One research direction is suggested by cases in which “organs develop to serve one purpose, and, when they have reached a certain form in the evolutionary process, became available for different purposes, at which point the processes of natural selection may refine them further for these purposes” (well-known proposals about evolution of insect wings are mentioned as a possible illustration; irrelevantly, alternatives have since been proposed, illustrating the same point). In general, when we consider the space of physical possibilities and specific contingencies, the apparent difficulty “even to imagine a course of evolution that might have given rise to [language or wings]” may be overcome.

Smith cites only the last phrase quoted, misreading it as placing language and wings outside the scope of evolutionary theory—”baffling” no doubt, and exactly the opposite of what the passage unambiguously states, which he then repeats, noting that the apparent difficulty of imagining a course of evolution might be overcome by recognizing that organs “usually arise…as modifications of preexisting organs with different functions,” as in the illustration I gave to make just that point. He then advises “Chomsky’s students, if not the great man himself,” that “linguistics cannot ignore biology”; or to put it more strongly, that the “language organ” can be studied in the manner of other biological systems. It’s nice to have the acquiescence of another distinguished evolutionary biologist, though one might think of a different way to express it.

The frantic efforts to “defend Darwin’s dangerous idea” from evil forces that regard it as neither “dangerous” nor even particularly controversial, at this level of discussion, hardly merit comment. Perhaps it is possible to disentangle issues worth discussion. Only under quite different ground rules, however.

Noam Chomsky
Massachusetts Institute of Technology
Cambridge, Massachusetts
John Maynard Smith replies:

I am delighted that Professor Chomsky agrees that the origin of language, like that of other complex organs, must ultimately be explained in Darwinian terms, as the result of natural selection. If I have misinterpreted his earlier writings on this topic, I am sorry, although in self-defense I must add that the remark of his that I quoted does not readily bear the interpretation he now places on it. However, the important thing now is that the way is open for linguists and geneticists to work together on the origin of linguistic competency, both in evolution and in individual development.

canardos
 
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Message par canardos » 07 Avr 2012, 12:53

mais enfin les thèses de Chomsky étaient suffisamment proches de celles des tenants de l'intelligent design pour qu'il soit cité in absentia par les créationnistes à l'appui de leurs thèses lors du fameux proces dans l'Etat du kansas sur l'enseignement du créationnisme à l'école.

voila les citations évoquées notamment lors de ce procès:

a écrit :

    It is perfectly safe to attribute this development [of innate language structures] to "natural selection", so long as we realize that there is no substance to this assertion, that it amounts to nothing more than a belief that there is some naturalistic explanation for these phenomena. [Noam Chomsky, Language and Mind, 1972, p. 97]

    In studying the evolution of mind, we cannot guess to what extent there are physically possible alternatives to, say, transformational generative grammar, for an organism meeting certain other physical conditions characteristic of humans. Conceivably, there are none -- or very few -- in which case talk about the evolution of the language capacity is beside the point. [Chomsky 1972 p. 98]

    It surely cannot be assumed that every trait is specifically selected. In the case of such systems as language or wings it is not even easy to imagine a course of selection that might have given rise to them. A rudimentary wing, for example, is not "useful" for motion but is more of an impediment. [Noam Chomsky Language and Problems of Knowledge: the Managua Lectures 1988 p 167]

    It may be that at some remote period a mutation took place that gave rise to the property of discrete infinity, perhaps for reasons that have to do with the biology of cells, to be explained in terms of properties of physical mechanisms, now unknown. . . . Quite possibly other aspects of its evolutionary development again reflect the operation of physical laws applying to a brain of a certain degree of complexity. [Chomsky 1988, p. 170]
canardos
 
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Message par com_71 » 07 Avr 2012, 13:17

Sur le sujet il y a Leroi-Gourhan (le geste et la parole). J'avais trouvé ça bien mais j'ai totalement oublié pourquoi. :(
L’intérêt ne pense pas, il calcule. Les motifs sont ses chiffres. K. Marx, « Débats sur la loi relative au vol de bois » 1842.
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com_71
 
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Message par Gaby » 07 Avr 2012, 15:07

(canardos @ samedi 7 avril 2012 à 13:53 a écrit : mais enfin les thèses de Chomsky étaient suffisamment proches de celles des tenants de l'intelligent design pour qu'il soit cité in absentia par les créationnistes à l'appui de leurs thèses lors du fameux proces dans l'Etat du kansas sur l'enseignement du créationnisme à l'école.
:mellow:

:blink:

