Charlie Hebdo : l'ultime plaidoyer de Charb
Ancien directeur de la publication de Charlie Hebdo, le caricaturiste Charb, assassiné le 7 janvier avec 11 autres personnes, publie un livre posthume intitulé Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes. LeJDD.fr a lu cet ouvrage qui sort jeudi.
Le texte avait été achevé le 5 janvier 2015. Soit deux jours avant l’attentat perpétré par les frères Kouachi dans l’enceinte de Charlie Hebdo. Douze personnes avaient alors été tuées dont le directeur de la publication, Charb. Trois mois plus tard, les éditions Les Echappés, maison d’édition de Charlie Hebdo publie une sorte de témoignage posthume du caricaturiste.
Dans ce court texte de 89 pages intitulé Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes, Charb fait en particulier le procès du terme islamophobie. Le mot n'est "pas seulement mal choisi, il est dangereux", estime-t-il. "Les militants communautaristes qui essaient d'imposer aux autorités judiciaires et politiques la notion 'd'islamophobie' n'ont pas d'autre but que de pousser les victimes de racisme à s'affirmer musulmanes", plaide le dessinateur de presse.
"Un non-croyant, malgré tous ses efforts, ne peut pas blasphémer"
Charb s’en prend également aux médias, qui selon lui ont promu l’expression islamophobie : "Le terme 'islamophobie' ne connaîtrait pas ce succès délirant sans la complicité, le plus souvent imbécile, des médias", dit-il. "Par fainéantise, ensuite par attrait de la nouveauté et, enfin, par intérêt commercial."
Attaqué par de nombreuses personnes pour avoir publié des caricatures du prophète Mahomet, le dessinateur de presse explique pourquoi il ne se sent pas concerné par l’interdit de représentation : "Un non-croyant, malgré tous ses efforts, ne peut pas blasphémer. Dieu n’est sacré que pour celui qui y croit. Pour insulter ou outrager Dieu, il faut être persuadé qu’il existe."
Il appelle également à faire confiance au "second degré" des musulmans : "En vertu de quelle théorie tordue l'humour serait-il moins compatible avec l'islam qu'avec n'importe quelle autre religion? (…) Si on laisse entendre qu'on peut rire de tout, sauf de certains aspects de l'islam parce que les musulmans sont beaucoup plus susceptibles que le reste de la population, que fait-on, sinon de la discrimination?"
"Ce n’est pas Charlie Hebdo qui était défendu, mais le principe même de la liberté d’expression"
En novembre 2011, les locaux de Charlie Hebdo avaient été entièrement détruits par un incendie criminel, déclenché par un cocktail Molotov. Après cette attaque, de nombreux politiques et associatifs avaient accordé leur soutien à Charlie Hebdo, mais pas les signataires de la pétition "Pour la défense de la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo!". On trouvait parmi les signataires des membres du parti des Indigènes de la République comme Houria Bouteldja, la polémiste Rokhaya Diallo ou encore le collectif contre le racisme et l’islamophobie.
Dans son ouvrage, Charb explique pourquoi il était important de soutenir le journal satirique. Des phrases que n’auraient pas renié les milliers de "Je suis Charlie". "Ce qui ne va pas dans le texte des indignés, c’est le titre. Il laisse entendre que soutenir Charlie Hebdo, c’est aller à l’encontre de la liberté d’expression. Parmi ceux qui ont fait part de leur soutien à Charlie Hebdo, tous, évidemment, ne soutenaient pas la ligne éditoriale du journal, mais un organe de presse indépendant attaqué dans un pays à peu près démocratique. Ce n’est pas Charlie Hebdo qui était défendu, mais le principe même de la liberté d’expression".
Charb se plaignait également que "la conception de la liberté d’expression (des Indigènes de la République, Ndlr) est en passe de l’emporter, des marchands de journaux préférant dissimuler Charlie pour éviter les ennuis que de le vendre". Avec des queues monstres devant les kiosques et la vente de près de 8 millions d’exemplaires du journal satirique une semaine après l’attentat à Charlie Hebdo, l’avenir lui a tragiquement donné tort.