Cyrano a écrit :En fait, la défaite historique, c'est qu'on les a laissées où elles étaient?!
En somme, on a, avant : Eh les filles la bouffe est-elle prête? On attend...
Et après, on a: Eh les filles, hop, fiça, faut nous préparer la bouffe! Sinon, ça va chier...
C'est nettement plus concis que le livre d'Engels. Vous pouvez me remercier.
À l'occasion de la diffusion du documentaire événement “Les Femmes préhistoriques”, accompagnez-nous dans un voyage dans le temps pour revisiter l’histoire des femmes.
Et si ce que nous pensions connaître de l’histoire de nos ancêtres était faux ? Non, les femmes préhistoriques n’étaient pas frêles et sans défense, elles n’étaient pas uniquement occupées à materner et à attendre le retour des chasseurs, recluses dans une grotte.
Une étude datant de 2018 a bouleversé les écrits, jusqu’ici très binaires. Entre 30 et 50 % des chasseurs « de gros gibiers » auraient été des femmes.
Loin des préjugés, la science s’exprime et délie les pensées préconçues. Les femmes de la préhistoire auraient été très actives et musclées, elles se seraient attelées à la chasse, au rabattage des animaux, à la cueillette des fruits et des œufs. Des hypothèses nouvelles invitent à penser que la société préhistorique était une société plutôt matriarcale.
Au moment des premières fouilles, les archéologues n’auraient pas questionné le sexe des restes humains mis au jour dans des sépultures de chasseurs-cueilleurs préhistoriques, actant qu’il ne pouvait s’agir là que d’hommes, puisque des attributs de chasse avaient été enterrés avec eux. Des analyses récentes ont permis de prouver que des squelettes féminins portaient des marques de lutte, de chasse, et avaient été ensevelis entourés d’armes.
Le documentaire inédit “Les Femmes préhistoriques” a été diffusé le 22 mai 2022 sur la chaîne National Geographic.
L'apparition et la systématisation de la production marchande a engendré la systématisation de l'oppression des femmes : voici la défaite historique de la femme.
la division sexuée du travail n'implique l'oppression que si un système économique, même embryonnaire, vient donner une valeur toujours plus grande au produit du travail de l'homme, par rapport à celui de la femme.
Jacquemart a écrit :Parce que tout cela, ce sont des raisonnements, certes apparement pas absurdes, mais des raisonnements. Or avant d'expliquer quelque chose, il faut être certain que le quelque chose en question existe bel et bien !
" Jusqu'en 1860 environ, il ne saurait être question d'une histoire de la famille. Dans ce domaine, la science historique était encore totalement sous l'influence du Pentateuque. La forme patriarcale de la famille (…) on l'identifiait avec la famille bourgeoise actuelle, si bien qu'à proprement parler la famille n'avait absolument pas subi d'évolution historique. [Puis] en 1871, Morgan apporta une documentation nouvelle et, sous maints rapports, décisive ".
L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, de Friedrich Engels, est paru en Allemagne en 1884, et connut 4 éditions jusqu’en 1891, complétées par l’auteur. Celui-ci présente son livre comme « l’exécution d’un testament » de son ami Marx. De même qu’Engels s’est estimé (à juste titre) tenu de composer et de publier les volumes II puis III du Capital, de même a-t-il considéré qu’il devait donner un achèvement aux travaux anthropologiques engagés par Marx à la fin de sa vie. L’achèvement et la systématisation sont le fait d’Engels.
Marx, comme Engels, avaient été conduits à la lecture et à l’étude du grand anthropologue nord-américain Lewis Morgan, par leur ami russe Maxim Kowalewski (dont la correspondance avec Marx a disparu, détruite pour des raisons de sécurité dans l’empire des tsars). L’Origine … est, explicitement, une reprise et un commentaire des travaux de Morgan. Un autre pionnier de l’anthropologie, Bachofen, jugé par Engels idéaliste alors que Morgan est matérialiste, inspire en réalité assez fortement ses vues, à savoir l’idée, reformulée ainsi par Engels et présentée comme matriarcat chez Bachofen, du « communisme primitif » avec « commerce sexuel sans entraves » aux origines de l’humanité.
Il est clair, aujourd’hui, que nous avons là une reformulation du vieux mythe de l’Age d’or. La révolution communiste doit donc restaurer l’Age d’or, sur la base supérieure des progrès techniques et intellectuels de l’humanité. Le noyau rationnel de ce rêve millénariste, formulé par Engels, se trouve dans Marx qui ne lui donne jamais une telle dimension eschatologique : c’est la combinaison de la libre individualité postulée dans la société civile bourgeoise, mais qui y est privée de ses conditions de réalisation, avec la protection communautaire, détruite par le capital, ainsi restaurée, mais sans son caractère oppressif et ses limitations bornées.
Engels reprend de Morgan un schéma général de développement de l’humanité basé sur les techniques, en trois moments eux-mêmes composés de trois phases (notons, donc, le caractère ternaire de toute cette construction). Premier moment : l’état sauvage. Phase 1 : les humains vivent tout nus dans les arbres, mais élaborent le langage articulé. Phase 2 : ils pêchent et font du feu. Phase 3 : ils chassent avec arcs et flèches. Second moment : l’état barbare. Phase 1 : la poterie et la domestication des animaux, puis la culture des plantes, adviennent, différenciant du coup Ancien monde et Amérique car les ressources animales et végétales ne sont pas les mêmes. Phase 2 : Aryens et Sémites développent l’élevage nomade. Phase 3 : la métallurgie du fer permet la véritable agriculture par la charrue, et la guerre à grande échelle par les armes en fer. Troisième moment : l’état civilisé, qu’Engels divise à son tour en trois phases : esclavage, servage et salariat.
La révolution communiste est donc la sortie de la phase 3 par retour à la communauté primitive sur la base des acquis de la civilisation. Le thème central du livre est le passage de la barbarie à la civilisation marqué par la triple émergence (encore une triade) de la famille conjugale-patriarcale, de la propriété privée foncière et marchande, et de l’État.
Nous avons là un schéma presque unilinéaire (« presque » car il distingue les Amérindiens ; l’Afrique est en outre peu utilisée) de développement des « modes de production », certes différent du canevas du marxisme traditionnel lui-même en réalité tout à fait étranger à Marx, celui de la succession communisme primitif/esclavagisme/féodalisme/capitalisme, et d’autre part communisme primitif/ « mode de production asiatique », puis dictature du prolétariat/socialisme/communisme. Ces canevas mythiques sont, répétons-le, étrangers aux travaux de Marx, beaucoup plus, et de manière croissante dans leur développement, multilinéaires et concrets.
Surtout, le canevas d’Engels d’après Morgan, comme les canevas du marxisme traditionnel, ignorent la distinction fondamentale réelle, établie par Marx dans tout le Capital, entre le capitalisme et la totalité des modes de production antérieurs, avec sa dynamique d’accumulation illimitée – et catastrophique. Le capitalisme d’un côté, les sociétés précapitalistes diverses, avec ou sans classes, s’opposent. La lutte des classes dans le Capital est une donnée émergente et pas première. La lutte des classes n’est pas la découverte propre à Marx, loin s’en faut.
Au contraire, chez Engels, comme dans le marxisme traditionnel et comme dans le Manifeste, capital et divisions sociales en classes antérieures au capital sont mis sur le même plan. C’est une élaboration qui se situe encore dans le cadre de l’évolutionnisme, par phases successives – éventuellement séparées, tout du moins au stade de la « civilisation », par des transitions révolutionnaires – allant de l’animalité à l’humanité « évoluée », que nous avons, par excellence, chez un grand auteur des Lumières comme Adam Ferguson. Par contre, les conceptions que Marx dégage dans le Capital dépassent tout à fait ce type de progressisme évolutionniste, et aboutissent à une absence réelle de déterminisme.
Dans le cadre de son canevas, Engels établit une évolution des formes familiales, partant de la communauté sexuelle sans interdits (mais qui n’a rien à voir avec « le lupanar » comme le croient les bourgeois), y compris sans tabou de l’inceste, à l’établissement de sphères de relations sexuelles de plus en plus limitées, les excluant d’abord entre parents et enfants (famille consanguine), puis établissant des groupes « mariés » entre eux (famille « punaluenne ») et des formes d’appariement de plus en plus codifiés et limités. Bref, on a une délimitation progressive, allant de « tout le monde » à la famille conjugale.
Le point central, qui relève en fait du « désir » (et, à ce titre, a une grande importance) est l’idée de l’absence de relations hiérarchiques. Engels, de manière méthodologiquement justifiée à son époque, écarte tout comparatisme du côté des espèces animales et notamment des singes anthropomorphes. Nous savons clairement aujourd’hui que des rapports hiérarchiques entre individus, groupes et entre sexes, sont présents depuis l’animalité, mais que la particularité humaine est leur grande variabilité allant jusqu’à leur mise en cause.
Le moment clef que vise Engels est, dans la phase 3, le passage à la famille conjugale-patriarcale, « défaite historique des femmes », passage qui se termine par la fin de la filiation matriarcale et l’avènement de la filiation masculine. En gros, l’oppression des femmes découle d’une division du travail qui, à l’origine, ne les défavorisait en rien et même les hissait à un niveau supérieur (les hommes courent dehors, chassent, etc. les femmes, implicitement à partir des fonctions reproductives maternelles, gèrent le foyer), mais qui dérape du fait de l’appropriation des troupeaux et de l’importance croissante de la guerre. L’oppression des femmes est donc le noyau générique de toute les oppressions sociales ultérieures. Engels cite une note de Marx dans ses carnets et l’approuve chaudement, sans tenter vraiment de l’expliciter : dans la famille se trouvent en germes tous les rapports d’exploitation.
Ce livre est un puissant pamphlet féministe, et là se trouve sans doute sa valeur principale. L’intuition qui le fonde est la recherche d’un parallélisme entre oppression des femmes et oppressions de classe. En fait, la première est bien antérieure aux autres – mais du coup, elle les a en effet conditionnées.
L’idéal de relations sexuelles interpersonnelles chez Engels est l’hétérosexualité monogamique librement consentie, égalitaire et dissoluble. Le rêve de l’Age d’or primitif est atténué chez lui par l’absence de « l’amour ». Celui-ci apparaît comme une sorte de contestation interne et tardive dans le cadre conjugal-patriarcal oppressif, de préférence comme adultère, dans la poésie courtoise médiévale. La poésie a en réalité, de Sapho aux Arabes, introduit l’amour aussi comme homosexuel. Les relations « contre nature » sont rejetées par Engels, et l’on peut penser qu’il les associe à l’oppression des femmes (n’envisageant que l’homosexualité masculine) : chez les Grecs, la « pédérastie » découle de la dévalorisation des femmes.
Rappelons au passage que, dans le mouvement ouvrier allemand, le successeur de Lassalle (voir aussi le chapitre allemand des MIA), von Schweitzer, était un homosexuel notoire (le mot lui-même apparaît à cette époque), et que Lassalle comme Marx et Engels refusaient d’en tenir compte contre lui, considérant que ceci relevait de la liberté privée.
La monogamie amoureuse librement consentie est paradoxalement possible dans le prolétariat moderne, et donc la révolution communiste lui permettra de s’épanouir, mais attention, les individus de l’avenir feront bien ce qu’ils voudront, ne le programmons pas par avance, affirme sainement Engels, bien qu’il ait manifestement son idée (la libre monogamie hétérosexuelle).
Après les deux premiers chapitres dont je viens de résumer l’essentiel, Engels introduit une notion clef, la Gens, mot latin désignant un groupe large de parenté (réelle ou fictive), généralisé au monde entier car Morgan estime avoir découvert une forme similaire chez les Iroquois. Cette généralisation peut être considérée aujourd’hui comme méthodologiquement abusive, car les formes sociales sont bien plus variées, dès la préhistoire, que ne le pensaient Morgan et Engels, chez qui ce type de systématisation constituait pourtant bel et bien, dans le contexte de l’anthropologie naissante, un progrès scientifique. Elle ne signifie en fait rien d’autre que le constat de ce que l’organisation sociale de toutes les sociétés connues commence par des groupes larges de parenté, mais ce constat ne saurait être le point final de la recherche et de l’analyse, mais seulement son point de départ.
Chez Engels, la Gens (iroquoise d’après Morgan, grecque antique, romaine, celte, germaine, et, dans un remarquable appendice final, ghiliak en Sibérie orientale et à Sakhaline ; bref, universelle) s’identifie aux formes de plus en plus segmentées et pourvues de sous-ensembles, du groupe communiste primitif large, mythique, des débuts. Au troisième stade de la barbarie (l’âge du fer), le passage à la civilisation correspond à une triple révolution combinée.
La première, déjà présentée, est celle de la domination masculine dans la famille conjugale-patriarcale. En même temps se produit l’appropriation privée, des troupeaux puis des terres et des biens mobiliers et monétaires, et des esclaves. La division de la société en classes qui s’ensuit – libres et esclaves, et aussi riches et pauvres-, et le brassage des populations ainsi que les échanges marchands, produisent la formation d’un appareil autonome érigé au-dessus du corps social : l’État. Les structures démocratiques de la Gens – conseil des délégués des groupes gentilices, qui devient une boulé ou un Sénat ou une aristocratie, assemblée du peuple qui finit par disparaître ou être complètement cadenassée, chefs provisoires qui deviennent des rois permanents – sont détournées et/ou détruites.
Dans le dernier chapitre, Engels jette rapidement sur le papier des remarques beaucoup plus approfondies sur les typologies de l’État, qui sont plus développées dans ses articles politiques des années 1880-1890. En fait, l’analyse de l’émergence de l’État comme appareil autonome (territorialité, groupes spéciaux d’hommes armés, impôts, bureaucratie, en sont les traits-types dégagés par Engels), est historiquement tout à fait insuffisante ici, centrée justement sur des sociétés – cité athénienne, Rome, et non pas la Rome impériale mais celle de Tite-Live, peuplades celtes et germaniques – qui en étaient dépourvues.
Famille, propriété privée et État vont donc ensemble, et là se situe pour Engels le corps du délit de ce que doit combattre la révolution. Il est en particulier frappant que les relations marchandes et monétaires soit prises par lui comme dominantes, et dissolvantes pour la Gens, dès la Grèce de Solon. Chez Marx, les échanges marchands précapitalistes se produisaient entre communautés, pas en leur sein. Ici, nous avons un « échange marchand simple » précapitaliste quasi généralisé, hormis les communautés asiatiques, peu envisagées, et l’Amérique indienne. La « propriété privée » antique est de fait prise pour la propriété privée contemporaine, ce qui est totalement ahistorique. Ainsi, il n’y a pas vraiment de rupture entre le capitalisme et les sociétés de classe précapitalistes. La grande rupture se situe entre la « barbarie » et la « civilisation ». Ces conceptions ne sont pas celles auxquelles avait abouti Marx, bien qu’Engels les lui attribue en toute bonne foi, car elles en restent au stade où tous deux étaient arrivés, ensemble, en 1848.
Dans le développement historique général tel que se le représente Engels, il y a une exception germanique. Ses travaux philologiques sur les Germains, de la même période (les textes Sur l’histoire des anciens Germains, L’époque franque, La marche, sont publiés à la suite de l’Origine … dans son édition française aux ES, de 1975), sont d’un niveau élevé d’érudition et correspondent au niveau scientifique de la recherche allemande à la fin du XIX° siècle. Mais leur trame provient d’une représentation idéologique propre à Engels : les Germains, grâce à la victoire providentielle d’Arminius sur les légions romaines en 9 ap. J.C., ont échappé pendant des siècles à l’État et sont restés plus libres, plus « gentilices », avec y compris une moindre oppression des femmes, que les peuples de l’empire romain, ce qui a permis de féconder peu à peu le Moyen Age, celui de l’amour courtois et des chartes de franchises. Bref, les « libertés germaniques » portaient en germes les libertés bourgeoises : c’est là du pur Montesquieu.
Chez Engels, la victoire d’Arminius, qu’il chante comme une lutte anticoloniale, est la victoire allemande primitive et fondatrice, par opposition aux révolutions manquées de toute la lointaine suite de l’histoire allemande : Réforme et Guerre des paysans au XVI° siècle, avortement de la révolution de 1848 au profit du prussianisme méprisé et néanmoins progressiste à sa façon, au XIX°.
Engels a voulu donner un caractère achevé aux suggestions contenues dans les abondantes notes anthropologiques de Marx rédigées de 1878 à sa mort. Ce que nous connaissons aujourd’hui de ces notes, dont la moitié a été publiée par Lawrence Krader (en anglais) en 1949 et dont le reste est en cours de parution dans la seconde MEGA, montre un Marx plus nuancé et surtout n’ayant pas de certitude sur l’histoire humaine. Mais la valorisation des formes communautaires « primitives », précapitalistes et extra-européennes, valorisation tentée par Engels à partir de son érudition germanique dans son article-brochure sur la Marche (la Mark germanique), supposé aider la social-démocratie allemande à influencer les petits paysans (ce dont il est permis de douter), se retrouve bien, et très fortement, chez « le vieux Marx », dont elle est un thème central s’opposant fondamentalement aux formes capitalistes, à un niveau d’analyse qu’Engels et le marxisme traditionnel du XX° siècle, lui-même à un niveau très inférieur à Engels qui pense et invente librement, n’avaient pas saisi.
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