Quel procédé surprenant de ta part. C'est vraiment pas une façon de faire ça. Réfléchis donc aux ordures qui se servent de l'autorité intellectuelle de Marx, par exemple, et demande si on peut faire des liens de la sorte...
Gaby
 
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Message par canardos » 07 Avr 2012, 15:29

l'argument de Chomsky pour l'acquisition du langage est exactement celui de l'"irreductible complexité" évoque par les tenants de l'intelligent design. Chomsky n'en conclut pas à l'existence de dieu qui guide l’évolution mais il évoque soit une macromutation soit une exaptation qu'aurait permis à un moment donné en une seule fois l'acquisition de ces fonctions sans que la sélection naturelle darwinienne y soit pour quelque chose.

l'argument des créationnistes est de dire que la théorie synthétique de l'évolution, la forme moderne du darwinisme ne peut expliquer la formation d'organes complexes et ils se sont servi de évidemment de la position de Chomsky sur le langage humain pour soutenir leur position.

évidemment que Chomsky a été cité in abstentia et n'a rien à voir avec les créationnistes.

il n’empêche que sa position donnerait du grain à moudre aux adversaires de l'évolution si les scientifiques des différentes disciplines concernées par ce problème n'étaient pas capables de répondre aux objections de Chomsky et de proposer des scénarios crédibles et compatibles avec avec les faits.
canardos
 
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Message par canardos » 07 Avr 2012, 17:42

sur le site "le cerveau à tous les niveaux" de l'universite McGill de Montreal j'ai trouvé cette petite présentation qui résume pas mal le problème:

a écrit :


Capsule outil : La grammaire universelle de Chomsky

Durant toute la première moitié du XXe siècle, les linguistes qui ont émis des hypothèses sur nos capacités à parler l'ont fait dans le courant behavioriste de l'époque. Comme n'importe quel apprentissage, l'émergence du langage s'expliquait par essais, erreurs et récompenses successives. Autrement dit, l'enfant apprenait sa langue par simple imitation en écoutant et reproduisant ce que l'adulte dit.

Cette vision des choses fut radicalement remise en question par le linguiste Noam Chomsky. Pour lui, l'acquisition du langage ne peut pas être un répertoire de réponses à des stimuli puisque chaque phrase que quelqu'un produit peut être une combinaison totalement nouvelle de mots. En effet, lorsque nous parlons, nous combinons un nombre fini d'éléments, les mots, pour créer une infinité de structures plus grandes, les phrases.

D'autre part, le langage est régi par un grand nombre de règles et de principes qui président notamment à l'ordre des mots dans les phrases (la syntaxe). On appelle " grammaire générative " cet ensemble de règles qui nous permet de comprendre les phrases et dont nous sommes, le plus souvent, totalement inconscient. C'est elle qui fait que tout le monde dit " tout le monde dit " plutôt que " le monde tout dit ". Ou encore qui permet de savoir que " le " et " Pierre " ne peuvent désigner la même personne dans la phrase " Pierre l'aime " mais le peuvent dans " le père de Pierre l'aime ". En passant, on voit que ce que désigne la grammaire générative n'a rien à voir avec les livres de grammaire scolaires dont le but est simplement d'expliquer ce qui est grammaticalement correct ou incorrect dans une langue donnée.

Or avant l'âge de 5 ans, les enfants sont capables, sans enseignement formel, de produire et d'interpréter avec cohérence des phrases qu'ils n'ont jamais rencontrées auparavant. C'est cette capacité extraordinaire d'accéder au langage malgré une exposition très partielle aux variantes syntaxiques permises qui amena Chomsky à formuler son argument de la " pauvreté de l'apport " qui fut à la base de la nouvelle approche qu'il proposa au début des années soixante.

 
Pour Chomsky, si les enfants développent si facilement les opérations complexes du langage c'est qu'ils disposent de principes innés qui les guident dans l'élaboration de la grammaire de leur langue. En d'autres termes, l'hypothèse de Chomsky consiste à dire que l'apprentissage du langage est facilité par une prédisposition de nos cerveaux pour certaines structures de la langue.

Mais quelle langue ? Car on voit que pour que l'hypothèse de Chomsky tienne la route, il faut que toutes les langues du monde partagent certaines propriétés structurelles. Or malgré des grammaires très différentes, Chomsky et les autres linguistes dits " générativistes " comme lui, ont pu montrer que les quelques 5 ou 6 000 langues de la planète partagent un ensemble de règles et de principes syntaxiques. Pour eux, cette " grammaire universelle " serait innée et inscrite quelque part dans la circuiterie neuronale du cerveau humain. Les enfants seraient donc à même de sélectionner parmi les phrases qui leur viennent à l'esprit uniquement celles qui sont conformes à une " structure profonde " encodée dans nos circuits cérébraux.

