Le point de Vue d'Alain Duhamel

[conformistepote]

CITATION
Le communisme des catacombes


Par Alain DUHAMEL
mercredi 05 novembre 2003


La Ligue communiste révolutionnaire, qui se pique de modernité, a donc démocratiquement choisi ce week-end, à une forte majorité, de s'unir à l'antique Lutte ouvrière le temps des élections régionales et européennes. Selon les critères du jeu politique «bourgeois» dans lequel le dernier mot revient heureusement aux électeurs, c'est bien joué. La méthode leur avait réussi aux dernières élections européennes. Le nouveau mode de scrutin qui sera inauguré aux élections régionales de mars prochain (deux tours, barre des 10 % de suffrages exprimés pour se qualifier pour le second tour, prime à la liste qui arrive en tête) les y incitait vigoureusement. En position de concurrence, les listes de la Ligue et de LO n'auraient pu atteindre ni les unes ni les autres les 10 % et n'auraient donc obtenu aucun siège, sauf peut-être dans le Nord-Pas-de-Calais. En unissant leurs forces, elles peuvent espérer franchir le seuil fatidique dans deux, trois, ou quatre régions. Les trotskistes ont donc décidé de se comporter en possibilistes. Electoralement parlant, ils se montrent ainsi nettement plus intelligents que les Verts ou que les communistes de la place du Colonel-Fabien. Ce n'est pas une surprise. Au premier tour de l'élection présidentielle, les trotskistes avaient obtenu autant de voix que les candidats du PC, des radicaux de gauche et des Verts. Si communistes et écologistes persistent dans leur intention de faire liste à part, les trotskistes peuvent cette fois-ci les devancer. Si, pour le premier rendez-vous électoral significatif depuis le 21 avril 2002, la gauche perd une occasion de reprendre des régions à l'UMP, la faute en reviendra à la myopie du PC et des Verts, et non pas à l'électoralisme des trotskistes. Ceux-ci veulent utiliser au mieux la marge que leur offre la République. Qui peut le leur reprocher ?

En revanche, intellectuellement, ce mariage de raison constitue à la fois une hypocrisie et une régression. Lorsque Alain Krivine déclare que «ce n'est pas Hollande notre adversaire mais Raffarin et le baron Seillière», il se moque du monde et il se contredit. Le contrat de mariage conclu entre la Ligue et LO prévoit en effet qu'en aucun cas les listes communes ne se désisteront en faveur de celles de la gauche parlementaire et qu'il ne saurait même y avoir d'appel en faveur de la gauche que dans l'hypothèse où le Front national risquerait de l'emporter (encore Lutte ouvrière y a-t-elle mis des clauses restrictives).

En clair, si un second tour se joue entre la gauche parlementaire et la droite parlementaire, les trotskistes s'en lavent les mains. Ils se «chevènementisent» en reprenant le refrain du maire de Belfort tout au long de sa campagne présidentielle, celui du «pareil au même». Ce qui revient concrètement à favoriser l'UMP. D'ailleurs, tout au long de son congrès, la Ligue a théorisé cette position ­ d'où l'hypocrisie de Krivine ­ puisqu'elle a expliqué en long, en large et en travers que l'objectif de mars prochain était de créer, sur le flanc gauche du PS, une force symétrique de ce que représente l'extrême droite par rapport à l'UMP, de mettre donc en place une mécanique quadrangulaire. Le Front national a été pendant vingt ans l'enfer de la droite parlementaire. Les trotskistes veulent devenir le purgatoire des socialistes. C'est leur droit le plus absolu mais ils ne peuvent feindre le temps de l'innocence.

Ainsi la Ligue reprend-elle la vieille stratégie de Lutte ouvrière : au nom de l'anticapitalisme, il faut amalgamer les sociaux-démocrates et les libéraux, quitte à ce que les seconds l'emportent sur les premiers. Dans les entreprises, les trotskistes agissent comme les ennemis jurés de la droite parlementaire ; dans les urnes, ils se comportent comme les adversaires prioritaires des socialistes. Dans le mariage entre la Ligue et Lutte ouvrière, c'est (idéologiquement) Lutte ouvrière qui porte la culotte. La Ligue mimait jusqu'à présent une certaine modernité, menant de front luttes syndicales et contestation «mouvementistes», cherchant à convaincre qu'à ses yeux l'altermondialisme, le féminisme, les sans-papiers, les sans-logis ou les sans-emploi comptaient autant que les luttes sociales traditionnelles. En adhérant à la stratégie électorale de Lutte ouvrière, en jouant ce qui pour des militants d'extrême gauche constitue la politique du pire, la Ligue en revient au communisme des catacombes dont jusqu'ici Lutte ouvrière détenait jalousement le monopole : le réformisme, voilà l'ennemi ; entre la droite et les révolutionnaires, il n'y a, il ne peut y avoir que des socio-traîtres ; l'avenir est au communisme authentique, pré-stalinien ; l'appropriation collective des principaux moyens de production constitue toujours la meilleure idée neuve ; interdiction de contribuer en quoi que ce soit à toute forme de gestion ou de tentative de transformation de l'intérieur. C'est le monde entier qui devra se convertir un jour aux valeurs éternelles du communisme ! Nous voilà revenus aux querelles d'avant 1914, aux chimères, aux aveuglements et aux oppressions dont Trotsky a d'ailleurs largement pris sa part. La Ligue et Lutte ouvrière n'en finissent pas d'inventer la machine à remonter le temps.

© Libération
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[pelon]

Spécieux l'adjectif pré-stalinien. dirait-il que le république de Weimar est pré-nazie ou que le front populaire est pré-Kollabo (pré-pétainiste) ?

[titi]

on pourrait ouvrir une section spéciale sur le forum, consacrée à ce genre d'article fielleux, le temps des élections : le gerbodrome !
8)

[ianovka]

J'aime beaucoup le titre. On devrait faire les meeting déguisés en morts vivants pour ne pas décevoir les éventuels lecteurs de l'article de AD.

[Andreas]

CITATION On devrait faire les meeting déguisés en morts vivants pour ne pas décevoir les éventuels lecteurs de l'article de AD[/quote]

En plus ça serait une façon d'attirer la jeunesse "gothique" :sygus: