france-guyane a écrit :Les Haïtiens de Guyane (1/4)
Dossier réalisé par Karin Scherhag Lundi 28 Novembre 2016
Les Haïtiens de Guyane (1/4)
Un dossier sur Haïti, pourquoi ?
France-Guyane n’a pas décidé par hasard de consacrer un dossier à la communauté haïtienne de Guyane.
Après le passage de l’ouragan Matthew dans les Caraïbes et ses ravages en Haïti, nous voulions donner la parole à celles et ceux dont les proches ont été touchés de plein fouet par cette nouvelle catastrophe. Rapidement pourtant, une autre réalité s’est imposée à nous et il nous semblait inconcevable de faire comme si elle n’existait pas : un rejet féroce des Haïtiens, nourri par quelques-uns, auteurs de messages haineux diffusés sur les réseaux sociaux. Pourquoi un tel clivage ? Comment cette situation est-elle vécue ? Quels risques pour la Guyane ? C’est ce que nous avons cherché à comprendre.
Mais d’abord, un peu d’histoire
1963 marque le début de l’immigration haïtienne en Guyane. Le passage de l’ouragan Flora a provoqué de gros dégâts en Haïti, notamment dans les zones rurales de Jacmel, des Cayes et d’Aquin. Quelques ressortissants haïtiens, principalement des agriculteurs, viennent alors trouver refuge en Guyane. Mais c’est à partir de 1967 que l’immigration en provenance d’Haïti commence réellement. Entre 1974 et 1979, le nombre des entrées sur le sol guyanais triple carrément. C’est à cette époque qu’on recense les premiers enfants d’origine haïtienne inscrits dans les écoles de Cayenne.
Les immigrés viennent avec un visa touristique valable trois mois, restent pour travailler clandestinement et essaient ensuite de régulariser leur situation. À partir de 1980, le gouvernement français rend obligatoire le visa pour les ressortissants haïtiens, faisant ainsi chuter le nombre d’entrées. Une filière clandestine s’organise alors et, dès l’année suivante, l’immigration reprend de plus belle. Les Guyanais observent ce bal migratoire. L’historien Eugène Épailly se remémore cette image : « À la fin des années 70, les travailleurs haïtiens faisaient la queue devant la gendarmerie de la Madeleine (Cayenne, ndlr), alignés, leur sabre d’abattis à la main. Ils attendaient là que les propriétaires de terrains agricoles viennent les chercher et les emmènent travailler. Cet endroit était un carrefour stratégique pour ces Haïtiens qui s’étaient principalement installés sur le mont Baduel et à Ploërmel. » Pour les observateurs de l’époque, les Haïtiens représentent une main d’œuvre bon marché.
Quarante ans plus tard, les choses n’ont pas vraiment changé.
Les Haïtiens de Guyane (2/4) Se dessiner une vie meilleure
Fraîchement débarqués, ou Guyanais d’adoption depuis plus de trente ans, ils ont fui la misère, la violence, ou ont simplement choisi de mettre toutes les chances de leur côté pour se dessiner une vie meilleure. Pour ces femmes et ces hommes, la Guyane représentait un eldorado. La terre de tous les possibles. Entre espoirs déçus et rêves accomplis, plusieurs Haïtiens ont accepté de nous livrer leur histoire.
En Guyane, Alizée a appris à grandir
Mère de famille et assistante de direction accomplie, Alizée revient sur le parcours semé d’embûches qui l’a menée, enfant, jusqu’à Cayenne. Et même si les déceptions sont nombreuses, la jeune femme reste attachée à sa terre d’adoption.