La grammaire universelle

La grammaire universelle constitue donc un ensemble de contraintes inconscientes qui nous permet de décider si une phrase est bien formée. Cette grammaire mentale n'est pas nécessairement identique pour toutes les langues, mais le processus par lequel, pour une langue donnée, certaines phrases sont perçues comme correctes et d'autres non serait, lui, universel et indépendant de la signification.

Ainsi, on perçoit tout de suite que la phrase " Robert livre lit le " n'est pas correcte en français même si l'on peut avoir une bonne idée de sa signification. À l'opposé, une phrase comme " Les idées vertes incolores dorment furieusement " est grammaticalement correcte en français, bien qu'insensée.

Une métaphore permettant de saisir ce que Chomsky entend par un " ensemble de contraintes " pour parler de sa grammaire universelle serait par exemple le jeu de dés. Avant de lancer un dé, on ne peut savoir si le résultat sera 1, 2, 3, 4, 5 ou 6, mais personne ne pariera que le résultat sera 7 ou 3,14. Un bébé naissant peut ainsi parler plusieurs langues suivant le pays de sa naissance, mais il ne les parlera pas n'importe comment : il suivra certaines structures préférentielles.

Pour schématiser le caractère inné de ces structures, on pourrait dire que ce ne sont pas des choses que l'on apprend mais bien des choses qui nous arrivent. Au même titre que ce sont des bras et non des ailes qui se développent chez l'enfant, celui-ci apprend naturellement à parler, et non à braire ou à rugir...


Observations qui appuient la conception chomskienne du langage

Dans les années 1960, cette théorie eut l'effet d'un gros caillou lancé dans la mare tranquille de l'empirisme qui régnait depuis la fin des "Lumières " et qui stipulait que l'enfant venait au monde avec un esprit semblable à un tableau noir encore vierge, autrement dit une tabula rasa.

Mais les recherches en sciences cognitives, nées de la mise en commun des outils de la psychologie, de la linguistique, de l'informatique et de la philosophie, allaient bientôt donner encore plus de poids à la théorie de la grammaire universelle. On constate par exemple que des enfants de quelques jours seulement sont capables de distinguer les phonèmes de toutes les langues et semblent dotés d'un dispositif inné de traitement des sons de la voix humaine.

Les enfants auraient donc dès leur naissance certaines capacités linguistiques qui les prédisposent non seulement à acquérir une langue complexe, mais aussi à en créer une de toute pièce si la situation l'exige. C'est le cas par exemple d'enfants exposés à un pidgin à l'âge où l'on acquiert notre langue maternelle. Les pidgins sont un alignement chaotique de mots qu'utilisaient les esclaves de langues différentes pour se parler au temps des plantations. Il ne s'agit pas d'un langage à proprement parler puisqu'il y a énormément de variations dans l'ordre des mots et très peu de grammaire. Mais les enfants élevés de parents qui parlaient un pidgin ne se contentèrent pas de simplement reproduire les suites de mots de leurs parents, mais y introduisirent spontanément une complexité grammaticale. En une seule génération, une nouvelle langue créole était née.

Chomsky et l'évolution du langage

Bon nombre d'auteurs, faisant leur l'approche de la psychologie évolutive, pensent que le langage a été façonné par la sélection naturelle. Certaines modifications génétiques aléatoires auraient ainsi été sélectionnées pendant des millénaires pour procurer à certains individus un avantage adaptatif décisif. Que cet avantage fut au niveau de la coordination de la chasse, de la prévention des dangers ou de la communication entre les partenaires demeure toutefois incertain. Pour sa part, Chomsky ne conçoit pas l'origine de nos facultés linguistiques comme le résultat d'une quelconque pression sélective, mais plutôt comme une sorte d'accident fortuit.

