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Perspectives pour la France : défis, dangers et luttes.
La pandémie du coronavirus a eu un impact dévastateur sur l’économie mondiale. Elle est survenue à un moment où le cycle économique amorçait déjà sa descente. En France et en Europe, les taux de croissance étaient déjà faibles (1,2% pour la zone euro) avant l’avènement de la crise sanitaire. Depuis, l’économie de l’Europe et du monde entier a brusquement chuté. Pratiquement aucun pays du monde n’échappe aux répercussions de la récession, qui entraîne une détérioration brutale des conditions de vie des travailleurs.
En France, comme ailleurs, les capitalistes et leurs représentants institutionnels lancent une offensive contre les droits et les conditions de vie des travailleurs pour récupérer les pertes de marchés et de profits. Les retraites, les allocations sociales – dont les allocations maladie, familiale ou chômage – font l’objet de projets de contre-réforme. Dans les entreprises, pour défendre les marges de profit malgré la baisse d’activité, le patronat cherche par tous les moyens à faire des économies au détriment de l’emploi, des salaires et des conditions de travail.
En faisant pression depuis des décennies pour rendre les emplois plus « flexibles » et en imposant la généralisation de l’emploi précaire, les gouvernements et le patronat ont grandement augmenté la vulnérabilité des gens. Il fallait augmenter le taux d’exploitation des salariés, accentuer la concurrence entre les travailleurs dans un contexte de chômage de masse, faciliter la suppression d’emplois, affaiblir les syndicats. La doctrine de fond de ces politiques reposait sur l’idée que flexibiliser le marché de l’emploi permettrait aux entreprises d’être plus compétitives afin de relancer la croissance. Dans la crise actuelle, les emplois précaires – CDD, intérim, sous-traitants, – ont disparu en masse. Les travailleurs en question n’ont pratiquement aucun moyen de se défendre. Les petits autoentrepreneurs et autres « ubérisés » se trouvent, eux aussi, subitement sans travail et sans revenu.
L’ensemble des injustices et des inégalités qui ont provoqué le mouvement des Gilets Jaunes et les grèves de la dernière période vont s’aggraver. Mais la tentative de rétablir un « équilibre économique » selon les critères capitalistes finira par détruire l’équilibre social, c’est-à-dire la passivité de la masse de la population sur laquelle repose l’ordre capitaliste.
La déstabilisation est déjà en cours depuis un certain temps. Les effets cumulés de l’accroissement des inégalités, du chômage de masse, de la précarité croissante de l’emploi et de la pression baissière sur les salaires et les retraites ont produit une modification profonde du climat social et idéologique, poussant à l’action des couches de la société précédemment inertes et « apolitiques ». Les Gilets Jaunes étaient un mouvement qui incorporait diverses tendances politiques, dont certains éléments proches de l’extrême droite. Cependant, perçu dans l’opinion publique comme une contestation massive de l’ordre social existant, le mouvement a bénéficié du soutien de plusieurs millions de citoyens. Ensuite, la France a connu la plus longue grève des transports depuis 1968, en opposition à la réforme des retraites.
Ces événements ont de quoi inquiéter les capitalistes. Matériellement, leur pouvoir provient du fait qu’ils possèdent et contrôlent pratiquement tous les grands leviers de l’économie et que l’État actuel est entre les mains de leurs serviteurs. Et pourtant, malgré leur puissance apparemment inébranlable, les capitalistes sont assis sur un volcan. Pratiquement toutes les fonctions essentielles de la société contemporaine sont assurées par les travailleurs et les travailleuses du pays. Cette position leur confère un pouvoir potentiel infiniment plus grand que celui des capitalistes, pour peu qu’ils en prennent conscience et décident d’en faire usage. Nous n’en sommes pas encore là. L’agitation sociale de la dernière période indique une évolution dans ce sens. « Le miracle de l’ordre et de la subordination » qui a tant impressionné les régimes despotiques du 18e siècle existe encore de nos jours. Mais il commence enfin à se dissiper.
Les capitalistes se donnent le droit de défendre leurs intérêts. Les travailleurs, de leur côté, se donnent le droit de défendre les leurs. Et là où les droits sont égaux, c’est la force qui décidera. Il est possible que la soudaineté et la sévérité de la crise économique retardent le conflit, mais, à terme, une confrontation est inévitable. Cependant, postuler la probabilité d’une confrontation majeure entre les classes dans la période à venir est une chose. Prévoir l’issue de cette confrontation en est une autre. Le processus historique est contradictoire. Le flux de colère provoqué par une crise et l’aspiration au changement ne coule pas forcément dans les canaux du progrès et de la révolution. Il peut aussi, dans certaines circonstances, élargir la base sociale de forces réactionnaires et nationalistes. En France, dans la période à venir, la société deviendra de plus en plus polarisée. Les extrêmes gagneront au détriment du centre.
En effet, les conséquences sociales de la crise actuelle renforceront les tendances nationalistes existantes. Les partisans de l’Union européenne assuraient que le libre commerce et l’ouverture des frontières pouvaient garantir un avenir de progrès économique et social. Dans les faits, l’économie française a été exposée à une concurrence internationale de plus en plus féroce, entraînant la destruction de pans entiers de son infrastructure industrielle et agricole. Le sentiment que le destin de la France est sous l’emprise de forces extérieures aussi puissantes qu’incontrôlables et que le pays est en train d’être étranglé par la main invisible du marché mondial a favorisé l’idéologie souverainiste et protectionniste. La base sociale du Rassemblement National en est une expression.
