Salut camarade GdM !
Pas sûr que tu puisses avoir beaucoup de réponses, tout le monde ne jugera pas opportun de se dévoiler... Mais comme cela ne me pose pas les mêmes problèmes, rassure-toi, je ne te laisserai pas tout seul
Quand a débuté mon combat politique, ça c'est assez facile, en 1979 quand je suis entré aux Jeunesses Communistes au lycée : il a suffi qu'une amie qui y était déjà me le propose, je n'attendais que ça. Puis, confronté à maintes contradictions dans la politique du PCF, je suis parti, revenu, reparti, revenu, je voulais faire quelque chose pour changer cette société et je ne connaissais rien de "mieux" que le PCF, je ne voulais pas, en ne faisant rien, laisser le terrain libre à la droite (le PS était inexistant chez nous, bastion PC du 93 depuis longtemps) mais certaines attitudes que je ne savais pas encore qualifier de staliniennes me révulsaient. J'étais davantage gêné par ça, que par le fond politique. L'élection de Mitterrand en mai 1981 m'avait réjoui (le PCF présentait ça comme "le changement") même si ça me faisait quand même drôle de voir 4 ministres communistes en costard-cravate sous les ors de la République. Puis, un copain de lycée qui était politisé mais ne militait nulle part m'a dit : "
viens, je connais quelqu'un, je pense que ses idées correspondent mieux aux tiennes", c'était une prof de mon lycée et elle était à LO ! Au même moment, en décembre 1981, c'était le coup de force de Jaruzelski en Pologne. La prof en question avec qui j'avais pris rendez-vous m'a engueulé parce que je distribuais un tract de la JC pour le soutenir (le tract expliquait que tout ce qui était dit à la télé c'était des calomnies de la droite !) "
C'est pas la peine qu'on se voie pour discuter", qu'elle m'a dit !
Bon, un peu plus tard je l'ai revue et on a discuté quand même... Dès janvier 1982, mon nouveau choix politique était fait et ce qu'on allait voir, les mois suivants, de la politique de la gauche au gouvernement, ne me le ferait pas regretter !
Pourquoi, ça c'est une question plus vaste, qui renvoie à mon milieu familial et ma vie en quartier populaire. J'ai vécu quelques années dans une vieille impasse au sein d'un centre ville dégradé et insalubre, dans une ville très ouvrière de Seine-Saint-Denis. Au fond de cette impasse pavée, d'un côté, une maison, celle de mes grands-parents paternels, de l'autre, un hôtel hébergeant des travailleurs algériens. La maison à deux étages était un peu une "maison du bonheur" ou plutôt, elle l'était devenue grâce à mes grands-parents, qui hébergeaient gratuitement toutes sortes de gens, dont une famille polonaise, et bien sûr mes parents, et même mon arrière-grand-mère et son mari. On s'entendait bien avec tous les habitants de l'impasse, tous d'origine étrangère, la seule exception étant une autre famille française habitant près de l'entrée de l'impasse que l'homme bouchait souvent avec sa camionnette, ce qui empêchait mon grand-père de sortir sa voiture !
Nous étions assez pauvres mais pas miséreux. Mes grands-parents avaient tous deux longtemps été ouvriers. Ma grand-mère avait travaillé très tôt et fait toutes sortes de boulots en usine : aux piles Wonder à Saint-Ouen - les mains pleines de cloques infectées à cause des brûlures d'acide ; dans une usine de lames de rasoir à mettre sous cellophane - les mains pleines de coupures ; dans une tannerie où il fallait battre les peaux - le visage et le corps couvert de poussière et de saletés ; dans une boyauderie où il fallait laver les boyaux au jet d'eau avec les pieds dans l'eau - les pieds pleins d'engelures en hiver, côtoyer les asticots qui grouillaient en été, et l'odeur de merde épouvantable toute l'année qui ne partait pas avant plusieurs jours même en se lavant ; mais, après guerre, la joie de faire grève avec les copines (espagnoles pour la plupart) et d'être déléguée CGT à une époque "où c'était facile de gagner", selon elle. Mon grand-père, né en Algérie d'un père Juif ayant rompu avec sa famille et d'une mère fille de colons petits agriculteurs ou enseignants (dont certains au PC algérien, torturés avec Henri Alleg, je les ai retrouvés ces jours-ci dans le fameux "Maîtron" !), venu en France adolescent dans les années 1920 pour trouver du travail (mais rien ne correspondait à sa "formation" en bijouterie), travaillant dans plein d'entreprises, dont Citroën, puis receveur dans les autobus de ce qui n'était pas encore la RATP, ouvrier aux ateliers de Championnet (Paris 18è) pendant la guerre etc. et adhérent du PCF et militant à la CGT.