Cette affirmation s'appuie entre autres sur des travaux qui concluent que la récursivité, c'est-à-dire la possibilité d'enchâsser une proposition à l'intérieur d'une autre proposition ("la personne qui chantait hier avait une belle voix"), pourrait être la seule composante spécifiquement humaine du langage. Selon les auteurs de ces études, la récursivité ne serait d'abord pas apparue pour nous aider à communiquer. Elle se serait plutôt développée pour nous aider à résoudre d'autres problèmes liés par exemple à la quantification numérique ou encore aux relations sociales (répondant ainsi à la définition d'exaptation mise de l'avant par S.J. Gould). Ce ne serait qu'une fois cette capacité connectée aux autres composantes motrices et perceptuelles du langage que nous aurions eu accès à la complexité du langage humain. Or pour Chomsky et ses collègues, rien n'indique que cette connexion ait été dirigée par la sélection naturelle. Pour eux, elle pourrait être simplement la conséquence d'un autre type de réorganisation neuronale.


Le programme minimaliste

Dans les années 1990, Chomsky a concentré ses travaux sur ce qu'il a appelé le " programme minimaliste ". Celui-ci tente de démontrer que les facultés langagières du cerveau sont les facultés minimales auxquelles on pourrait s'attendre étant donné certaines conditions extérieures qui nous sont imposées de manière indépendante.

Autrement dit, Chomsky met moins l'accent sur quelque chose comme une grammaire universelle inscrite dans notre cerveau que sur un grand nombre de circuits cérébraux plastiques. Et avec cette plasticité viendrait un nombre infini de concepts. Notre cerveau procéderait alors à une association des sons et des concepts. Et les règles de grammaire que l'on observe ne seraient en fait que les conséquences, ou les effets secondaires de la façon dont le langage fonctionne. On peut par exemple décrire le fonctionnement d'un muscle avec des règles, mais ces règles ne font qu'expliquer ce qui arrive au niveau du muscle, pas les mécanismes utilisés par le cerveau pour générer ces règles.

Critiques aux théories de Chomsky

Chomsky continue donc de penser que le langage est " pré-organisé " d'une façon ou d'une autre dans la structure neuronale du cerveau humain et que l'environnement ne vient que sculpter les contours de ce réseau en une langue particulière. Une approche qui demeure radicalement opposée à celle de Skinner ou Piaget où le langage n'était construit que par la simple interaction avec l'environnement. Cette conception behavioriste où l'acquisition du langage n'est qu'un " produit dérivé " du développement cognitif général fondé sur l'interaction sensori-motrice avec le monde avait semble-t-il été abandonnée suite aux thèses de Chomsky.

Mais l'idée que ce ne pourrait être que les habiletés générales du cerveau qui sont "pré-organisés" est revenue bousculer l'édifice des théories chomskyennes par la voix des biologistes évolutionnistes. Ceux-ci estiment que ce n'est pas l'angle de la syntaxe qui doit être adopté pour essayer de comprendre le langage mais bien la perspective évolutive et les structures biologiques qui en sont issues. Pour Philip Lieberman par exemple, le langage n'est pas un instinct encodé dans les réseaux corticaux d'un "organe du langage" mais bien une compétence apprise qui s'appuie sur un système fonctionnel ("functional language system" en anglais) distribué dans de nombreuses structures corticales et sous-corticales.

Bien que Lieberman reconnaisse que le langage humain soit, et de loin, la forme de communication animale la plus sophistiquée, il ne croit pas qu'il s'agisse d'une forme qualitativement différente comme le prétend Chomsky. Pour lui, point n'est besoin de faire appel à un saut quantique dans l'évolution ou à une région particulière du cerveau qui serait le siège de cette innovation. Le langage peut au contraire être décrit comme un système neurologique fait de plusieurs habiletés fonctionnelles séparées.

Pour Lieberman et d'autres comme Terrence Deacon, ce sont les circuits neuronaux de ce système, et non un quelconque organe du langage, qui constituent un ensemble prédéterminé génétiquement limitant les caractéristiques possibles d'un langage. En d'autres termes, nos ancêtres auraient inventé des modes de communication compatibles avec les habiletés naturelles du cerveau. Et les contraintes inhérentes à ces habiletés naturelles se traduiraient ensuite concrètement par des structures universelles du langage.

Un autre courant alternatif à la grammaire universelle de Chomsky est celui de la sémantique générative développée par George Lakoff. Contrairement à Chomsky pour qui la syntaxe est indépendante de la signification, du contexte, des connaissances, de la mémoire, etc., Lakoff montre que la sémantique, le contexte ou d'autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte dans les règles qui gouvernent la syntaxe. La métaphore, autrefois vue comme une simple construction linguistique, devient aussi avec Lakoff une construction conceptuelle essentielle et centrale dans le développement de la pensée.