Le nationalisme est un poison pour la conscience des travailleurs. Il gomme les intérêts antagoniques et inconciliables entre exploiteurs et exploités, tout en semant la méfiance et la haine entre les victimes de l’exploitation selon des critères de nationalité, et souvent, par extension, de couleur ou de religion. Pour le mouvement ouvrier, il constitue un danger extrêmement grave, car il sape les bases de l’action collective et de la solidarité sans lesquelles les travailleurs sont faibles et désarmés. L’histoire démontre que dès lors que le nationalisme parvient à s’enraciner dans la société, il est très difficile à éradiquer. La lutte contre ce fléau est donc d’une importance absolument vitale. Et pour mener cette lutte sur des bases solides, il est indispensable que le mouvement ouvrier se libère de son carcan réformiste et ouvre aux travailleurs la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société.
L’absence de cette perspective laisse la place au « populisme » qui se caractérise par la dénonciation, au nom du « peuple », du pouvoir des « élites ». Le parlementarisme et le régime démocratique en général ne peuvent acquérir une stabilité que dans la mesure où toutes les classes sociales y trouvent leur compte. Mais lorsque l’équilibre entre les classes cède la place à une politique de régression sociale pour protéger les profits et le pouvoir d’une minorité, le régime parlementaire commence à paraître, aux yeux de ceux qui subissent cette régression, comme un système encombrant et inefficace dans lequel on ne voit plus qu’un repère de « planqués » parasitaires, dissociés du peuple et ne servant que leurs intérêts propres.
Dans ces conditions, le populisme exploite le ressentiment populaire contre les puissants et contre les institutions à des fins politiques et électorales, mais n’offre pas d’alternative à l’ordre social existant. Par ailleurs, la désignation facile des « élites » sert à cacher la vraie cause des inégalités sociales. Les privilèges et le pouvoir des riches et des « haut placés » en général sont dérivés, d’une façon ou d’une autre, de l’emprise de la classe capitaliste sur l’économie et sur l’ensemble de l’organisation sociale existante. Fixer l’attention sur les « élites » protège le capitalisme dont elles ne sont qu’une émanation. Les élites profitent du système, mais le système lui-même ne disparaîtra que lorsque la propriété et le contrôle de l’appareil productif, commercial et financier des grands capitalistes seront supprimés. Les élites chuteront avec la classe qu’elles défendent.
Le mouvement ouvrier français doit affronter l’offensive de l’État et de la classe capitaliste dans une position plus faible que dans le passé. Il y a des causes objectives qui ont contribué à l’affaiblissement des organisations syndicales et des partis de gauche au cours des dernières décennies. Parmi elles, il y a la transformation du paysage industriel et le chômage de masse. Mais il y a aussi des causes politiques. À l’épreuve du pouvoir, les dirigeants des partis qui ont été créés à l’origine pour défendre les intérêts des travailleurs ont capitulé face aux pressions capitalistes, au point d’adopter des politiques de régression sociale. Ainsi, une masse importante des travailleurs a tiré la conclusion que les partis traditionnels de la gauche, loin de représenter une alternative au système capitaliste, font eux-mêmes partie du système, et même si les militants de ces partis ne sont pas des agents conscients du système, ils n’ont pas d’alternative à proposer. Des convictions de cet ordre étaient très présentes dans les idées des Gilets Jaunes.
À notre époque, le capitalisme ne peut exister sans remettre constamment en cause les conquêtes sociales du passé. Les services publics doivent être transformés en autant de marchés et sources de profit. La position des travailleurs doit être rendue plus précaire, plus vulnérable. Les dépenses sociales doivent être réduites pour que les ressources de l’État profitent davantage aux capitalistes. Tout ce qui fait obstacle à la loi du profit doit être balayé. La conclusion qui découle de cette réalité est que la lutte contre la régression sociale, contre le chômage de masse, la précarité de l’emploi, pour des services publics dignes de ce nom, et contre toutes les injustices et inégalités engendrées par le capitalisme ne peut être victorieuse que s’il passe par la suppression de la mainmise capitaliste sur l’économie et sur l’État. Réformes sociales et révolution sont indissociables. C’est de cette vérité objective – et de sa traduction dans une plateforme programmatique générale – que nous devons convaincre les militants de la CGT, du PCF, les Gilets Jaunes et tous ceux qui sont engagés d’une façon ou d’une autre dans la lutte contre le système.
L’expropriation des capitalistes ouvrira la voie à la mise en place d’une nouvelle organisation sociale, fondée sur la propriété publique et la gestion démocratique des ressources naturelles, productives et financières de la Nation, dans l’intérêt du bien commun et de l’égalité sociale. La socialisation des moyens de production est l’unique moyen de résoudre les problèmes posés à l’humanité, y compris les problèmes majeurs qui sont d’ordre environnemental et écologique.
La question centrale de notre époque est celle du programme du mouvement ouvrier, dans ses composantes syndicales et politiques. Si le mouvement ouvrier n’ouvre pas la perspective d’un renversement du pouvoir capitaliste en faisant de l’expropriation de la classe capitaliste l’axe central de son programme, le capitalisme réglera la crise à sa manière. Ne pas prendre le pouvoir laissera la société dans une impasse et condamnera le mouvement ouvrier à une grave défaite.
En résumé, nous ne savons pas combien de temps durera la récession actuelle, mais nous savons d’ores et déjà qu’elle sera probablement la crise la plus grave du système capitaliste depuis 1945, et possiblement plus grave que la Grande Dépression des années 1930.
L’impact de la crise posera la question du changement d’ordre social de façon impérieuse. Devant nous s’ouvre une perspective dans laquelle le militantisme révolutionnaire sera plus porteur que par le passé. Au mouvement ouvrier de s’élever à la hauteur de la situation. La lutte quotidienne pour le progrès social doit être liée, désormais, à l’objectif de la conquête du pouvoir par les travailleurs.
Fraternellement,
GdM