Elle a choisi de garder l’anonymat. Son témoignage n’en perd pas pour autant de sa force. Nous l’appellerons donc Alizée. La jeune femme a 27 ans et est maman de deux enfants. Elle est née en Haïti, dans une famille de la classe moyenne. « On avait tout, on ne se souciait de rien. On avait du personnel pour s’occuper de la maison et des enfants. Ma mère possède un restaurant qui fonctionne bien, sa situation est stable. Je n’ai pas fui la misère. » Pourtant un jour, Alizée et sa petite sœur apprennent qu’elles vont devoir quitter leur pays, leur famille, leurs amis. « On nous a prévenues la veille. Ma mère nous a dit que ce serait mieux pour nos études. »
Les deux fillettes de 11 et 9 ans entament leur périple, seules. Objectif final : la Guyane, où leur père, qu’elles connaissent à peine, a posé ses valises après de nombreux voyages. « J’avais imaginé un endroit plus beau, plus riche, plus paradisiaque que chez moi. Sinon, pourquoi partir ? Quand nous sommes arrivées, j’ai pris une claque. Sur la route entre Saint-Laurent et Cayenne, je ne voyais rien d’autre que de la forêt. »
« Mon père est le cliché de l’étranger »
Les fillettes s’installent chez leur père. Et déchantent aussitôt. « Nous avons grandi à Thémire, dans une maison insalubre où il n’y avait pas toujours à manger. Mon père, alcoolique, est le cliché de l’étranger qui profite des aides. Mais ça a forgé notre caractère : on voulait prouver de quoi on était capable. »
Alors Alizée et sa sœur s’accrochent. Après un bac comptabilité et un BTS assistante de manager, l’aînée obtient un poste d’assistante de direction dans une association. La cadette est aujourd’hui à Strasbourg où elle suit des études de médecine.
Des parcours brillants qui n’effacent pas les blessures. « J’ai toujours senti que je n’étais pas chez moi. J’étais la seule Haïtienne de ma classe, je n’avais pas beaucoup d’amis. Je vivais dans une société qui n’était pas la mienne, je n’avais pas de repères, j’étais loin de ma mère. Ça a été dur. Mais finalement, ça m’a servi parce qu’en Haïti, j’étais un enfant roi. »
Les difficultés sont malgré tout toujours présentes. « Parfois, j’ai l’impression qu’on (les Haïtiens, ndlr) n’est pas humain. Il suffit d’aller à la préfecture pour s’en rendre compte. Les gens pensent qu’on ne comprend pas le français alors ils crient pour s’adresser à nous. Et puis je n’ai toujours pas obtenu une carte de séjour de dix ans. Je dois donc refaire les mêmes démarches tous les ans. Je remplis pourtant toutes les conditions : j’ai fait mes études ici, je travaille ici… Je ne comprends pas. Ma meilleure amie est partie en Métropole : au bout d’un an, elle recevait son titre de dix ans. On me demande souvent pourquoi je reste ici. Parce que j’aime la Guyane. Mais je suis triste de voir le climat qui règne en ce moment. J’espère que les gens vont vite retrouver leurs esprits et que la population va s’unir. »
Micheline savoure ce « bouillon d’awara de cultures »
Partie d’Haïti il y a huit ans pour fuir le climat d’insécurité, Micheline Pé-Pierre a été séduite par la diversité ethnique et culturelle de la Guyane.
Le mois dernier, Micheline Pé-Pierre a fêté ses huit ans de vie guyanaise. Et jusqu’à présent, « je me sentais bien accueillie. J’étais comme chez moi », raconte-t-elle. Un sentiment de bien-être mis à mal par un simple SMS. « J’ai reçu un message haineux d’un numéro qui n’était pas dans mes contacts. Je lui ai répondu qu’il n’avait pas conscience de ce qu’il faisait tourner. Je n’ai plus eu de nouvelles. Peut-être que cette personne ne savait pas lire, tout simplement (rires). J’ai gardé le message car je ne désespère pas de retrouver son auteur.
Née en Haïti il y a quarante-six ans, c’est là-bas qu’elle rencontre son mari. Lui est Belge et ils s’installent ensemble à Pétionville (ouest). En 2008, leur vie bascule. « Le pays était instable politiquement et les kidnappings se multipliaient. Tout le monde se sentait menacé, se souvient Micheline. Des élèves se faisaient enlever à la sortie de leur établissement et on réclamait des rançons à leurs parents. J’étais prof et ça m’a fait flipper. »
"Je crains que ça dégénère"
Le couple décide alors de quitter Haïti et rejoint la Belgique. « Mais on n’est resté que quelques mois car je ne supportais pas le climat. »
Nouveau déménagement, pour la Guyane cette fois. « On savait que la population était multi-ethnique, multi-culturelle. C’était tellement riche. C’est pour ça qu’on a choisi la Guyane. »
Huit ans plus tard, l’image reste intacte. « On est dans une sorte de bouillon d’awara de cultures », aime-t-elle à répéter. Mais Micheline est aussi consciente du climat de tension qui règne en ce moment. « Je crains que la situation dégénère. Et ce sont les enfants qui vont en souffrir. » Assistante d’éducation dans un collège de Saint-Laurent, elle n’hésite pas à sensibiliser les élèves. « Beaucoup sont Haïtiens et il ne faut pas qu’ils se sentent mal par rapport à tout ce qui se dit. On entend que les Haïtiens viennent ici pour faire du vaudou, prendre nos jobs, nos mecs… Ce sont vraiment des ignorants qui parlent comme ça. Mais ce n’est pas ce qui va me décourager de rester. »
Destins croisés
Nous les avons rencontrés à l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration), à Cayenne. Tous attendaient un rendez-vous, avec l’espoir de régulariser leur situation. Mais ils ont pris le temps de se raconter. Et de prendre la pose, pour incarner la nouvelle génération d’Haïtiens de Guyane (notre photo de Une). Ils ont entre 20 et 34 ans et sont arrivés il y a quelques mois. Madeline et Watson (avec le tee-shirt gris) sont les plus jeunes. Et rêvent d’étudier. « En Haïti, l’école coûte très cher et nos familles ne pouvaient pas payer », racontent-ils. Fedner, le plus âgé (à gauche de la photo), a laissé sa femme et ses quatre enfants en Haïti pour travailler. Il a appris ensuite que l’ouragan Matthew avait détruit sa maison et que sa famille avait trouvé refuge chez des voisins. « J’ai peur », confie-t-il. Fritz (à droite) et sa femme ont d’abord vécu au Brésil, à Santa Catarina. Ils y sont restés deux ans et sept mois. Avant d’émigrer en Guyane. « Je voulais que mon enfant naisse ici », avoue-t-il. Frédly est donc né à Cayenne il y a un mois à peine.
Le parcours de Vladimir (au centre) est bien différent. Membre du PHTK, le parti de l’ancien président Martelly, il est menacé de mort. « Un de mes frères a été tué à cause de moi », dit-il. Sa mère met alors de l’argent de côté pour lui faire quitter le pays. « Le voyage a coûté 2 800 euros rien que moi. Entrer en Guyane a été très difficile, il a fallu que je me cache alors qu’on avait payé si cher. » Le jeune homme, diplômé en génie civil, espère pouvoir travailler et faire venir sa femme et ses deux enfants.
Les Haïtiens de Guyane (3/4) Serville : "La Guyane accouche d'une nouvelle société"
Le député Gabriel Serville a plusieurs fois interpellé le gouvernement sur la crise migratoire que connaît la Guyane. Interview.
Vous avez annoncé l’arrivée en Guyane de 25 000 Haïtiens suite à l’ouragan Matthew…
(Il coupe) 2 000 migrants ont déjà fait des demandes d’asile. Ces gens n’arrivent pas seuls : ils viennent avec leurs conjoints(e)s, leurs enfants. Cela représente au moins 25 000 personnes. C’est 10 % de la population légale. L’État a débloqué de l’argent pour les communes qui vont accueillir les migrants de Calais. Ce que je demande, c’est qu’on me dise quels fonds vont être débloqués pour la Guyane. Mais cette question gêne le gouvernement qui craint de créer un appel d’air.
Vous avez constaté des arrivées à Matoury ?
Il y a 220 enfants qui n’étaient pas sur les listes quand nous avons commencé la préparation de la rentrée scolaire. Essentiellement des enfants d’origine haïtienne, installés à Cogneau et Balata. Nous n’avons pas la possibilité de les scolariser et ils vont perdre un an. Nous avons déjà commencé la réflexion pour la prochaine rentrée. C’est quasiment un groupe scolaire qu’il faudrait construire avec des moyens que nous n’avons pas.
La République d’Haïti est souvent touchée par des catastrophes naturelles et sanitaires…
(Il coupe à nouveau) 1,4 million de personnes sont aujourd’hui en situation de grande détresse. Et Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies, regrette la trop faible mobilisation mondiale. Il y a un désintérêt de la France et des États-Unis en particulier. Rappelons que 150 millions de francs-or ont été exigés en échange de l’indépendance du pays. J’ai fait mes calculs et ça équivaudrait aujourd’hui à environ 17 milliards d’euros ! Dès la naissance de la République d’Haïti, on lui mettait la corde au cou financièrement et économiquement.
Et le pays reste instable politiquement…
On ne peut pas assister à cette débandade. Il faut stabiliser la situation du pays sinon les gens vont continuer à migrer. Le travail de reconstruction va prendre trente ou cinquante ans mais si on ne fait rien, le pays va s’enfoncer. Mais d’abord, il faut mieux contrôler les frontières et ça, c’est la compétence de l’État.
Pourquoi les Haïtiens sont-ils aujourd’hui autant la cible des critiques ?
En raison du nombre. Mais aussi parce que les Haïtiens sont plus arrogants que les autres. Ils ont réussi dans le commerce, le BTP, se sont enrichis, sont fiers de ce qu’ils ont et ça crée de l’envie.
Plusieurs messages anti-Haïtiens circulent sur les réseaux sociaux. Vous les avez lus ?
Oui et ça me fait mal. Ça me rappelle les pires moments des Guerres mondiales où les gens étaient estampillés en fonction de leurs origines. Je ne suis pas devenu pro-Haïtien ou anti-Guyanais. Mais tous les enfants qui vivent ici sont des enfants de Guyane. Ils partagent la terre, l’air, la mer, la forêt. Apprenons leur à vivre ensemble pour créer la citoyenneté guyanaise […] Ce qui se passe sur les réseaux sociaux est symptomatique. On a le sentiment qu’Haïti n’est pas une terre qui peut rapporter de l’argent. C’est le jeu de l’ultra-libéralisme qui fait qu’on aide les riches avant les pauvres.
Certains de nos interlocuteurs nous disent que l’état d’esprit a changé. Que les Haïtiens viennent désormais pour profiter du système. Qu’en pensez-vous ?
C’est ce qui se dit. Avant, les immigrés haïtiens venaient d’Aquin et étaient agriculteurs. Maintenant, ils viennent des villes et ont une approche de la vie différente. Mais les Haïtiens qui se font remarquer sont à la marge. Beaucoup sont dans la rectitude et apportent leur contribution à la Guyane. Ils travaillent, on ne sait même pas qu’ils existent. Mais ce qu’on retient, ce sont les contre-exemples. L’autre jour, quatre dames haïtiennes sont passées devant tout le monde à la Sécu et ça a fait parler alors que peut-être 200 autres faisaient la queue sans créer de problème.
Le clivage entre les Haïtiens et les autres peut-il être dangereux ?
Ce qui se passe en France hexagonale, avec les jeunes de banlieue qui ont le sentiment d’avoir été écartés du système, c’est la même chose ici avec les jeunes Haïtiens. On leur a donné la santé, l’école mais l’essentiel — l’apaisement social — on ne leur a pas apporté. Faisons attention car les conditions de la radicalisation existent ici aussi. J’espère que chacun va rapidement retrouver ses esprits car tout cela n’est pas porteur d’espoir. La Guyane accouche d’une nouvelle société. Chaque étranger qui arrive est un grain de sable que nous pouvons façonner pour en faire une perle.
« Imaginez une Guyane sans immigrés »
On estime que les étrangers représentent environ 30 % de la population guyanaise et que 60 % des enfants naissent sur le sol guyanais de mères immigrées. C’est dire si l’immigration a façonné et façonne toujours notre territoire. « Imaginez la Guyane sans immigrés. Sans Chinois, sans Hmong ou sans Haïtiens. Que ferait-on sans eux ? » interroge l’une de nos interlocutrices, née en Haïti et arrivée enfant à Cayenne. « La Guyane pourrait être tellement géniale si on vivait tous ensemble sans se cracher dessus. En Guyane, poursuit-elle, les étrangers sont coupables de tout. Mais ce ne sont pas les enfants étrangers qui amènent le climat de violence. C’est un problème général d’éducation : les parents sont absents, ils n’assument plus leur rôle. »
Entre honte et persécution
Plusieurs de nos témoins nous l’ont confirmé : il n’est pas rare que des Haïtiens éprouvent un sentiment de gêne, voire de honte, qui les pousse à dissimuler leur véritable identité et à prétendre être originaire d’une autre île de la Caraïbe. Un sentiment exacerbé bien sûr par les quolibets à l’encontre de la population haïtienne. Ainsi, des expressions péjoratives sont largement utilisées comme « être habillé comme un Haïtien » qui ne signifie pas, faut-il le préciser, « être sur son 31 ». On prétend même que les Haïtiens mangent les pians.
En République Dominicaine, qui partage l’île d’Hispaniola avec Haïti, la situation des Haïtiens est plus dramatique encore. Les travailleurs venus de l’autre côté de la frontière pour cultiver la terre sont souvent parqués dans des camps et vivent dans des conditions précaires. « Le comble c’est que ce sont les Haïtiens qui produisent les fruits et les légumes dominicains qui leur sont ensuite revendus à prix d’or en Haïti ! », se lamente Serge Occéan, président du Collectif pour Haïti. L’année dernière, la République Dominicaine a tristement fait parler d’elle lorsque des déportations massives et des assassinats de ressortissants haïtiens ont été perpétrés par des extrémistes.