Finalement, même parmi ceux qui adhèrent à la grammaire universelle de Chomsky, il y a différentes positions qui s'affrontent, en particulier sur la façon dont cette grammaire universelle a pu émerger. Steven Pinker adopte ainsi une position adaptationniste qui s'écarte considérablement de la thèse de l'exaptation prônée par Chomsky.

canardos
 
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Message par shadoko » 07 Avr 2012, 19:41

(canardos a écrit :
l'argument de Chomsky pour l'acquisition du langage est exactement celui de l'"irreductible complexité" évoque par les tenants de l'intelligent design. Chomsky n'en conclut pas à l'existence de dieu qui guide l’évolution mais il évoque soit une macromutation soit une exaptation qu'aurait permis à un moment donné en une seule fois l'acquisition de ces fonctions sans que la sélection naturelle darwinienne y soit pour quelque chose.

Ce n'est pas du tout ce que je comprends de la lecture du papier de Hauser, Chomsky et Fitch. Par exemple, je ne comprends pas du tout ton utilisation du mot "macromutation" (que je ne retrouve pas dans les mots des auteurs). Ils émettent l'hypothèse que la récursion, la capacité à construire des phrases avec des subordonnées imbriquées, ou à compter d'une certaine manière, pour faire simple, est devenue une capacité globale chez l'humain à la différence des autres animaux. Et selon eux, c'est arrivé soit par "des pressions sélectives" particulières à notre passé évolutif (par opposition à celui d'autres animaux), soit comme conséquence d'autres recablages neuronaux (qui auraient eu lieu pour d'autres raisons indépendantes). Je ne vois aucunement l'idée d'une énorme mutation soudaine.

Peut-être Chomsky a-t-il adapté sa théorie et qu'il prétendait cela avant, mais si l'on en croit ce papier, ça ne semble plus être le cas.

La conclusion de leur papier:
(Chomsky et al. a écrit :
One possibility, consistent with current thinking in the cognitive sciences, is that recursion in animals represents a modular system designed for a particular function (e.g., navigation) and impenetrable with respect to other systems. During evolution, the modular and highly domain-specific system of recursion may have become penetrable and domain-general. This opened the way for humans, perhaps uniquely, to apply the power of recursion to other problems. This change from domain-specific to domain-general may have been guided by particular selective pressures, unique to our evolutionary past, or as a consequence (by-product) of other kinds of neural reorganization. Either way, these are testable hypotheses, a refrain that highlights the importance of comparative approaches to the faculty of language.


Enfin, les partisans de l'intelligent design peuvent bien citer Chomsky, personnellement, je m'en tamponne et je préfère lire directement ce qu'il écrit. Je dois d'ailleurs dire que son papier ne m'a pas beaucoup convaincu, faute de précision dans ses concepts.
shadoko
 
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Message par canardos » 07 Avr 2012, 23:51

effectivement dans cet article chomsky est plus nuancé que dans d'autres. je vais renvoyer les lecteurs au chapitre 5.3 du livre de Dessalles Why We Talk: The Evolutionary Origins of Language.

ce chapitre s'intitule "the role of macromutation in the emergence of language et comporte de longue citations d'autres articles de Chomsky, Stephen.J.Gould, et Piatelli qui illustrent cette vision d'un saut evolutif unique qui ne peut s'expliquer par un processus de sélection naturelle portant sur l'aptitude au langage.

comme google book est protégé contre la copie je vais donner les références et donner le lien vers ce chapitre

THE ROLE OF MACROMUTATION IN THE EMERGENCE OF LANGUAGE



les références:

chomsky 1968-60
chomsky 1975, 10-11
chomsky 1975,58-9
chomsky 1981-23

piattelli 1989-22

Chomsky ne parle pas explicitement de macromutation mais il a une vision saltationniste de l’évolution du langage Il rejette clairement l'idée d'une évolution graduelle d'un protolangage vers un langage évolué, et que l’évolution du cerveau puisse être le produit d'un processus de sélection naturelle.

wikipedia:
a écrit :

En biologie, le saltationnisme est l'idée selon laquelle les macromutations sont le moyen par lequel des sauts évolutifs importants pourraient se produire en une seule génération. Cette saltation (le saut évolutif) étant le passage par sauts brusques d'une valeur stable à une autre valeur stable espacé par une période de stase (période où l'espèce n'évolue pas).

