C'est l'’histoire édifiante de Laxmi, femme de ménage népalaise, qui nous donne envie de faire la Révolution et la réalité des travailleurs migrants dans les pays du Golfe.
Du correspondant à Riyad - pour la Tribune des Travailleurs - Sidi Lakhdar.
Dans les métropoles étincelantes du Golfe, le luxe et la prospérité des puissantes économies locales reposent sur une main-d'œuvre étrangère, vulnérable et exploitée. Le portrait de Laxmi, une femme de ménage népalaise de 35 ans, est l’illustration poignante d'une réalité sociale qui, bien que souvent ignorée, est au cœur du modèle économique de la région.
Un contrat brisé et une vie sacrifiée
Le rêve de Laxmi a commencé comme celui de milliers d'autres jeunes femmes népalaises. En 2019, elle quitte son pays natal avec l’espoir de mieux soutenir sa famille. Une promesse de rémunération élevée l’a attirée, loin de ses montagnes natales, vers le Golfe. Laxmi a payé une somme importante à une agence de recrutement pour obtenir un visa, et a signé un contrat promettant un salaire supérieur à la moyenne de son pays. Mais la réalité s’est rapidement imposée avec sa brutalité.
Pour des journées de travail interminables dans des hôtels, bureaux et appartements de la ville, Laxmi touche aujourd’hui l’équivalent de 200 euros par mois — un salaire dérisoire qui ne lui permet que de couvrir ses besoins essentiels. « C’était beaucoup d’argent pour moi au départ », confie-t-elle. « Mais ici, je ne peux rien faire avec. Je n’ai même pas assez pour envoyer de l’argent chez moi. » Les coûts de la vie dans le Golfe sont bien supérieurs à ce qu'elle imaginait. Une chambre partagée avec sept autres travailleuses, des lits superposés où elles alternent pour dormir, se laver, et se reposer. Le rapport de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) de 2020 fait état d’une situation comparable pour de nombreux travailleurs migrants, souvent logés dans des conditions de surpopulation et d'insalubrité, particulièrement dans le secteur des services domestiques.
Un système économique basé sur l’exploitation
Laxmi ne fait pas exception. Elle fait partie des 2,5 millions de travailleurs domestiques étrangers qui occupent des emplois mal rémunérés dans les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), une région où l'économie repose largement sur leur force de travail. La situation des domestiques, principalement des femmes venues d'Asie du Sud et d'Afrique, est documentée par Human Rights Watch, qui révèle que ces travailleurs sont souvent soumis à des abus physiques et psychologiques, à des horaires excessifs, à des salaires sous-évalués et à des conditions de logement précaires.
Les salaires et les conditions de vie des travailleuses domestiques sont bien en deçà des normes minimales internationales. En 2021, une étude menée par Amnesty International a révélé que plus de 90 % des travailleurs domestiques au Golfe ne bénéficient pas de contrats de travail écrits, ce qui les prive de protections légales et les rend vulnérables aux abus. « Beaucoup d’entre nous vivent dans l’angoisse de ne pas être payées à temps, ou pire, de ne pas être payées du tout », explique Laxmi, dont le salaire est souvent versé avec des mois de retard.
Le système du kafala, en vigueur dans de nombreux pays du Golfe, lie les travailleurs étrangers à leurs employeurs, les privant de liberté de mouvement et de possibilité de changer de travail sans leur consentement. Ce système est l’une des causes principales des abus, car il empêche les travailleurs d’accéder à des recours juridiques. La Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) a dénoncé à plusieurs reprises ce régime comme un mécanisme d’exploitation systématique.
Un deuil impossible
Mais ce qui frappe le plus dans le récit de Laxmi, c'est l’histoire tragique de la mort de son père, survenue en ce début d’année. Le message qu'elle reçoit un matin, alors qu'elle est en train de nettoyer des chambres d'hôtel, est un coup de poing dans l’estomac. Mais son employeur, implacable, refuse de lui accorder un congé pour retourner au Népal. Laxmi se trouve déchirée entre son devoir familial et l'absence de ressources financières pour rentrer chez elle.
Sa situation illustre une dimension encore plus tragique de l'exploitation des travailleurs migrants dans le Golfe. Selon un rapport de Human Rights Watch, la majorité des travailleurs migrants ne disposent d’aucune possibilité de s'absenter pour des raisons personnelles, comme un deuil, faute de permission de leur employeur ou de ressources pour financer un billet d’avion. En 2020, un rapport de l'OIT estimait que 40 % des travailleurs domestiques étrangers n’avaient pas droit à des congés, et 60 % d’entre eux avaient des dettes liées aux frais d’agence et aux frais de visa qu'ils doivent rembourser avant de pouvoir prétendre à une rémunération décente.
Témoignages poignants de médecins
Médecin urgentiste en Arabie Saoudite : violence systématique
Les cas comme celui de Laxmi ne sont pas isolés. Chef de clinique dans un hôpital à Riyad, le Dr F., médecin urgentiste, raconte régulièrement l'arrivée de travailleuses domestiques victimes de violences physiques. « Nous voyons presque chaque semaine des domestiques qui arrivent aux urgences, souvent en état de choc, avec des blessures graves : fractures, brûlures, et ecchymoses sévères. » Mais ce qui choque particulièrement le Dr F., ce sont les conditions dans lesquelles ces violences se produisent. « Les employeurs payent parfois pour couvrir les frais médicaux, dans le but de masquer leurs actes de violence », ajoute-t-il. Ces blessures, dit-il, sont souvent « attribuées à des accidents domestiques », alors qu’elles résultent d'abus systémiques et de mauvais traitements.
Le Dr F. souligne également qu'il est extrêmement difficile d'identifier et de signaler ces violences en raison du système du kafala, qui limite la liberté de mouvement des travailleurs. « Souvent, elles ont peur de parler, car elles savent que si elles portent plainte, elles risquent d'être expulsées sans compensation. » Les violences subies par ces travailleurs migrants sont largement invisibles et rarement dénoncées, malgré les efforts d’organisations comme Amnesty International, qui a documenté des milliers de cas d'abus physiques et psychologiques.
Médecin aux Émirats : Le coût invisible du burn-out et des maladies liées au travail
À Dubaï, le Dr B., neurologue dans un hôpital privé, témoigne également des effets dévastateurs du travail épuisant sur les travailleurs migrants. « Dans ma pratique, j'ai vu des travailleurs jeunes, parfois même de moins de 40 ans, développer des symptômes de Parkinson. Nous pensons que la cause principale est le burn-out sévère, dû à des heures de travail excessives et des conditions de travail stressantes », explique-t-elle.
Une cardiologue du même établissement, sis à Dubaï, rapporte également des cas fréquents de crises cardiaques précoces et de malnutrition parmi les travailleurs domestiques et les ouvriers du bâtiment, qui sont contraints de travailler sous des températures écrasantes en été. « Beaucoup sont exposés à des conditions de chaleur extrême, dans des chantiers ou des maisons sans climatisation, sans pauses adéquates et avec une hydratation insuffisante », précise-t-elle. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ces conditions peuvent entraîner des déshydratations sévères, des coups de chaleur, et des défaillances organiques, en particulier chez les travailleurs âgés ou vulnérables.
Une pression insoutenable
La situation des travailleurs migrants dans le Golfe va au-delà des simples problèmes économiques. Elle est une question de santé publique, où des milliers de personnes souffrent non seulement de conditions de travail inhumaines, mais aussi de maladies graves résultant de leur surmenage et de leur exploitation. Les statistiques disponibles font état d'une forte proportion de travailleurs migrants souffrant de dépression, de troubles cardiaques, et de troubles musculo-squelettiques liés à des postures de travail pénibles. Le rapport de l'OIT de 2019 estime que près de 25 % des travailleurs migrants dans le Golfe développent des problèmes de santé en raison des conditions de travail dégradantes auxquelles ils sont confrontés.
Un modèle économique qui exclut les travailleurs
L’histoire de Laxmi est une illustration frappante de l’écart entre la prospérité des pays du Golfe et les conditions de vie des travailleurs qui en sont la véritable cheville ouvrière. Si le revenu par habitant dans des pays comme les Émirats Arabes Unis ou le Qatar dépasse les 60 000 dollars par an, les travailleurs migrants qui soutiennent ces économies touchent une fraction de cette richesse. Le secteur des travailleurs domestiques, qui représente un marché de 8,5 milliards de dollars au sein de la région, repose sur des conditions de travail précaires et l’exploitation systématique de cette main-d'œuvre.
Le modèle économique des pays du Golfe, basé sur une hiérarchie sociale profondément injuste, nécessite un examen plus approfondi, car il repose sur un système d'exploitation qui profite à l'élite tout en maintenant les travailleurs dans une forme de servitude moderne.
Sources :
• Organisation Internationale du Travail (OIT), Rapport sur les conditions des travailleurs domestiques dans les pays du Golfe, 2020.
• Amnesty International, "Travailleurs migrants au Moyen-Orient : entre espoir et exploitation", 2021.
• Human Rights Watch, "Abolir le système Kafala : Vers un réel changement pour les travailleurs migrants ?", 2020.
• Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH), "La condition des travailleurs migrants dans les pays du Golfe : Un état des lieux", 2021.
• Banque Mondiale, "L’impact de la main-d’œuvre migrant sur l’économie des pays du Golfe", 2017.
• Organisation Mondiale de la Santé (OMS), "Conditions de travail et santé des travailleurs migrants dans les pays du Golfe", 2019.
Fraternellement,
GdM