« La Guyane est confrontée à une crise migratoire sans précédent. 2 700 demandeurs d’asile ont été enregistrés en 2015 et 9 ou 10 000 le seront d’ici fin 2016. Cayenne est aujourd’hui le deuxième guichet de France après Paris »
Antoine Karam lors d’une intervention au Sénat la semaine dernière.
Les Haïtiens de Guyane (4/4) : Deux conteneurs partiront le 21 décembre
Le Collectif pour Haïti de Guyane a organisé une grande collecte pour les sinistrés d’Haïti. Rencontre avec le président de l’association, Serge Occean. [...]
Notre entretien est interrompu par un passant particulièrement véhément. « Et vous, vous faites quoi pour la Guyane ? », lance-t-il avant de tourner les talons en maugréant. Serge Occean affiche un sourire las. « Un seul comme ça peut faire beaucoup de dégâts, soupire-t-il. Vous voyez, si j’étais dans mon pays, il ne serait pas venu me dire ça. J’y pense chaque seconde. Cinq de mes enfants sont nés ici mais je leur ai toujours dit qu’ils étaient des immigrés. »
Bien sûr, il a eu vent des messages haineux qui ont circulé. « Je n’ai pas voulu les lire pour ne pas être choqué. On dit que la terre est une seule patrie mais la notion n’est pas la même pour tout le monde. Nous sommes une communauté de destins : mettons-nous ensemble pour vivre. »
À 55 ans, Serge Occean anime toujours une émission sur radio Mosaïque. Elle s’intitule « Tous pour un ». Tout un symbole…
L’école Mortin chérit Haïti
Les petits élèves de l’école Mortin, à Cayenne, ont participé à une grande collecte pour Haïti : nourriture, vêtements et jouets ont rejoint le conteneur du Collectif pour Haïti de Guyane. Touchés par le drame qui se joue loin de chez eux, de nombreux enfants ont aussi adressé des dessins et des poèmes emplis d’espoir pour leurs petits camarades haïtiens. Le jour de la collecte, ils ont notamment entonné, en chœur, la chanson de Stevy Mahy, Haïti chérie.
Les raisons du ras-le-bol
— « Les plus visibles ». L’historien Eugène Épailly estime que si les Haïtiens cristallisent à ce point les crispations, « c’est parce que ce sont les plus nombreux, les plus visibles. » L’Insee recense officiellement 50 000 Haïtiens en Guyane, soit environ 20 % de la population. Épailly annonce : « Les Haïtiens sont les Guyanais de demain. C’est le principe même de l’immigration. Prenez les Sainte-Luciens par exemple : aujourd’hui, ils sont Guyanais. On finit par oublier les racines, c’est comme ça. »
— Des gens « sans gêne ». Au-delà des messages haineux qui appellent, pour certains, à « exterminer » tous les Haïtiens de Guyane, des personnes plus posées, cultivées, expriment aussi leur ras-le-bol, leur sentiment d’oppression même, face à une immigration haïtienne toujours plus importante. « Ce sont des gens sans gêne, arrogants », se plaignent-ils. « C’est vrai, rétorque une jeune Haïtienne. On a pourtant un proverbe qui nous dit de nous adapter à la personne qui nous accueille. D’ailleurs, l’intégration des Haïtiens en Métropole ou aux États-Unis se fait sans difficulté. C’est peut-être parce qu’il n’y a pas de réelle identité guyanaise que nous avons du mal à nous adapter. »
— L’habitat illégal. « Ils volent nos terres ». Voilà notamment ce qu’on peut lire dans les messages anti-Haïtiens qui circulent sur les réseaux sociaux. Les auteurs dénoncent-là les habitations illégales qui fleurissent un peu partout en Guyane. Chez nos interlocuteurs Haïtiens, il y a ceux qui réfutent ces accusations, allant jusqu’à prétendre que les terrains concernés n’appartenaient à personne. Et ceux qui assument. « En Haïti, on construit partout, sans aucune règle, explique une jeune femme. Mais on ne vole jamais le terrain de quelqu’un. Ça, c’est inadmissible ! Pourquoi le fait-on ici ? Parce que c’est permis (sourire). Les gens savent qu’ils seront régularisés. Mais il n’y a pas que les Haïtiens qui font ça. »