Cette théorie est opposée au gradualisme admis par la Théorie synthétique de l'évolution qui implique les changements évolutifs sont lents et progressifs.



et effectivement c'est Stephen.j. Gould qui soutenait Chomsky au nom de la théorie des équilibres ponctués qui a utilisé le terme de macromutation pour défendre la thèse des Chomsky. Chomsky lui meme, en tant que linguiste, n'a pas utilisé cette expression.
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Message par shadoko » 08 Avr 2012, 10:41

Je ne suis toujours pas bien convaincu par l'interprétation que tu fais de ces extraits. En fait, le mot "macromutation" n'est prononcé que par l'auteur du livres que tu cites, ni par Gould, ni par Chomsky. La seule citation qui figure dans ce livre et qui mentionne une "mutation" plus ou moins unique n'est pas de Gould, mais de Bickerton, p. 102 du livre que tu cites. J'ai d'ailleurs du mal à comprendre précisément ce que l'auteur du livre, Dessalles, entend par "macromutation".
(canardos a écrit :
[Chomsky] rejette clairement l'idée d'une évolution graduelle d'un protolangage vers un langage évolué, et que l’évolution du cerveau puisse être le produit d'un processus de sélection naturelle.

En tout cas, ce n'est pas ce que je comprends des citations de Chomsky qui figurent dans ce livre. Je pense que tu extrapoles trop. Nulle part Chomsky ne dit que l'évolution du cerveau ne peut être le produit d'un processus de sélection naturelle. Ce qu'il semble contester, au vu des citations, c'est que la fonction langage du cerveau ait évolué graduellement par un processus de sélection naturelle qui s'exerce directement sur cette fonction langage, car il y voit trop de discontinuités. Au contraire, il pense que c'est le résultat de l'évolution d'autres fonctions du cerveau, qui n'ont peut-être rien à voir directement avec le langage, qui seraient responsables, par ricochet en quelque sorte, de changements sur la partie langage. Mais il ne dit certainement pas que ces évolutions, elles, n'ont elles rien à voir avec la sélection naturelle, et il n'arrive certainement pas à la position générale "que l’évolution du cerveau [ne peut] être le produit d'un processus de sélection naturelle".

Mais peut-être as-tu d'autres sources sous la main qui invalident ce que je dis? Encore une fois, je me contente de lire ce que tu as mis, et d'essayer de démêler les fils, mais je n'ai pas vraiment d'information extérieure.
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Message par canardos » 08 Avr 2012, 11:19

effectivement, Bickerton, un linguiste comme Chomsky, avait accepté dans un article de 1990 faute de trouver une autre explication l’hypothèse de Chomsky sur l'apparition en une seule fois du langage organisé et l'explication de Gould (celle la je vais la retrouver) sur une possible macromutation unique qui expliquerait cela en réorganisant les connections entre les différentes zones du cerveau.

Cette macromutation aurait ainsi permis par exaptation c'est à dire par utilisation pour de nouvelles taches de zones utilisées jusqu'à présent par d'autre taches l'utilisation d'un langage syntaxique permettant d'associer dans n'importe quel ordre des mots et des concepts donc permettant une infinité de combinaisons mentales et langagières.

ça se serait fait en une seule fois, d'un coup homo erectus devenu homo sapiens aurait démultiplié ses possibilités d'expression cela aurait permis une explosion culturelle coïncidant avec l'expansion de homo sapiens hors d’Afrique.

depuis bickerton a révisé sa position en adaptant la vision de Daniel Dennet de Maynard Smith et des autres évolutionnistes darwiniens et notamment la théorie de la construction de niches. j'expliquerai cette théorie dans un autre post.

sur l'évolution du cerveau je me suis mal exprimé shadoko, je voulais dire l’évolution des capacités cérébrales permettant l'utilisation d'un langage syntaxique. la probabilité pour que les nombreuses zones du cerveau utilisées actuellement pour le langage se soient développées progressivement pour d'autres fonctions et qu'à un moment T des développement parallèles aient permis par exaptation l'apparition du langage syntaxique est quasiment nulle. c'est bien pour ça que l’hypothèse de la macromutation a été avancée par Gould et reprise par Bickerton dans un premier temps.

Et il resterait à expliquer pourquoi le cerveau des hominidés a augmenté progressivement et quels avantages évolutifs cette croissance aurait apporté alors cette augmentation de taille du cerveau avant l'apparition toute récente d'un langage syntaxique. Comment ont-ils pu améliorer leurs outils et comment ils ont pu utilisé le feu, appliquer des techniques de chasse collectives qui supposent anticipation partage des taches et du butin, enterrer leurs morts dans le cas des néandertaliens si ils utilisaient encore un protolangage proche des systèmes de communication des grands singes.
canardos
 
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