Je ne les ai pas connus ouvriers : ils avaient déjà décidé d'ouvrir un petit commerce. D'abord une épicerie, qui fit rapidement faillite, puis une mercerie située à 200 m de l'impasse, qui rapportait peu vu qu'ils étaient bien trop généreux avec leurs clients... Dans l'arrière-boutique, mon grand-père faisait un peu de bijouterie (des briquets), je me souviens qu'il y avait des pièces à tremper dans le vitriol ; j'ai su plus tard que c'était un boulot "au noir" en sous-traitance pour un bijoutier et que c'est grâce à cela que la famille n'a manqué de rien. L'arrière-grand-mère n'avait jamais travaillé et n'avait rien en retraite, donc pour pouvoir vivre elle avait pris un travail à domicile : de la sous-traitance en bijouterie fantaisie pour le compte d'une grande maison parisienne. Bien entendu, elle n'aurait jamais pu faire tout le boulot si tous les membres de la famille, même moi et mon frère de temps en temps, n'avaient mis la main à la pâte. Il s'agissait de faire des colliers, ou de coller à l'Araldite des fermoirs sur des grosses broches illustrées de dessins de Toulouse-Lautrec : la Goulue etc. et d'emballer chaque pièce sous cellophane. Le mari de mon arrière-grand-mère, qui nous aimait comme ses propres petits-enfants, avait été toute sa vie ouvrier mais, infirme et alcoolique, il s'était fait virer d'un peu partout. Confit dans le tabac et l'alcool, il avait en général le vin mauvais, mais jamais avec moi ni mon frère, et souffrait d'une spectaculaire bronchite chronique.
Bien que mon frère, moi et mes parents ne soyons pas restés longtemps dans cette impasse (nous avons vécu dans une cité HLM que l'on trouvait de tout confort !) c'était notre lieu de référence, nous y étions tout le temps, presque tous les week ends et même des fois en semaine. Le jeudi (puis plus tard le mercredi), il n'y avait pas école et mon grand-père ou ma grand-mère venait nous chercher pour nous garder. On s'amusait, on travaillait un peu pour aider l'arrière-grand-mère (mais on n'était jamais obligés), je lisais, mon frère bricolait dans le petit atelier que s'était constitué mon grand-père au rez-de-chaussée... On regardait la télé et, quand l'arrière-grand-mère voyait des politiciens de droite à la télé - Barre, Poniatowski, Lecanuet ou autre - elle brandissait un poing vengeur et s'exclamait : "Ah ! Les pourris !" C'était là toute sa conscience politique, mais c'était déjà pas mal. Une bonne personne, peu instruite mais qui se réjouissait de m'offrir des livres dès qu'elle le pouvait. Gravement malade du coeur, elle est morte en 1977, d'une infection nosocomiale, dans la clinique privée vers laquelle le médecin de l'hôpital public, intéressé, l'avait redirigée, ce qui m'avait révolté.
Mes parents, eux, travaillaient : mon père, ouvrier qualifié, d'abord à la SAVIEM (aujourd'hui Renault Trucks mais l'usine a disparu), puis dans l'aéronautique dans les Hauts-de-Seine où il est devenu dessinateur industriel (et plus tard, reconverti comme analyste programmeur quand l'informatique a fait son apparition) ! Ma mère, papetière puis travaillant dans l'imprimerie (comme presque toute la famille du côté maternel, où les mentalités étaient toutefois plus individualistes) comme secrétaire de fabrication (organisant le passage des travaux sur les différentes machines), surexploitée : un salaire très bas tout en assurant les fonctions de son chef de fabrication qui, lui, bien payé, passait son temps à construire des petites Tours Eiffel en allumettes ; et le patron de cette PME, fier de ses belles voitures de sport qu'il changeait régulièrement. Sa mère était l'ancienne patronne. Un jour que le patron félicitait ma mère pour son travail, en présence de sa propre mère ex-patronne, celle-ci l'a regardé d'un ton méprisant en lui disant : "imbécile !" Sous-entendu, on ne félicite jamais un employé...
Dans la cité HLM où nous habitions, mon père militait au PCF et vendait l'Huma dimanche, comme je l'ai déjà raconté, et parfois je l'accompagnais. Il militait aussi beaucoup à la CGT dans son entreprise (mais un peu englué dans la gestion de son CE...)
Donc, sans qu'il y ait vraiment d'élément déclencheur, j'étais mûr pour un engagement politique quand mon amie de lycée m'a proposé d'adhérer aux JC...